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Moyen Orient et Monde - La saga de l'été

Le jour où... Lawrence d’Arabie a rencontré l’émir Fayçal

Au cœur des intrigues les plus romanesques, un personnage-clé : Lawrence d'Arabie. Il sera envoyé par les Britanniques auprès du chérif Hussein, gardien de La Mecque, afin d'attiser la grande révolte arabe (1916-1918). Son fils, Fayçal, futur roi d'Irak, prendra le commandement de l'armée, réunissant les tribus arabes, près duquel l'agent anglais combattra.

T.E. Lawrence.

Parce qu'une mission de Sa Majesté ne se refuse pas, parce que c'est l'occasion ou jamais de rentrer dans l'histoire, parce qu'il voit l'Empire ottoman se déliter, T.E. Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d'Arabie, ne pouvait passer à côté de son désir le plus insensé : être aux premières loges de la révolte arabe contre la Sublime Porte.
Dans son ouvrage autobiographique, Les sept piliers de la sagesse, le Britannique confie qu'il « voulait bâtir une nouvelle nation, restaurer une influence disparue, donner à vingt millions de sémites les fondations sur lesquelles édifier un palais inspiré de leurs pensées nationales ».
En juin 1916, l'agent des services secrets britanniques, sous une couverture d'archéologue des plus commodes, est affecté à une mission qui va bouleverser l'ordre des choses au Moyen-Orient. Dans un article du Monde diplomatique datant de 2003, Henry Laurens expose qu'« un certain nombre d'esprits romantiques du Caire » (...) , « dont le futur Lawrence d'Arabie, misent sur une renaissance arabe qui, fondée sur l'authenticité bédouine, se substituerait à la corruption ottomane et au levantinisme francophone ».

Dernier souffle
Après près de 624 années de règne, l'Empire ottoman est sur le point de rendre son dernier souffle. En pleine Première Guerre mondiale, et malgré l'alliance avec l'Empire allemand, les Turcs sentent leur emprise sur la région vaciller et la révolte gronder. Les tribus arabes du Hedjaz, dans la péninsule Arabique alors sous domination ottomane, sentent que le vent tourne enfin en leur faveur. Les Britanniques n'ont plus qu'à attiser la braise. S'établit alors une correspondance épistolaire entre le général Mac Mahon, alors haut-commissaire en Égypte, et le chérif Hussein de La Mecque. Ce dernier accepte la requête des Anglais en échange de la création d'un État arabe indépendant avec pour capitale Damas. Mais leurs nouveaux alliés ne l'entendent pas de cette oreille. Ils promettent, de manière très vague, l'indépendance de l'Arabie et la reconnaissance du califat, ce qu'acceptent les Arabes, sans trop se méfier.
Pour parvenir à fomenter la rébellion, une combinaison de deux éléments est nécessaire : le talent diplomatique d'un émissaire, Thomas Edward Lawrence, chargé de dénicher un leader charismatique parmi la dynastie hachémite, alors gardienne de la ville sainte de La Mecque, ainsi qu'un important soutien pécuniaire.

 


Hussein ben Ali, chérif de La Mecque.

Le « feu » de Fayçal
Après un périple haletant par-delà les montagnes et les dunes, Lawrence, alors âgé de 27 ans, arrive dans le fief de Hussein ben Ali, alors chérif de la ville. Parti à la recherche des grands hommes capables de convenir à la tâche, l'impétueux Anglais relate dans son autobiographie que, sachant le chérif trop vieux, il doit se retrancher sur l'un de ses fils. Mais le troisième enfant de la lignée, Abdallah (futur roi de Jordanie), se montre trop « intelligent », l'aîné Ali trop « propre » et le cinquième, Zeid, trop « cool ». Son choix se porte alors sur Fayçal ben Hussein, le quatrième dans la succession et futur roi d'Irak. Il décèle en l'homme qu'il décrit comme grand et mince, à la longue barbe ébène, « le feu » suffisant pour la lourde tâche qui lui incombe désormais. À Wadi Safra, la rencontre entre les deux hommes se déroule sans fausse note. Fayçal s'enquiert du confort de son hôte et lui demande comment s'est passé son voyage depuis Rabegh. Lawrence fait état, sans surprise, de la chaleur intense, et l'émir s'étonne de la vitesse du trajet en cette saison d'été.



Faycal 1er, roi d'Irak.

 

Armistice de Moudros
Le chef militaire désormais trouvé, et l'argent étant le nerf de la guerre, les Anglais espèrent que le leur parviendra à endormir les rivalités tribales afin de les unifier en une seule et même armée capable de repousser l'occupant. Des armes et des équipements militaires leur sont également fournis. En signe d'amitié et pour sceller leur alliance, les Arabes offrent à Lawrence une tunique blanche de chérif, qu'il arbore avec fierté.
Le 5 juin 1916, le Hedjaz proclame son indépendance, et, cinq jours plus tard, Hussein lance la grande révolte arabe. S'ensuivent alors de nombreuses batailles, dont la prise de la ville d'Aqaba en 1917 (actuelle Jordanie). Tout au long de la guerre, et ce jusqu'à la prise de Damas en octobre 1918 qui sonne le glas de l'Empire ottoman (l'armistice sera signé à Moudros, en Grèce, le 30 octobre), Lawrence se bat fièrement aux côtés de ceux qui l'auront adoubé un temps. Ironie du sort, c'est un tout autre acte qui se répète dans les coulisses des gouvernants français et britanniques.

Chiffon de papier
À peine la Sublime Porte commence-t-elle à vaciller que les puissances européennes se disputent déjà le partage de sa dépouille : un colonialisme en remplaçait un autre sans tenir compte des revendications des peuples arabes. T.E. Lawrence, fidèle à sa patrie, gardera l'entourloupe secrète jusqu'à la fin de la guerre. Dans Les sept piliers de la sagesse, rongé par la culpabilité, il écrit ces lignes : « Le bruit de cet artifice atteignit certaines oreilles arabes par le canal de la Turquie. Les Arabes, qui avaient vu mon amitié et ma sincérité à l'épreuve des combats, me demandèrent de garantir les promesses du gouvernement britannique. Je n'avais jamais été officiellement averti, ni même amicalement renseigné sur les engagements de Mac Mahon et le traité Sykes-Picot : tous deux avaient été établis par les bureaux du Foreign Office. Mais comme je n'étais pas absolument idiot, je voyais bien que si nous gagnions la guerre, les promesses faites aux Arabes seraient un chiffon de papier. Si j'avais été un conseiller honnête, j'aurais dû renvoyer mes hommes chez eux au lieu de les laisser risquer leur vie pour ces histoires douteuses. Mais l'enthousiasme arabe n'était-il pas notre meilleur atout dans cette guerre du Proche-Orient ? J'affirmais donc à mes compagnons de lutte que l'Angleterre respectait la lettre et l'esprit de ses promesses. »
Le sujet de la Couronne sauvegardera les intérêts de son pays et brisera en éclats ses liens d'amitié avec Fayçal. La raison d'État triomphe du romantisme du plus célèbre orientaliste. Celui-là même qui affirmait œuvrer pour la naissance d'une nation arabe et qui participa, en fait, à ce qui fut alors perçu, par ces mêmes Arabes, comme une cruelle trahison. Ou le début d'un nouveau chapitre de tensions et d'incompréhensions entre l'Europe et le monde arabe.

Bibliographie :

Universalis : « Un personnage complexe », l'article de Robert Mantran.
« Les sept piliers de la sagesse »,
Thomas Edward Lawrence, éditions Phebus, 2009.
www.al-lawrence.info


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Portrait
Fuis, Lawrence, fuis...

 

Peter O'Toole dans le film « Lawrence d'Arabie ».

 

Si Lawrence le Gallois était resté dans son Caernarvonshire natal, il aurait peut-être marché sur les traces d'un père dont l'adultère révélé (sir Thomas Robert Chapman est déjà marié à Edith Hamilton, quand il abandonne sa famille pour vivre en concubinage avec la gouvernante de ses filles, Sarah Junner) marque à jamais la vie de son fils.

Thomas Edward Lawrence découvre le secret de sa naissance à l'âge de dix ans. À partir de là, la culpabilité n'aura de cesse de le ronger, résultante probable de l'éducation que lui prodigue sa puritaine de mère qui suit les normes victoriennes de l'époque, peut-être pour expier son propre parcours teinté du péché.
En 1896, la famille s'installe à Oxford, à l'ombre des regards inquisiteurs, en prenant toutefois soin de changer de patronyme. N'ayant jamais pu porter le nom de son père, c'est celui de « Lawrence » qui sera attribué au jeune Thomas Edward. Intrépide, parfois violent, il grandit dans cette Angleterre du Sud-Est, où il s'éprend des romans épiques et où les pierres tombales le fascinent. Il trompe l'ennui en collectionnant des vieilles céramiques trouvées dans les canalisations de la ville. Cette curiosité aiguë ne sera pas étrangère à sa future vocation d'archéologue.

Alors étudiant, il s'amourache des châteaux forts datant du Moyen Âge qu'il visite au détour de ses nombreux voyages. Son périple au bord de la Méditerranée étant sur le point de s'achever, Lawrence n'a plus qu'une obsession : découvrir l'Orient de tous ses fantasmes.
Dans une lettre adressée à sa famille, il écrit : « J'ai senti que j'avais atteint le chemin qui mène à l'Orient mythique, la Grèce, Carthage, l'Égypte, la Syrie. Les voilà ! Tous presque à portée de main. Il faudra que je revienne ici et que j'aille encore plus loin. »

C'est en tant qu'archéologue qu'il pose ses valises, un temps, à Beyrouth en décembre 1910. À Jbeil, il apprend l'arabe auprès des enseignantes de l'American Mission School. Sa culture de la région s'affine au gré des divers séjours qu'il effectue en Turquie, en Syrie ou en Égypte. Il s'imprègne des us et coutumes des Bédouins, porte leurs vêtements et enregistre les rudiments de leur dialecte. En 1913, il accompagne le célèbre archéologue Léonard Wooley sur les fouilles de l'ancienne cité hittite, à Karkemish, dans l'actuelle Turquie. Mais entre l'archéologie et l'espionnage, il n'y a qu'un pas : Lawrence est ensuite recruté par les services secrets britanniques.
« Lawrence s'était cru un agent du destin ; il était jusqu'à nouvel ordre un agent du Foreign Office », écrit Malraux dans Démon de l'absolu, la biographie inachevée qu'il consacrera à ce personnage, pour qui il voue une véritable fascination.

Le sémillant espion, superbement immortalisé en 1961 par le jeune premier de l'époque, Peter O'Toole, dans le film Lawrence d'Arabie, est porté au rang d'icône. La peau tannée par le soleil du désert, le regard azur et le fantasme du petit Anglais qui se voyait déjà en « faiseur de rois » y sont peut-être pour beaucoup dans la création du mythe. Mais aucun mythe ne se façonne sans zones d'ombre, et Lawrence n'échappe pas à la règle. Ses biographes s'accordent sur le fait qu'il eut un penchant masochiste, probablement lié au fait que sa mère le battait étant enfant. Resté célibataire toute sa vie, son supposé penchant pour les hommes continue de faire couler beaucoup d'encre. Lors d'une mission secrète à Deraa, en Syrie, il est dénoncé aux Turcs, puis torturé et même probablement violé par le bey.

Lawrence d'Arabie a une double image : celle d'un aventurier vaillant et téméraire, et celle plus romantique d'un poète. Son don certain pour l'écriture est consacré dans son ouvrage Les sept piliers de la sagesse, dédié au jeune Arabe Selim Ahmed, un jeune ânier, dont il sera très épris, sans toutefois avoir de rapport physique avec lui.
Même s'il se sait n'être qu'un maillon au service des aspirations expansionnistes des Britanniques, l'homme, que les Bédouins surnomment Al Lawrence, a cru, un instant, pouvoir assouvir son seul et unique désir : celui de ne pas tomber dans l'oubli.

Anabelle Mouloudji, fille du célèbre chanteur Marcel Mouloudji, chantera en 1987 : « Fuis Lawrence, fuis Lawrence d'Arabie, rien ne sert de mourir, ça n'arrive qu'aux vivants, je te veux vainqueur de la mort. » Une mort quelque peu banale, qui l'emportera à 46 ans, à la suite d'un accident de moto survenu dans le Dorsetshire, loin, bien loin des intrigues de l'Orient.




 


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commentaires (3)

L'AGENT ANGLAIS ! VOILÀ LE VRAI NOM...

LA LIBRE EXPRESSION

16 h 49, le 01 août 2015

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Commentaires (3)

  • L'AGENT ANGLAIS ! VOILÀ LE VRAI NOM...

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 49, le 01 août 2015

  • Au point ou vous nous avez gave de detaisls sur sa vie , pourquoi ne pas avoir parle de son penchant pour le genre masculine , plus que feminin ? Eut est ce ete mal vue pour sa relation avec l'Emir ? lui ne s'en cachait Presque pas !

    FRIK-A-FRAK

    15 h 13, le 01 août 2015

  • Je ne retiens de Laurence d'Arabie que sa politique anti-française au Levant, que la perfide Albion lui avait ordonné d'appliquer. Elle a abouti par créer un trône pour Fayçal en Iraq et un autre pour Abdallah en Transjordanie.

    Un Libanais

    11 h 59, le 01 août 2015

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