L'impensable s'est produit ce 13 septembre 1993 à Washington : la signature des accords d'Oslo par le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le chef de l'OLP Yasser Arafat s'est achevée par une poignée de main historique sur la pelouse de la Maison-Blanche.
Tout commence à 10h30 à Washington. Les délégations sont réunies à la Maison-Blanche. Avant de sortir sur la pelouse, Rabin et Arafat auraient échangé quelques mots, selon des propos recueillis plus tard de la bouche du président américain Bill Clinton : « Ils étaient seuls avec moi dans le salon bleu. Jusque-là, ils ne s'étaient pas parlé. Mais à ce moment, ils se sont regardés droit dans les yeux pour la première fois. Et le Premier ministre (israélien) a dit : Vous savez que nous allons devoir beaucoup travailler pour que cela marche. Arafat a répondu : Je sais et je suis prêt à jouer mon rôle. »
À 11 heures, les délégations sortent sur la pelouse en face de la demi-rotonde en colonnes néo-helléniques de la Maison-Blanche. Le temps est radieux. Les délégations s'installent sur le podium devant une assistance impressionnante. En plus des deux anciens présidents américains, Jimmy Carter et George Bush, sont présents huit anciens secrétaires d'État, tout le Congrès, la Cour suprême, les ambassadeurs arabes et plus d'un millier de journalistes.
Après les discours, parfois très émouvants, l'accord sur une autonomie palestinienne dans les territoires occupés est signé par le ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres, côté israélien, et par Mahmoud Abbas, connu sous son nom de guerre Abou Mazen, côté palestinien.
Tout aussi historique que l'accord est la table sur laquelle il est signé. Une table témoin d'autres grands traités internationaux. C'est en effet sur cette table en noyer, achetée en 1869 par le président américain de l'époque, Ulysses Grant, pour les réunions de cabinet, que le président égyptien Anouar Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin signèrent en 1979 le traité de paix entre leur deux pays. Placée ensuite dans la Salle des Traités de la Maison-Blanche, elle fut de nouveau utilisée pour la signature de plusieurs traités et accords avec des républiques de l'ex-URSS en 1992.
Le ministre israélien des Affaires étrangères de l'époque, Shimon Peres, signant les accords d'Oslo.
Photo Reuters
Hésitation
Mais les héros du jour restent incontestablement les deux ennemis jurés d'hier, Rabin et Arafat, applaudis chaleureusement par les quelque 3 000 invités présents.
C'est le président Clinton qui initie cette fameuse poignée de main, après que les protagonistes ont paraphé successivement l'accord. Bill Clinton s'est retourné vers Yitzhak Rabin à sa droite et lui serre la main, puis il serre la main de Yasser Arafat qui se tient, souriant, à sa gauche. Le dirigeant palestinien qui s'est un peu incliné pour ce geste poursuit son mouvement pour tendre une main, visiblement hésitante, au dirigeant israélien. Après un court instant d'hésitation, celui qui fut de toutes les batailles contre les Palestiniens saisit cette main tendue, et Bill Clinton, arborant un large sourire, lui tapote alors l'épaule en signe de compréhension.
Quelques minutes plus tard, Bill Clinton, Rabin et Arafat descendent de l'estrade pour saluer les invités à cette cérémonie. Les trois hommes se rendent ensuite auprès d'un groupe d'étudiants arabes et palestiniens qui assistent à la cérémonie vêtus d'un tee-shirt bleu ciel sur lesquels est inscrite la phrase : « Les graines de la paix ».
Arafat, Peres et Rabin recevant le prix Nobel. Reuters/Jerry Lampen
« Shalom, salam, peace »
La paix est au rendez-vous ce jour-là. « Shalom, salam, peace », toutes les langues et les figures de style, religieuses, bibliques sont utilisées pour célébrer cet événement. « Les descendants d'Isaac et d'Ismaël ont entrepris un voyage hardi » vers la paix, déclare ainsi le président américain. « Nous vous disons d'une voix haute et claire, assez de sang et de larmes. Assez », lance Rabin dans une intervention chargée d'émotion. « Le temps de la paix est arrivé », ajoute-t-il, interpellant les Palestiniens : « Nous sommes condamnés à vivre ensemble. » De son côté, Arafat lance : « La bataille pour la paix est la plus difficile dans notre vie. »
Hormis la bannière étoilée américaine, il n'y a pas de drapeau durant la cérémonie, ni israélien ni palestinien. Et la fanfare des marines ne joue aucun hymne, l'idée étant de ne pas célébrer la naissance d'un État palestinien.
La cérémonie est grave, solennelle, les propos parfois émouvants. Mais plusieurs commentateurs et journalistes notent le peu d'enthousiasme chez les deux parties.
Tout est, au contraire, empreint d'une grande retenue, explique le journaliste du Monde : les acteurs de l'histoire, adversaires hier, partenaires aujourd'hui, observaient une certaine distance. Peut-être faudrait-il même parler de méfiance. Il ajoute que « les vieux observateurs des conflits du Proche-Orient – et il n'en manquait pas dans l'assistance – le soulignaient volontiers : de cette cérémonie sur les pelouses de la Maison-Blanche rien n'est venu rappeler l'enthousiasme des uns et l'abattement de certains autres, qui accueillirent, il y a quinze ans, le voyage, à Jérusalem, du président égyptien, Anouar Sadate ».
Comme pour souligner ce manque d'euphorie, pas un discours n'omet de faire référence aux difficultés à venir.
C'est ainsi que le président américain, maître de cérémonie, déclare : « Nous savons qu'un difficile chemin nous attend. » Son chef de la diplomatie, Warren Christopher, ajoute : « Nous n'avons pas droit à l'échec. » Alors que son homologue russe, Andreï Kozyrev, coparrain de l'accord, est beaucoup plus pessimiste : « Je pense que le moment est, certes, venu de nous réjouir, mais certainement pas de céder à l'euphorie. »
Même son de cloche chez les protagonistes eux-mêmes. Shimon Peres insiste sur le fait que « le défi est énorme », alors que Mahmoud Abbas évoque « le début d'un voyage sur lequel planent de nombreux défis ».
Près de 3 000 invités ont assisté à la cérémonie de signature des accords intérimaires de paix,
qui ont eu lieu à la Maison-Blanche.
Les défis
Les premiers défis sont d'ordre interne chez chaque partie.
En effet, les territoires palestiniens sont en ébullition ce fameux 13 septembre. Des scènes de protestation et de soutien organisées respectivement par les intégristes du Hamas et les partisans de l'OLP. Des muezzins de la ville de Gaza et des camps de réfugiés alentour psalmodient sans interruption des versets du Coran dans les haut-parleurs des mosquées sur lesquelles flottent des drapeaux noirs du Hamas, en signe de deuil. En revanche, à Jéricho en Cisjordanie, les écoliers sont en vacances. Des drapeaux palestiniens et des portraits de Yasser Arafat sont hissés partout dans la ville où des défilés de soutien ont lieu durant la journée. Par contre, à Ramallah, à Naplouse et à Jénine, des pneus sont incendiés et des barrages de pierres sont érigés par les opposants au processus de paix.
Les discours politiques sont assez virulents. À l'instar de Moustapha Khoumais, du FPLP – commandement général d'Ahmad Jibril, qui déclare : « Je vous apporte de bonnes nouvelles : des opérations-suicide pour torpiller cet accord qui constitue une trahison vont commencer. »
La police et l'armée israélienne ont pris des mesures draconiennes pour éviter des attaques anti-israéliennes.
Du côté de l'État hébreu, Rabin avait déjà précisé qu'un référendum sur l'accord de paix avec l'OLP était envisageable si la Knesset n'adoptait pas cet accord. Il a de ce fait souligné qu'il devrait se battre pour parvenir à une majorité indiscutable au Parlement.
Aujourd'hui, 22 ans plus tard, cet accord n'a jamais abouti à la paix entre Israéliens et Palestiniens. Un rêve brisé notamment par l'assassinat de Yitzhak Rabin deux ans après Oslo par un extrémiste juif, Yigal Amir, opposé aux accords de paix.
Sources :
Archives L'Orient-Le Jour
Archives Le Monde
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Portrait
Arafat, le « terroriste », Nobel de la paix
Une Palestinienne hurlant son chagrin après l'annonce de la mort de Yasser Arafat.
Ali Hashisho/Reuters
La vie, la politique, l'héritage et même la mort de Yasser Arafat ont toujours été sujets à controverse. L'homme a marqué de son empreinte toute une époque, surtout au Proche-Orient.
Héros pour certains, terroriste pour d'autres, Arafat ne laisse personne indifférent. Il a exprimé et symbolisé les aspirations nationales du peuple palestinien durant presque un demi-siècle. Bien que souvent critiqué pour ses choix stratégiques, ses décisions unilatérales, accusé même de corruption, Yasser Arafat reste un symbole historique car il a consacré sa vie à la cause palestinienne. Au prix de nombreuses contorsions, il s'est efforcé tout au long de sa vie de faire en sorte que le peuple et sa cause n'aillent pas dans les oubliettes de l'histoire. Il a par ailleurs tout essayé pour échapper à l'hégémonie des régimes arabes qui voulaient instrumentaliser la cause palestinienne pour leur propre intérêt.
Un vrai renard en politique, Arafat a adopté tout au long de sa carrière la politique qui le protégeait le mieux. Un pas en avant s'accompagnait souvent d'un pas en arrière. Nombre de ses défaites se sont transformées en victoires, et vice versa. Son principal accomplissement reste d'avoir remis la Palestine sur la carte du monde. Rayés de la carte au lendemain de la défaite de 1948, condamnés à l'exode, les Palestiniens existent de nouveau, grâce à son long combat non achevé.
De son vrai nom Mohammad Abdel Rahman Abdel Raouf Arafat al-Qoudwa al-Husseini, connu aussi sous son nom de guerre Abou Ammar, Yasser Arafat est né officiellement le 24 août 1929 au Caire. Toutefois, le lieu et la date de naissance de Arafat ont été parfois l'objet de controverse, lui-même déclarant être est né à Jérusalem le 4 août 1929. Issu d'une famille palestinienne de Gaza originaire d'Égypte, il est le fils d'un commerçant. Il passe la plus grande partie de son enfance et de son adolescence au Caire, avec ses six frères et sœurs, où, selon plusieurs auteurs, ils vendaient des falafels au souk. Après le décès de sa mère, alors qu'il a cinq ans, il passe avec l'un de ses frères quatre ans à Jérusalem chez son oncle maternel, avant d'être rappelé par son père en Égypte lorsque ce dernier se remarie.
En 1949, il entre à l'École d'ingénieurs de l'Université du roi Fouad 1er, au Caire, où il obtient un diplôme d'ingénieur civil. Étudiant, il milite aux côtés des Frères musulmans, sans pour autant rejoindre leurs rangs. Yasser Arafat va y rencontrer ses futurs compagnons d'armes palestiniens, Abou Iyad, Abou Jihad et bien d'autres.
Son diplôme d'ingénieur en poche, il part au Koweït. C'est dans ce petit émirat qu'il va fonder avec une poignée de compagnons un soir de 1958 un mouvement de libération nationale avec pour but de mener une guerre totale pour libérer la Palestine. Ils se dotent d'abord d'un journal, Falastinouna (Notre Palestine), puis, un an plus tard, d'un sigle, Fateh, formé à partir des initiales inversées de Harakat Tahrir Falastine (Mouvement de libération de la Palestine). À cette époque, le temps était à la guérilla, pas au dialogue.
Ils organisent alors des raids en territoire israélien. Le Fateh devient une composante de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1968 et Arafat est élu à sa tête un an plus tard. Vient par la suite des épisodes qui sont restés noirs dans le registre de Arafat, dont le passage en Jordanie qui s'est terminé par le tristement célèbre Septembre noir pour chasser l'OLP qui avait instauré un État dans l'État. Même scénario au Liban, qui a fini par l'opération Paix en Galilée en 1982 pour chasser Arafat de Beyrouth. Ce dernier ira finalement en Tunisie.
Parallèlement, les mouvements palestiniens poursuivront leurs attaques terroristes dont la plus célèbre reste celle contre les athlètes israéliens durant les Jeux olympiques de Munich en 1972.
Encourageant pendant longtemps les actions terroristes, ce n'est qu'à partir de 1974 que Yasser Arafat commence à privilégier un règlement politique du conflit. Au 8e sommet arabe de Rabat, cette année-là, il obtient la reconnaissance de l'OLP comme le « seul et légitime représentant du peuple palestinien ».
L'Assemblée générale de l'Onu avait déjà reconnu l'OLP, peu auparavant, par 105 voix contre 4. Appelé à la tribune des Nations unies, Arafat plaide en faveur d'un règlement pacifique et expose ses plans d'avenirs : un État palestinien souverain et démocratique, dans lequel les juifs seraient invités à vivre en harmonie avec les musulmans et les chrétiens. Néanmoins, il rejette toute forme de reconnaissance d'un État israélien. Bien qu'ambiguë, il s'agit de la toute première offre de paix présentée par Arafat : « Aujourd'hui, je suis venu porteur d'un rameau d'olivier et d'un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main. Je le répète : ne le laissez pas tomber de ma main. » Les observateurs et journalistes du monde entier reconnaîtront le talent politique d'Arafat qui a réussi en quelques jours à faire d'un drame ignoré un débat international, et à changer les mentalités, alors que jusqu'ici les Palestiniens étaient représentés comme des fedayine terroristes.
Après l'intifada en 1987, et surtout après la guerre du Golfe ou il commet l'erreur de soutenir Saddam Hussein, Arafat s'engage avec l'OLP à poursuivre dans la voie diplomatique. Cela aboutira aux accords d'Oslo en 1993, qui scellent la reconnaissance mutuelle entre l'OLP et l'État d'Israël. Il sera élu président de la nouvelle Autorité palestinienne en 1996. Dans l'intervalle, il aura reçu le Nobel de la paix avec les deux dirigeants israéliens, Yitzhak Rabin et Shimon Peres.
La réalité sur le terrain est tout autre. Le vieux raïs perd du crédit au profit des islamistes du Hamas. Avec le déclenchement de la seconde intifada, sa position se fragilise de plus en plus, tiraillée entre la défense des accords de paix et les revendications des Palestiniens qui s'y opposent de plus en plus, même au sein de son propre camp.
À partir de 2001, confiné à Ramallah par Ariel Sharon, il perd peu à peu sa place de leader dans les négociations sur la résolution du conflit. Yasser Arafat va passer les dernières années de sa vie enfermé dans la Mouqataa, son QG de Ramallah, encerclé par les forces israéliennes. En octobre 2004, gravement malade, il quitte Ramallah pour se rendre en France, ou il décède le 11 novembre. De nombreuses sources ont évoqué l'hypothèse d'un empoisonnement, des accusations qui ont été démenties par la suite par plusieurs rapports.
Arafat s'est marié avec sa secrétaire, Souha Tawil, de 34 ans sa cadette, en 1990. Ils ont eu ensemble une fille, Zahwa, née en 1995 à Paris.
La une de « L'Orient-Le Jour » du 14 septembre 1993.
Dans le prochain épisode: le jour où Mohammad al-Doura est devenu le symbole de la seconde intifada
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Le jour où... la révolution des pierres a réveillé le sentiment national palestinien
Le jour où la guerre Iran-Irak a éclaté...
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