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Moyen Orient et Monde - La saga de l'été

Le jour où... Kadhafi a renversé la monarchie

En 1969, la Libye connaît un bouleversement majeur avec le coup d'État militaire des Officiers unionistes libres. À leur tête, un jeune homme de 27 ans aux rêves de grandeur sans limites.

Mouammar Kadhafi. Archives AFP

1er septembre 1969. À l'heure où la Libye se trouve encore dans les bras de Morphée, les Officiers unionistes libres mettent leur plan à exécution : renverser la monarchie représentée par la dynastie des Sanoussi, au pouvoir depuis l'indépendance du pays en 1951. Heureux concours de circonstances, le roi Idriss Ier, 80 ans révolus, est absent du palais. Il met le cap depuis la Turquie vers la Grèce afin d'y suivre une cure thermale dans la station balnéaire de Kamena Vourla. C'est sur le Cnossos, navire grec qui doit l'emmener à destination, qu'il apprend la nouvelle qui scelle à jamais son destin et celui de ses sujets. Durant la traversée de la mer Égée, il ne quitte pas sa cabine. Tel un vieux lion détrôné par de jeunes mâles, il digère sa défaite, abattu et amer...
De l'autre côté de la rive, le stratagème se pratique allègrement. Composée pour la plupart de jeunes recrues de l'armée de terre, dont l'âge n'avoisine même pas les 30 ans, la rébellion parvient à prendre le contrôle de Tripoli, puis celui du pays entier en moins de deux heures. Sans effusion de sang, sans même la moindre résistance des tribus bédouines, pourtant réputées fidèles au roi désormais déchu. Le palais royal, le quartier général du commandement militaire ainsi que le siège de la sécurité générale et de la radiodiffusion sont rapidement sous leur joug et des arrestations s'ensuivent. Les putschistes avaient initialement choisi la date du 12 mars 1969, qui coïncide, hasard de calendrier ou pas, avec l'anniversaire du roi. Mais le projet tombe à l'eau à cause... d'Oum Kalsoum! Une partie des officiers supérieurs assistant au concert de la diva égyptienne, leur arrestation aurait été des plus problématiques. Le 1er septembre est alors choisi, date correspondant à la veille de l'annonce de l'abdication du roi en faveur du prince héritier Hassan Reda.

 


Le roi Idriss en exil, arrivant au Caire. Archives AFP

 

Putsch éclair
Au petit matin, le pays est placé sous contrôle du Conseil de la révolution. Tandis que les chars envahissent les rues de Tripoli, des soldats tirent des coups de feu d'allégresse. Mais ils sont rapidement stoppés car un couvre-feu est imposé. Et en fin de matinée, le prince héritier annonce « sans contrainte » son ralliement au nouveau régime. Le mystère plane toujours sur les instigateurs du complot. Seul le nom du colonel Abou Choueirib est évoqué. Mais on apprend rapidement qu'ils fomentaient le coup d'État depuis 1959, alors encore étudiants dans diverses académies militaires.
La découverte de gisements de pétrole près d'une dizaine d'années plus tôt bouleverse considérablement l'économie du pays, la sortant définitivement des ténèbres médiévales. En 1965, la Libye devient le premier producteur de pétrole d'Afrique et premier exportateur du Moyen-Orient. Alors dans ce pays le plus démuni du monde, le revenu moyen par habitant subit un boom considérable. Mais seuls certains en profitent. Car la manne financière, comme souvent dans ce genre de cas, ne profite qu'à la famille royale et à une poignée de nantis. Le peuple libyen ne voit pas la couleur de l'argent qui en découle. La population, lasse et déçue par son souverain, qui apparaît comme dépassé, et par la défaite de la guerre des Six-Jours, manifeste sa colère lors d'émeutes spontanées en 1967, à Tripoli et à Benghazi. Mais elle sera rapidement contenue et violemment réprimée par les autorités qui n'hésitent pas à recourir à la force.
Cependant, la fin de l'année 69 va marquer d'une pierre noire la Libye toute entière, et le changement proviendra de militaires et non d'une révolte populaire.
Au lendemain du coup d'État, les insurgés anonymes déclare ne pas vouloir de gouvernement pour le moment. Mais on est loin de la débandade. Seul Abou Choueirib, alors porte-parole et auteur présumé à l'époque de cette action, prend la parole. Et son premier message est adressé au président égyptien Gamal Abdel Nasser, à qui il réaffirme « l'attachement du nouveau régime républicain libyen aux principes du nationalisme arabe ».

 

 

Les réactions pleuvent
Au lendemain du putsch, les réactions déferlent dans le monde arabe. Les journaux cairotes évoquent le « nouveau déclin de la Grande-Bretagne et des États-Unis au Moyen-Orient ». À Rabat, on reste prudent tant que les origines du coup d'État n'ont pas été éclaircies, mais on estime que personne ne « devrait s'étonner d'apprendre que celui-ci est d'origine baassiste ». À Alger, on parle d'une « participation libyenne accrue au combat anti-impérialiste ». Et en Israël, c'est le branle-bas de combat avec un Conseil des ministres extraordinaire, et Golda Meir, alors Premier ministre, voit ses vacances interrompues.
La presse occidentale, de son côté, se délecte de l'information. Le New York Times ne s'étonne guère : « Les officiers de gauche ont pris le pouvoir dans tellement de pays arabes que le dernier coup d'État en Libye ne peut guère surprendre. » La presse parisienne consacre un éditorial sur le sujet. Le Figaro juge que la « capitale la plus inquiète est Washington ». Pour le journal Le Monde, l'heure est au pessimisme : « Les événements de Libye risquent fort de déborder le cadre régional et arabe. » À Londres, peu de surprise : le Time décrit le régime du roi Idriss comme « conservateur, pro-occidental et soit antidémocratique, soit seulement partiellement démocratique », ajoutant que la seule surprise est que le coup d'État n'ait pas eu lieu plus tôt !

Heykal ne dit mot
Au cours des heures suivantes, Washington et Londres annoncent qu'ils vont reconnaître le nouveau régime avant la fin de la semaine. Le Liban est le premier des pays arabes dit « modérés » à faire de même. Le rédacteur en chef du journal égyptien al-Ahram, Mohammad Hassanein Heykal, rencontre le chef des putschistes à Tripoli, le 5 septembre. Il se refuse à donner des indications sur l'entretien de trois heures qu'il a eu avec le président du Conseil de la révolution. Il confie simplement que celui-ci n'est pas le colonel Abou Choueirib, et qu'il n'a « pas trente ans ». « Il ne m'appartient pas, écrit-il, de reproduire ce qu'il m'a dit. Il m'a ouvert son cœur sans réserve et tout ce qu'il m'a déclaré doit demeurer sa propriété exclusive afin de ne pas entraver la marche de la révolution libyenne. »
Ce jeune chef énigmatique règnera 42 années durant, et bientôt, tous connaîtront son nom : Mouammar Kadhafi.

Bibliographie :
Archives « L'Orient »
« Au cœur de la Libye de Kadhafi », Patrick Haimzadeh.

 

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Portrait
Richard III ou Arturo Ui, sous botox

 

23 avril 1973, 8h32, câble confidentiel : Kadhafi est aux manettes de la Libye depuis 4 ans et les services secrets américains s'interrogent déjà sur sa santé mentale : « Le fait est que nous pensons que Kadhafi n'est pas un homme ordinaire ou susceptible d'autosatisfaction. Pendant longtemps, nous lui avons donné le bénéfice du doute sur ce fond : peut-être était-il fou comme un renard, pour être sûr d'exprimer des idéaux chimériques, toujours hors de portée, mais cherchant seulement en secret cette part qu'il demandait à être réalisable. » Avant d'être ce doux-dingue aux frasques bien connues, Kadhafi apparaît, lors de son coup d'État en 1969, comme le parangon du jeune militaire plein de fougue et d'espoir. À l'époque, son pays sortait à peine de sa léthargie et de ses coutumes moyenâgeuses. La découverte de l'or noir, par les Occidentaux, est passée par là...

À seulement 27 ans, Kadhafi débarque alors sur la scène libyenne et s'octroie tous les pouvoirs, avec pour but de dépoussiérer le système social. Plutôt bel homme, son port altier et son regard de braise jouent indéniablement en sa faveur. Mais il n'a pas le bagout d'un Nasser. Durant l'une de ses premières interviews télévisées, un mois après le renversement de la monarchie, l'air malicieux mais timide, il affirme au journaliste français Raymond Girard que « le temps de la révolution est venu » et que le peuple n'aspire qu'au changement. Et à la question de l'instauration d'un socialisme plutôt « algérien, égyptien ou purement libyen », il répond, un sourire en coin : « Un socialisme bon pour le peuple. » Après l'entretien, il sort du palais sous les youyous de la foule et s'engouffre dans une Jeep.
Les rumeurs les plus folles, probablement alimentées par ses détracteurs, l'ont dit « bâtard », fruit d'une liaison amoureuse fugace entre sa mère bédouine et l'aviateur corse Albert Preciozi, avec qui la ressemblance est en effet troublante. Benjamin d'une ribambelle composée uniquement de filles, il aura la chance de suivre des études que son statut d'unique mâle lui octroie. Avec une véritable appétence pour la politique, il idolâtre Charles de Gaulle, mais aussi Tito ou Mao, suit des études de droit puis se tourne vers une carrière militaire. Mais son cœur bat véritablement pour le nassérisme. Meneur et trublion, il organise des manifestations avec ses camarades et s'impose petit à petit comme leader évident.

Après avoir atteint les plus hautes marches du pouvoir, Kadhafi se révèle despote, faisant fi des conseils de son entourage. Son mentor, Nasser, l'appelait « le gâcheur de plaisir ». Évoquait-il le sérieux que l'habit de militaire conférait au Libyen ? Ou peut-être prenait-il son projet volontariste de concrétisation du panarabisme trop au sérieux, alors que le modèle égyptien était en plein délitement, même s'il persistera après la mort de Nasser en 1970 ? Les rêves du leader libyen d'unir la nation arabe et les peuples africains feront, eux aussi, chou blanc.
Sous couvert d'apparente démocratie, la Jamahiriya arabe libyenne sera dirigée par une sorte d'Arturo Ui, omnipotent et au culte de la personnalité exacerbé. Son Livre vert servira de propagande de l'idéologie jamahiriyenne et remettra à l'honneur le concept tribal. Fort de ses origines bédouines, Kadhafi va peu à peu en faire un véritable mode de vie. Et devenir sa propre caricature. Dans ses palais clinquants, il boira chaque matin du lait de chamelle, mais insistera à planter sa tente lors de ses déplacements officiels, comme à Paris, au palais de l'Élysée, lors d'une vite au président Nicolas Sarkozy. À son arrivée au pouvoir, seuls 10 % de la population vivent encore sous la tente. Qu'importe, le mythe doit être construit...

Ses tenues plus extravagantes les unes que les autres et son visage botoxé, vont parfaire l'image du colonel ubuesque, aux discours tonitruants et risibles. Beaucoup le décriront comme un « illuminé » et peut-être parfois même sous influence de stupéfiants. Il tentera même de convertir à l'islam le journaliste Éric Rouleau en le retenant toute une nuit dans son bureau, en vain.
Kadhafi, ce Richard III de pacotille qui en 2004 redoutait de « finir comme Saddam Hussein », connaîtra un sort encore moins enviable, sept années plus tard.

 

Dans le prochain épisode : Le jour où... le roi Hussein a repris le contrôle de la Jordanie.

 

Les épisodes précédents
Le jour où... Nasser a démissionné

Le jour où ... la France a signé son départ d'Algérie

Le jour où... la République arabe unie a été proclamée

Le jour où Nasser a nationalisé le canal de Suez...

Le jour où... la partition de la Palestine est adoptée

Le jour où... Roosevelt et Ibn Saoud ont scellé le pacte du Quincy

Le jour où... Balfour a fait sa déclaration sur le Foyer juif

Le jour où... Lawrence d'Arabie a rencontré l'émir Fayçal

1er septembre 1969. À l'heure où la Libye se trouve encore dans les bras de Morphée, les Officiers unionistes libres mettent leur plan à exécution : renverser la monarchie représentée par la dynastie des Sanoussi, au pouvoir depuis l'indépendance du pays en 1951. Heureux concours de circonstances, le roi Idriss Ier, 80 ans révolus, est absent du palais. Il met le cap depuis la Turquie...

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J'espère que ces articles sur l'Histoire récente du Proche-Orient seront réunis dans un recueil. Je me ferais un plaisir de l'acquérir pour moi-même et pour l'offrir à mes amis. Vivement l'article sur la reprise en main de la Jordanie par le Roi Hussein. F. Malak

Rotary Beyrouth

12 h 30, le 24 août 2015

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Commentaires (1)

  • J'espère que ces articles sur l'Histoire récente du Proche-Orient seront réunis dans un recueil. Je me ferais un plaisir de l'acquérir pour moi-même et pour l'offrir à mes amis. Vivement l'article sur la reprise en main de la Jordanie par le Roi Hussein. F. Malak

    Rotary Beyrouth

    12 h 30, le 24 août 2015

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