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Moyen Orient et Monde - La saga de l'été

Le jour où... Balfour a fait sa déclaration sur le Foyer juif

Arthur James Balfour est, par sa lettre ouverte au baron de Rothschild, l'un des personnages-clés qui a entraîné la création de l'État d'Israël. Et en pleine Première Guerre mondiale, cette démarche était tout sauf désintéressée...

Le bureau d’Arthur James Balfour au musée de la Diaspora, à Tel-Aviv.

Il aura suffi d'une lettre de 120 mots pour changer l'histoire. Car ce document, plus connu sous le nom de Déclaration de Balfour et daté du 2 novembre 1917, est considéré comme l'une des premières étapes qui ont contribué à la création de l'État d'Israël en 1948, modifiant pour toujours la physionomie du Moyen-Orient. Adressée à lord Lionel Walter Rothschild, un (très) riche banquier juif, cette lettre ouverte est publiée à Londres dans l'édition du 9 novembre du Times, sous la têtière « Palestine for the Jews. Official Sympathy ».
« Cher lord Rothschild,
J'ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie à l'adresse des aspirations juives et sionistes, déclaration soumise au Parlement et approuvée par lui :
Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les juifs jouissent dans tout autre pays.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à l'attention de la Fédération sioniste.
Arthur James Balfour »

Année de l'impasse
Lorsque cette lettre est publiée en Grande-Bretagne, la Grande Guerre ravage depuis trois ans déjà l'Europe et le reste du monde, divisé en deux camps : la Triple Entente et la Triple Alliance, ou Triplice. La première est composée de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, ainsi que des différents pays colonisés par ces empires. Le Japon, l'Italie, la Roumanie, et les États-Unis rejoindront cette alliance au fur et à mesure que la guerre se prolonge. La Triplice, elle, est composée de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie, de l'Empire ottoman, du royaume de Bulgarie, et des différents pays qu'ils contrôlent. De son côté, la Palestine fait partie de l'Empire ottoman, qui tient bon malgré d'importantes pertes territoriales. Cette année-là, tous les pays impliqués dans la guerre sont dans l'impasse ; reculant à tour de rôle, les armées n'engrangent que peu de victoires, tandis que les populations et les troupes sont totalement démoralisées face à l'ampleur d'un conflit interminable. Beaucoup plus à l'est, en Russie, deux révolutions, en février et en octobre 1917, changent la donne et finissent par porter les bolcheviques au pouvoir, après que le tsar Nicolas II, profondément antisémite, a abdiqué. En mauvaise posture, les différents gouvernements occidentaux tentent donc de rallier un maximum de soutiens, à la fois politiques et matériels. Les accords secrets, qui concernent notamment les régions pétrolifères, se multiplient : le traité de Londres en 1915 permet à l'Italie d'entrer en guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne en échange de territoires. Les accords de Sykes-Picot de 1916 voient Paris et Londres préparer le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre, tandis que gronde la révolte arabe contre un Empire ottoman moribond.

 

 

Alfred Milner
C'est à ce moment que lord Balfour, à l'époque ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement du Premier ministre David Lloyd George, publie cette déclaration... qui aurait en réalité été rédigée par Alfred Milner, homme d'État particulièrement important en termes de politique étrangère britannique pendant le conflit. D'autres sources affirment que la lettre de Balfour à Rothschild aurait été rédigée par le banquier lui-même, en compagnie de leaders sionistes Nahum Sokolow et Chaim Wiezmann, fondateur de l'Organisation sioniste et, plus tard, le premier président d'Israël. En parallèle, face à une Europe de plus en plus antisémite, les partisans de l'établissement d'un « Foyer juif » se font de plus en plus nombreux, notamment influencés par les théories de Theodor Herzl, l'intellectuel à l'origine du sionisme politique moderne et fervent adepte de la création d'un État juif (et non d'un simple « Foyer » comme le propose Balfour) en Palestine.
Mais, surtout, il s'agit de s'attirer les bonnes grâces d'une diaspora juive particulièrement bien nantie. Winston Churchill le confirmera des années plus tard dans un article publié le 3 novembre 1930 par l'Agence télégraphique juive : « L'année 1917 marqua peut-être la période la plus maussade et la plus sombre de la guerre. (...). C'était l'époque où les éléments les plus résolus du gouvernement britannique cherchaient à enrôler toute influence capable de garder unies à la tâche les nations alliées. Le mouvement sioniste, dans le monde entier, était activement proallié, et en particulier probritannique. (...) La Déclaration de Balfour ne doit donc pas être regardée comme une promesse faite pour des motifs sentimentaux, c'était une mesure pratique prise dans l'intérêt d'une cause commune à un moment où cette cause ne pouvait se permettre de négliger aucun facteur d'assistance matérielle ou morale. »

La version originale de la Déclaration de Balfour.



Promesses brisées

Et la déclaration de Balfour porte ses fruits. Si elle ne pousse pas les États-Unis à entrer en guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne – c'est déjà le cas depuis le mois d'avril – dès 1918, en revanche, le mouvement sioniste s'empresse de fêter le premier anniversaire de la publication de la déclaration en organisant une parade à Jaffa. Au cours de la conférence de San Remo en 1920, la Palestine est placée sous mandat britannique, brisant les promesses faites aux nationalistes arabes, qui rêvent de leur côté d'un État indépendant. À peine créée, la Société des Nations (SDN, ancêtre de l'Onu actuelle) reconnaît la déclaration, et prévoit en 1922 que la Grande-Bretagne – qui s'intéresse particulièrement au canal de Suez, à portée de main – sera « responsable de la mise à exécution de la déclaration originairement faite le 2 novembre 1917 par le gouvernement britannique et adoptée (par les puissances alliées), en faveur de l'établissement d'un foyer national pour le peuple juif ».

 

(Pour mémoire : Combien d'anniversaires l'accord de Sykes-Picot fêtera-t-il encore ?)


Dès que les différentes populations arabes prennent connaissance, en 1918, de la déclaration tenue secrète jusque-là, plusieurs associations islamo-chrétiennes sont créées dans les grandes villes palestiniennes pour promouvoir le développement du pays et s'opposer clairement au texte de Balfour ; elles tiennent leur premier Congrès en 1919. Il faut préciser aussi que le monde musulman craint la prise de Jérusalem par les juifs. Certains gouvernements, comme la France, soutiennent la Grande-Bretagne ; d'autres, comme l'Italie, jouent la carte de la prudence et insistent sur le respect des communautés non juives présentes en Palestine.
Mais c'est trop tard, et tous les éléments du drame à venir sont déjà en place pour le déroulement d'un conflit encore sanglant plusieurs décennies plus tard. Et pour certains, la déclaration de Balfour et ce qui s'ensuit ne sont qu'une spoliation des droits palestiniens. « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d'une troisième », comme le résume parfaitement le journaliste Arthur Koestler.


Bibliographie 
:
Encyclopaedia Universalis
Encyclopaedia Britannica
Gov.ok
« Behind the Balfour declaration », l'article de Robert John dans The Journal for Historical Review – vol. 6, num. 4, hiver 1985-86.
History.com

 

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Portrait
Balfour, « bloody Balfour »

 

Lord Arthur James Balfour.

 

Né en 1848 à Wittingehamme en Écosse, Arthur James Balfour est issu de la gentry. Comme tous les fils de bonne famille, il fait ses études à Eton, puis au Trinity College de l'Université de Cambridge. Il s'intéresse particulièrement aux sciences humaines et se passionne notamment pour la philosophie. Il publie plusieurs ouvrages, comme Fondement de la foi, Défense du doute philosophique et Théisme et Humanisme. Il est toutefois progressivement poussé à s'intéresser à la politique par son oncle lord Salisbury. Élu à la Chambre des communes en 1874, il y siège quatre ans avant de devenir le secrétaire personnel de son oncle, alors secrétaire aux Affaires étrangères. C'est en l'accompagnant au congrès de Berlin qu'il vit sa première expérience de politique étrangère, dans le contexte de la résolution du conflit russo-turc.

En 1885, il devient membre du Fourth Party de Randolph Churchill, qui se distingue des trois partis principaux britanniques : conservateurs, libéraux et nationalistes irlandais. Entre 1887 et 1891, il grimpe les échelons et occupe le poste de ministre chargé des Affaires écossaises, avant de devenir celui, particulièrement important, des Affaires irlandaises. Malgré les nombreux doutes concernant ses capacités à assumer ses charges, il relève le défi et surprend ses détracteurs en menant sa tâche à bien. Il y acquiert dans le même temps le surnom peu flatteur de « bloody Balfour », réprimant le soulèvement irlandais avec une violence inouïe. Parallèlement, une réforme sociale est appliquée, calmant le conflit irlandais pendant de nombreuses années.

Ayant fait ses preuves de manière définitive, son ascension devient rapide. En 1891, il est ainsi nommé premier lord au Trésor, et leader de la majorité gouvernementale à la Chambre des communes. Lorsqu'en 1902, lord Salisbury se retire de la vie politique, Arthur James Balfour devient Premier ministre. Des réformes sont alors votées, notamment dans le domaine de la défense et de l'éducation. Mais, surtout, il participe en 1904 à la signature de multiples accords entre son pays et la France, plus connus sous le terme d'Entente cordiale. Cette alliance constituera d'ailleurs la base de la Triple Entente signée avec l'Empire russe trois ans plus tard. Néanmoins, de trop nombreuses dissensions ont fait vaciller la popularité de Balfour depuis son accession à la tête du gouvernement et il finit par démissionner en 1905.

Balfour demeure le leader du Parti conservateur jusqu'en novembre 1911, date à laquelle il démissionne de son poste sans pour autant quitter les rangs conservateurs. Il continue d'occuper une place importante dans la vie politique de son pays, mais ce n'est qu'en 1915 qu'il revient en force en tant que premier lord de l'Amirauté dans le gouvernement de coalition du Premier ministre Herbert Henry Asquith. Après la Première Guerre mondiale, lord Balfour représente son pays à plusieurs occasions historiques : la conférence de paix de Versailles en 1919 (qui donne lieu au Traité de Versailles) ; la première conférence de la Société des Nations, ancêtre de l'Onu, en 1920 ; la conférence de Washington en 1921, etc. Au cours de la décennie qui suit et jusqu'à sa mort en 1930, il est anobli, nommé président de la British Academy et chancelier de l'Université de Cambridge, entre autres reconnaissances prestigieuses.

Tout au long de sa carrière, ce personnage si public reste toutefois entouré de mystère lorsqu'il s'agit de sa vie personnelle. Resté célibataire pour se concentrer sur sa carrière, de nombreuses rumeurs d'homosexualité le suivent jusqu'à sa mort, bien qu'aucune preuve ou témoignage n'étayent ces dires. En revanche, il est quasi certain qu'il ait entretenu pendant 40 ans une relation intime doublée d'une profonde amitié avec la comtesse de Wemyss. Jusqu'à aujourd'hui, plusieurs biographes et témoins affirment que l'ancien Premier ministre était particulièrement friand de sadomasochisme...

 

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Dans le prochain épisode : Le jour où... Roosevelt et Ibn Séoud ont scellé le pacte du Quincy.

Il aura suffi d'une lettre de 120 mots pour changer l'histoire. Car ce document, plus connu sous le nom de Déclaration de Balfour et daté du 2 novembre 1917, est considéré comme l'une des premières étapes qui ont contribué à la création de l'État d'Israël en 1948, modifiant pour toujours la physionomie du Moyen-Orient. Adressée à lord Lionel Walter Rothschild, un (très) riche...

commentaires (4)

UN CHOIX... TRÈS BRITISHISÉ !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 08, le 04 août 2015

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Commentaires (4)

  • UN CHOIX... TRÈS BRITISHISÉ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 08, le 04 août 2015

  • On vogue entre mythe et réalités . Les juifs ont longtemps hésité entre l'Ouganda , l'Argentine et la Lithuanie en Europe . La propagande a fini le travail , quelqu'est pu être le pays choisi . Le choix de le Palestine usurpée, fut bien avant un génocide pratiqué par l'occident en 1939 un choix parmi tant d'autres . ça c'est pour le mythe , quant à la réalité l'Ouganda en Afrique était une terre de colonisation comme il s'en faisait à l'époque , et qui ont servi de réservoirs de minerais à l'Europe , et vous pensez bien que les juifs du début du 20eme siècle ne pouvait pas le voir le vivre et se taire .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 03, le 03 août 2015

  • Lord Balfour était de les dimension du réformateur Cromwell ,il était un homme très en avance sur son temps ,il a envisagé la création d'une entité préservant les minorités , par des voies purement juridiques et non par la guerre ...! Il a tourné une page historique qui a sonné l'instant T de la décolonisation des empires ...hélas au moyen orient , les chrétiens en général ,les Yazidis, les kurdes et autres minorités, n'ont pas bénéficiés du modernisme politique de cet homme....

    M.V.

    09 h 08, le 03 août 2015

  • Projet d'un foyer juif puis d'un état israélien qui se réaliseront par le terrorisme contre les Palestiniens en Palestine! Menachem Begin a conté tous les détails de ce complot dans son ouvrage 'Mes nuits blanches'.

    Dounia Mansour Abdelnour

    02 h 56, le 03 août 2015

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