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Moyen Orient et Monde - La saga de l'été

Le jour où la guerre Iran-Irak a éclaté...

En pleine guerre froide, dans un contexte de réajustement des puissances régionales après les accords de Camp David et le déclenchement de la révolution iranienne, le conflit entre Téhéran et Bagdad éclate le 22 septembre 1980, officiellement pour une question territoriale. Il cache en fait une ambition dévorante des leaders des deux côtés du Chatt el-Arab.

Photomontage de la guerre Iran-Irak. Source Wikipédia

22 septembre 1980. Le scénario prévisible, que tout le monde redoutait depuis déjà plusieurs semaines, a finalement lieu : l'Iran de l'ayatollah Khomeyni et l'Irak de Saddam Hussein entrent en guerre. L'opposition entre les deux mastodontes du Golfe, qui se disputent la possession du Chatt el-Arab, voie d'eau formée par la jonction du Tigre et de l'Euphrate, fait trembler la planète et particulièrement les deux grands. Le président américain Jimmy Carter s'empresse de déclarer que les États-Unis ne prendront position pour aucun des deux pays, craignant que cette guerre enterre les négociations sur le sort des otages américains retenus à Téhéran. En froid avec Bagdad depuis 1967, les Américains commencent à nouer des nouvelles relations avec l'Irak depuis l'éclatement de la révolution islamique à Téhéran. Du côté de Moscou, c'est le silence radio. Cette guerre met l'URSS dans une position des plus délicates : un pacte de défense lie le Kremlin à Bagdad, mais Moscou veut ménager le pouvoir de Téhéran, foncièrement anti-impérialiste, et négocier sa neutralité dans l'affaire afghane. Quant aux milieux pétroliers, ils s'inquiètent mais ne s'affolent pas tant que le détroit d'Ormuz n'est pas bloqué.
Sur le terrain, l'aviation irakienne bombarde plusieurs bases et aérodromes militaires iraniens, notamment celle d'Ahwaz dans le Khouzistan, province pétrolière qui compte une forte minorité arabophone et dont la souveraineté était revendiquée par l'Irak avant les conclusions des accords d'Alger de 1975. À Bagdad, la population se prépare à une aggravation des événements avec l'Iran. Devant leur transistor ou leur télévision, les Irakiens sont à l'affût des nouvelles. Dans le quartier de Bab el-Mouazzam, près du ministère de la Défense, et dans les villes religieuses de Najaf et de Kerbala, plus de cent mille personnes manifestent et crient des slogans parmi lesquels : « Avec notre âme, avec notre sang, nous te défendrons Saddam » ou « Donnez-nous des armes pour combattre les Persans ».

 

 

Deux versions d'une même guerre
La guerre entre ces deux États est riche de symboles qui encouragent les deux peuples à se mobiliser : la République islamique chiite qui combat un régime baassiste dirigé par un sunnite dans un pays pourtant majoritairement chiite, les Perses contre les Arabes, les descendants de Nabuchodonosor contre ceux de Cyrus. Mais c'est aussi une guerre d'informations entre deux puissances qui donnent quotidiennement deux versions d'un même conflit.
Le mardi 23 septembre 1980, les Irakiens envahissent le Khouzistan sur une profondeur de 15 km et encerclent la ville d'Abadan où se trouve la deuxième plus grande raffinerie au monde. En riposte, l'aviation iranienne bombarde Bagdad à trois reprises faisant de nombreuses victimes. Bagdad pose alors trois conditions pour mettre un terme au conflit : respect de la souveraineté irakienne sur les limites territoriales bordant l'Iran, reconnaissance et respect des droits légitimes de l'Irak sur le Chatt el-Arab et restitution par l'Iran à la souveraineté arabe de trois îles proches du détroit d'Ormuz : la Grande et la Petite Tomb et Abou Moussa. Sans communication, l'Iran est complètement isolé du monde extérieur.
Quelque 24 heures après le déclenchement des hostilités, l'attention du monde entier se porte sur les 1 500 km de frontière commune entre l'Irak et l'Iran. Mais, plus surprenant, le monde arabe reste étrangement silencieux, à l'exception de la Jordanie et du Koweït qui prennent position en faveur de l'Irak et de l'Égypte qui proclame sa neutralité.
Divisés par la signature des accords égypto-israéliens de Camp David, le 17 septembre 1978, les États arabes semblent complètement dépassés par cette nouvelle guerre qui, quel que soit le vainqueur, pourrait profondément bouleverser les équilibres régionaux. Mais, peu à peu, l'idée que l'Irak est en train de représenter le monde arabe contre l'islamisme perse s'impose. Au Koweït, le quotidien as-Siassa écrit que l'Irak a modifié la carte de la région et a rétabli une situation historique favorable non seulement aux droits des peuples irakiens mais aussi aux revendications légitimes de tous les Arabes. « La victoire de l'Irak sur les orgueilleux détenteurs du pouvoir à Téhéran prouve que les Arabes peuvent mener à bien une guerre quand ils ne sont pas trop désavantagés par l'équilibre des forces avec l'adversaire », écrit l'éditorialiste du journal.

 

Guerre totale
Quatre jours après le début du conflit, Riyad affiche enfin ses sympathies pour Bagdad, lui assurant son soutien total. À ce moment-là, la Jordanie, le Koweït, le Yémen du Nord, le Maroc et la Mauritanie ont apporté leur soutien à Bagdad. La Syrie commence à montrer sa préférence pour l'Iran alors que le Daily Telegraph rapporte que Damas livre d'importantes quantités d'armes à Téhéran. Alors que les deux superpuissances s'engagent à demeurer neutres dans conflit, le président égyptien Anouar el-Sadate considère que c'est là une excellente occasion pour mener un coup d'État en Iran.
Sur le terrain, les Irakiens annoncent leur mainmise sur la ville iranienne de Mahran, au sud de la province de Kermanchah. Le président iranien Bani Sadr reconnaît la supériorité militaire de Bagdad mais compte sur un rapide essoufflement de ses ressources. Il affirme que l'Iran ne fermera pas le détroit d'Ormuz tant qu'il se battra « seulement avec Bagdad ».
Les deux ennemis se livrent désormais une « guerre totale », selon l'aveu même de Bagdad. L'Irak prend l'avantage des combats terrestres, mais l'Iran continue de bombarder Bagdad et profite de la profondeur stratégique de son territoire.
Une semaine seulement après le début des combats, Bagdad opte pour la guerre d'usure alors que Téhéran continue de refuser toute médiation. Les enjeux sont désormais clairs, bien au-delà du simple conflit territorial et de l'autodétermination de la région du Khouziztan-Arabistan : faire tomber le régime des mollahs pour Bagdad, déclencher une révolte chiite contre Saddam pour Téhéran. Celui qui l'emportera deviendra le nouveau gendarme du Golfe.
L'analyse du journal britannique The Guardian résume à peu près la position des Occidentaux dans ce conflit : « Le président irakien est en train de démontrer de la façon la plus spectaculaire – quoi qu'en pense le Congrès américian et le lobby sioniste – qu'en terme de realpolitik, il est un dirigeant avec qui les États-Unis peuvent faire des affaires sérieuses. » Saddam est vu comme un rempart contre l'expansion islamiste. On apprendra des années plus tard que Saddam avait reçu le feu vert américain pour lancer l'opération.
La guerre entre l'Iran et l'Irak durera huit ans et fera près d'un million de morts. Elle laissera deux pays complétement ravagés par la guerre, tant humainement qu'économiquement. En somme, deux grands perdants...

(Sources : archives « L'Orient- Le Jour »)

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Portraits

 


Saddam le rouge


Saddam Hussein. Pool/David Fur/AFP


Le verdict tombe le 5 novembre 2006. Après plusieurs mois d'un procès qui ressemble à un pur règlement de comptes, Saddam Hussein est reconnu coupable de crimes contre l'humanité par le Tribunal spécial irakien (TSI) et condamné à mort par pendaison.
À l'offensive durant toute la durée du procès, se retranchant constamment derrière le sentiment national irakien et la raison d'État, accusant sans cesse l'administration Bush de tous les maux de l'Irak sans jamais exprimer la moindre once de regret, l'ancien président interdit à ses avocats de réclamer sa grâce. Sans doute était-il persuadé, dès le départ, que ce procès ne pouvait pas finir autrement...
Les chefs d'accusation envers Saddam Hussein auraient de quoi faire pâlir les plus féroces dictateurs du monde arabe : la guerre Irak/Iran, le massacre en 1983 de membres de la tribu kurde des Barzani, le gazage des Kurdes à Halabja en 1988, l'invasion du Koweït en 1990, l'écrasement de la rébellion chiite en 1991, sans compter les meurtres avec préméditation de chefs de partis politiques et de dignitaires religieux. Ils ne suffisent pourtant pas à décrire la brutalité du personnage. Manipulateur, mégalomane, paranoïaque au point de ne jamais dormir deux soirs de suite au même endroit, l'homme ne faisait confiance à personne, au point d'éliminer ses alliés tout autant que ses adversaires.
Davantage que sa vie, c'est sa façon d'exercer le pouvoir qui raconte le mieux le personnage, comme un livre raconte un auteur. L'histoire d'un homme admirant Churchill, méprisant Sadate et détestant Assad. Un homme qui, à l'instar de Nasser, dont il se considérait le successeur, avait compris l'immense crédit politique que lui procurerait une posture nationaliste arabe et anti-impérialiste, instrumentalisant les appartenances tribales et communautaires. Une posture qui lui permettra notamment de massacrer les Kurdes et les chiites, d'entrer en guerre contre l'Iran et contre le Koweït, tout en restant au pouvoir après l'intervention américaine au moment de la première guerre du Golfe.
Ayant, comme tous les grands hommes politiques, l'obsession de la postérité, Saddam Hussein était jusqu'au dernier moment persuadé que son nom serait associé aux heures de gloire de l'Irak. Son règne illustre plutôt toutes les dérives des dictatures issues du nationalisme arabe au cours de la seconde moitié du XXe siècle : l'obsession sécuritaire, le culte du chef, les assassinats politiques, les délires paranoïaques, les relations ambivalentes avec les deux superpuissances... En bref, la dictature de la peur.
Le 30 décembre 2006, la vidéo de l'exécution par pendaison de l'ancien dictateur est largement diffusée, et relayée à la télévision et sur la toile. Une partie des Irakiens jubilent et fêtent l'événement. Le corps du défunt est amené dans la résidence du nouveau Premier ministre, Nouri al-Maliki, comme pour célébrer une ultime vengeance. Après 35 ans de règne sans partage, l'Irak tourne la page Saddam Hussein. Mais commence alors un nouveau calvaire – l'intervention américaine étant passée par là – qui n'a pas grand-chose à envier à la période qui l'a précédé en termes de violence, d'injustice et de répression. Une partie de l'héritage, sans doute, des années Saddam.



Ni Xersès ni Ali : Khomeyni


L'ayatollah Ruhollah Khomeyni. Gabriel Duval/AFP


Tout le génie politique de l'ayatollah Khomeyni peut se résumer en deux points.
Le premier est sa parfaite maîtrise du timing. Né en 1902, Ruhollah Moussavi Khomeyni passe la plus grande partie de son existence en dehors de la vie politique. Ce n'est qu'en 1961, alors qu'il obtient le rang de marjae taqlid – modèle d'inspiration–, qu'il commence à affirmer à voix haute sa vision des rapports entre le politique et le religieux. Ses critiques acerbes contre le régime du chah le contraignent à l'exil mais lui permettent d'acquérir une popularité suffisante pour espérer un retour triomphal. Celui-ci arrivera 15 ans plus tard, le 1er février 1979. Un mois plus tard, il instaure la République islamique en Iran. Khomeyni devient le guide suprême de la révolution et obtient la quasi-totalité des pouvoirs. L'exil à Neauphle-le-Château, en banlieue parisienne, paraît déjà bien loin.
Le second est sa capacité à construire un discours politique, dans un langage marxisant et anti-impérialiste, à partir de thèmes pourtant profondément antagonistes : islamisme et nationalisme, politique et mysticisme, ordre et révolution, profane et sacré, foi et loi. Lorsqu'il revient triomphalement à Téhéran, Khomeyni incarne et transcende toutes ces aspirations, issues de la révolution. Il réalise le fantasme absolu des Frères musulmans, de qui il s'est ouvertement inspiré pour penser son modèle politique du vilayet-e-faqih : être à la tête d'un État islamique, au sens moderne du terme. Un État où le politique prétend être au service du religieux.
L'homme se présentait comme un réformateur, il deviendra le parangon du clan des conservateurs. Il se voulait révolutionnaire éclairé, il gouvernera comme un despote expérimenté. Il avait promis des avancées au niveau des droits des femmes, il décrétera l'obligation du port de voile le 8 mars 1979, à l'occasion de la Journée internationale de la femme.
Loin des idées de pureté, de spiritualité et de mysticisme, les années Khomeyni ont été marquées par la répression, la peur et la volonté des gardiens de la révolution de tout contrôler. Cachait-il son jeu depuis le début afin d'obtenir la bienveillance de certaines puissances occidentales ou est-ce le contexte politique de l'époque qui l'a obligé à durcir son discours ? Difficile de répondre à cette question a posteriori. Habile politicien, Khomeyni a certainement modéré son discours auprès de certains de ses interlocuteurs. Mais le contexte général de la révolution, les luttes internes de pouvoir, la tension dans les relations entre Téhéran et Washington, la longue et éreintante guerre contre l'Irak ont sans doute contribué à transformer l'homme et le régime. Autrement dit, c'est le politique qui devait inévitablement l'emporter sur le religieux, ce dernier devenant simplement un instrument au service du premier. Ou l'impossibilité d'être à la fois Xersès et Ali au pays de Zarathoustra...

 

 

 

Dans le prochain épisode : Le jour où Bush a annoncé un « nouvel ordre mondial »

 

 

Les épisodes précédents
Le jour où... Sadate s'est rendu en Israël

Le jour où... Hafez el-Assad s'est emparé du pouvoir

Le jour où... le roi Hussein a repris le contrôle de la Jordanie

Le jour où... Kadhafi a renversé la monarchie

Le jour où... Nasser a démissionné

Le jour où ... la France a signé son départ d'Algérie

Le jour où... la République arabe unie a été proclamée

Le jour où Nasser a nationalisé le canal de Suez...

Le jour où... la partition de la Palestine est adoptée

Le jour où... Roosevelt et Ibn Saoud ont scellé le pacte du Quincy

Le jour où... Balfour a fait sa déclaration sur le Foyer juif

Le jour où... Lawrence d'Arabie a rencontré l'émir Fayçal

22 septembre 1980. Le scénario prévisible, que tout le monde redoutait depuis déjà plusieurs semaines, a finalement lieu : l'Iran de l'ayatollah Khomeyni et l'Irak de Saddam Hussein entrent en guerre. L'opposition entre les deux mastodontes du Golfe, qui se disputent la possession du Chatt el-Arab, voie d'eau formée par la jonction du Tigre et de l'Euphrate, fait trembler la planète et...
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