Il est presque 1h du matin lorsque les premiers chasseurs-bombardiers américains, britanniques, koweïtiens et saoudiens décollent de bases aériennes de l'est et du centre de l'Arabie saoudite. Dès les premières minutes, les F-15 se succèdent dans le ciel irakien. En cette nuit de janvier 1991, le ciel d'un noir d'encre s'embrase tout d'un coup au-dessus de Bagdad, en grande partie privée d'électricité. Les batteries antiaériennes irakiennes crépitent, faisant trembler le sol, les bâtiments. Selon CNN, le centre principal de télécommunications à Bagdad est immédiatement détruit. Les correspondants de la chaîne américaine, qui se trouvent à l'hôtel al-Rachid de la capitale, indiquent que d'énormes explosions secouent la ville entière, tandis que les tirs de la défense irakienne redoublent d'intensité. Parallèlement, les forces américaines lancent des missiles Tomahawk à partir de navires dans le Golfe et en mer Rouge.
L'opération « Tempête du désert » vient de commencer.
En quelques minutes, des installations chimiques et nucléaires, des postes de commandement des forces irakiennes, des bâtiments militaires sont complètement ou en partie détruits. Selon certaines sources du Pentagone, l'aviation irakienne est anéantie, de même que la garde républicaine. Bagdad n'est pas la seule ville visée, des bases militaires dans le reste du pays – dans l'ouest, dans le sud – sont également la cible des appareils alliés qui lancent l'assaut par vagues successives.
À 21h, à Washington, soit deux heures après le début des opérations occidentales, le président américain George H. W. Bush s'adresse à ses compatriotes dans une allocution diffusée depuis son bureau de la Maison-Blanche. « Nous sommes déterminés à détruire le potentiel nucléaire de Saddam Hussein », assène le président américain. Il ajoute que les armes chimiques de Bagdad seront également éliminées, et précise que si l'attaque aérienne se poursuit, les forces terrestres n'ont toujours pas été engagées. Les opérations se déroulent comme prévu, affirme-t-il, citant le général Norman Schwartzkopf, commandant en chef de l'opération. S'ingéniant à présenter l'opération en cours comme un affrontement entre Saddam Hussein et le reste du monde, il affirme prier « pour la sécurité des innocents ». Évoquant l'avenir, il le qualifie de « nouvel ordre mondial » rendu possible par la victoire des alliés sur Saddam. « Le Koweït sera à nouveau libre », promet George Bush, ajoutant : « Nous n'échouerons pas. Côte à côte, les forces alliées chasseront les forces irakiennes du Koweït », jure-t-il.
L'autoroute 80, surnommée l'« autoroute de la mort », entre l'Irak et le Koweït, en avril 1991. Photo Serge Joe Coleman/Wikimedia
Guerre du pétrole
Car jusqu'au déclenchement de l'opération, le monde a retenu son souffle. Vingt-quatre heures auparavant, à minuit, dans la nuit du 15 au 16 janvier, l'ultimatum posé par le Conseil de sécurité des Nations unies pour que l'Irak évacue le Koweït avait expiré. Le 2 août de l'année précédente, l'armée de Saddam Hussein avait envahi le petit émirat. L'Irak sortait de huit ans de guerre avec l'Iran, et son économie était exsangue. Endetté de plusieurs dizaines de milliards de dollars auprès de l'Arabie saoudite, Saddam Hussein est furieux que le Koweït ait augmenté sa production pétrolière, en violation des quotas imposés par l'Opep, et l'accuse d'exploiter la nappe de Roumeylah dont il revendique l'appartenance. En quelques heures, l'émir du Koweït prend la fuite, sa résidence est prise par les forces irakiennes. Quelques jours plus tard, un gouvernement fantoche, baptisé « gouvernement provisoire du Koweït libre », est mis en place, et l'émirat est proclamé « dix-neuvième province d'Irak » par Saddam Hussein.
La réaction internationale est presque immédiate. Dès le 6 août, l'Onu met en place un embargo commercial et pétrolier, par la résolution 661.
De son côté, George Bush père signe l'ordre d'engagement de l'opération « Bouclier du désert » (Desert Shield). Plusieurs mois durant, différentes trêves sont proposées, aussitôt rejetées. Le retrait irakien du Koweït finit par devenir l'unique condition de cessez-le-feu, alors que toutes sortes de conflits viennent empoisonner les négociations entre Washington et Bagdad. Entre autres, le conflit israélo-palestinien.
Des soldats de l'armée koweïtienne, en août 1990. Patrick Baz/AFP
Le 29 novembre 1990, le Conseil de sécurité adopte la résolution 678, qui donne à l'Irak jusqu'au 15 janvier pour se retirer du Koweït, sans résultat. Entre-temps, une coalition de 34 pays, formée entre août 1990 et janvier 1991, apporte la dernière touche à ses préparatifs. Près d'un million d'hommes sont mobilisés, des milliards de dollars investis. Pendant plusieurs semaines, l'offensive aérienne, puis terrestre (l'opération « Desert Sabre », lancée le 24 février) de la coalition internationale détruit progressivement l'Irak. Le président Bush déclare un cessez-le-feu le 28 février, mettant fin à la guerre du Golfe. L'Irak est alors moribond et pleure des dizaines de milliers de morts, militaires et civils. La coalition n'aura perdu, elle, « que » quelque 400 soldats. L'Irak finit par reconnaître la souveraineté du Koweït, et, malgré les dégâts énormes recensés dans les deux pays, Saddam Hussein se maintient au pouvoir. Il va même réprimer dans le sang les soulèvements kurde dans le nord, et chiite dans le sud du pays...
Source :
Archives « L'Orient-Le Jour »
www.lesclésdumoyenorient.com
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Interview express
Des conséquences de la guerre du Golfe sur le monde arabe...
La présence massive des troupes américaines en Arabie saoudite a mené à la rupture entre Oussama Ben Laden et la monarchie saoudienne. Photo Reuters
Trois questions à Abdel Asiem el-Difraoui, politologue et auteur de « El-Qaëda par l'image » (PUF 2013).
Le fiasco de la guerre du Golfe a-t-il contribué à la montée en puissance de la République islamique d'Iran dans la région ?
Suite au succès des Iraniens, les Irakiens se sont tournés vers la religion : Saddam Hussein a commencé à prononcer des discours de plus en plus religieux, et l'islamisme radical a pu prendre pied en Irak. Le nord du pays a ainsi vu les premiers groupes jihadistes s'implanter en raison de l'instabilité du pays, et d'une déchirure dans le tissu social irakien. Une autre grande conséquence à ce niveau réside dans la méthode suivant laquelle les Iraniens se sont défendus durant la guerre, à savoir l'utilisation du concept du martyr chiite, mis au goût du jour. Pour rappel, l'Irak possédait beaucoup plus d'armes, grâce à l'Occident, tandis que les Iraniens avaient un avantage démographique. Ainsi, ils ont pu envoyer au front des centaines de milliers de jeunes, recherchant la mort. Cette conception du martyre a été très bien comprise – et adaptée – par certains sunnites radicaux, comme Oussama Ben Laden par exemple, qui s'en sont inspirés pour mener eux-mêmes des opérations-suicide. La guerre a donc eu des retombées à très long terme, dont certaines sont ressenties encore aujourd'hui.
À la fin de la première guerre du Golfe, une énorme trahison des Américains a accéléré la destruction de la société irakienne. Ils ont appelé les Kurdes dans le nord, et les chiites dans le sud, à se soulever pour vaincre Saddam Hussein. Mais la révolte chiite s'est vite retrouvée écrasée par ce dernier, tandis que les Kurdes étaient protégés entre autres par une zone d'exclusion aérienne.
La une de « L'Orient-Le Jour », le 17 janvier 1991
Quelles ont été les conséquences de la guerre du Golfe sur l'évolution d'el-Qaëda ?
La présence massive des troupes américaines en Arabie saoudite a mené à la rupture entre Ben Laden et la monarchie saoudienne. Cette dernière est devenue l'ennemi, comme quelques autres régimes arabes, et une justification à long terme pour le 11-Septembre. El-Qaëda avait cette conception d'ennemis « proches » (comme certains pays de la région) et d'ennemis « lointains », comme les États-Unis et leurs alliés. Le mouvement s'est dit, à un certain moment, qu'il ne pouvait impunément attaquer ses ennemis régionaux, protégés par les Américains ; si la monarchie saoudienne doit être visée, ce sera à travers l'allié américain. Il fallait aussi ébranler la relation entre les deux puissances en utilisant des pilotes pour la plupart d'origine saoudienne.
Et sur le conflit israélo-palestinien ?
Pour les Palestiniens, la guerre du Golfe a été particulièrement horrible. Une des plus grandes diasporas palestiniennes était au Koweït. Lorsque la guerre a éclaté, l'OLP (Organisation de la libération de la Palestine) a adopté une position en faveur de Saddam Hussein ; les Palestiniens résidant au Koweït ont donc été expulsés, ce qui a été un désastre pour quelques centaines de milliers de personnes. Cela a contribué à pousser Yasser Arafat, affaibli, à la table des négociations.
Lire aussi le témoignage de Patrick Baz : Quand des photographes français créent « Fuck the Pool ! »
Dans le prochain épisode : Le jour où… les accords d’Oslo ont été signés
Les épisodes précédents
Le jour où... la révolution des pierres a réveillé le sentiment national palestinien
Le jour où la guerre Iran-Irak a éclaté...
Le jour où... Sadate s'est rendu en Israël
Le jour où... Hafez el-Assad s'est emparé du pouvoir
Le jour où... le roi Hussein a repris le contrôle de la Jordanie
Le jour où... Kadhafi a renversé la monarchie
Le jour où... Nasser a démissionné
Le jour où ... la France a signé son départ d'Algérie
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Le jour où Nasser a nationalisé le canal de Suez...
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Le jour où... Roosevelt et Ibn Saoud ont scellé le pacte du Quincy
Le jour où... Balfour a fait sa déclaration sur le Foyer juif