Les actes de vengeance contre la communauté alaouite ont-ils ouvertement débuté à Tripoli ?
C'est du moins ce que laisse croire l'action punitive infligée hier à quatre fonctionnaires alaouites de la municipalité de Tripoli, visés aux pieds par les membres d'un nouveau groupuscule identifié sous le nom de « Comité militaire des proches des martyrs des explosions à Tripoli ».
Désormais déterminé à se faire justice pour le décès d'une quarantaine de fidèles et passants lors de la double explosion qui a visé les deux mosquées, le comité promet de sévir là où l'État s'est abstenu.
Cette agression – qui n'est pas la première du genre puisqu'un massacre de 6 autres alaouites abattus sur-le-champ alors qu'ils rentraient de leur travail avait eu lieu il y a près d'un mois –, inaugure toutefois un nouveau round de violences qui ne ressemble plus aux précédents.
Placé sous le slogan « de la chasse au alaouite », les milices sunnites de la capitale du Nord semblent résolues à en découdre avec tout alaouite « qui s'aventure à mettre les pieds dans la ville ».
C'est ce que confie à L'Orient-Le Jour Abed, l'un des chefs d'une milice de Tebbané, aujourd'hui réfugié dans un pays européen après avoir reçu lui-même un premier message sanglant qui s'est manifesté par l'élimination de son neveu, suivie de menaces de mort qui lui ont été proférées.
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À des milliers de kilomètres de Tripoli, le langage de ce milicien sunnite ne s'est pas pour autant attendri à l'égard de ses concitoyens de l'autre confession :
« Nous continuerons de sévir tant que notre ennemi se trouve au cœur de notre ville », lance-t-il sans pour autant préciser s'il a un lien quelconque avec ledit « comité militaire ».
L'ennemi, c'est son concitoyen alaouite qui vit depuis sa naissance dans la capitale du Nord et qui « doit payer pour les crimes commis par Rifaat Eid (le secrétaire général du Parti arabe démocrate) et son père ».
« Tant qu'ils continuent à lever le drapeau syrien au lieu du drapeau libanais, ces gens-là ne seront pas considérés comme citoyens de la ville », ajoute-t-il.
Conscient qu'il s'agit bel et bien de sanctions décrétées contre des civils innocents qui ne soutiennent probablement pas nécessairement le PAD, Abed rétorque : « Et tous ceux qui ont morts dans les explosions, n'étaient-ils pas innocents ? Puisque Rifaat Eid revendique le leadership incontesté de la communauté alaouite, qu'il assume alors la souffrance de la population civile de Jabal Mohsen », dit-il.
« Les sunnites de Tripoli estiment que l'État n'a pas sévi au lendemain des accusations qui ont mis en cause la première fois Ali Eid (accusé d'avoir aidé un suspect à fuir après le double attentat de Tripoli) et la seconde fois son fils (qui a proféré des menaces de mort à l'encontre des membres du service des renseignements des FSI) », commente Omar, qui explique que les milices sunnites de la ville ont décidé de prendre les choses en main.
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Convoqués par la justice, les deux Eid ont refusé à ce jour de comparaître, prétextant notamment des considérations sécuritaires.
À défaut de justice, et devant ce qu'ils qualifient de « laxisme flagrant de l'État », ce sont les protagonistes qui s'apprêtent, une fois de plus, à régler leurs comptes entre eux, une option qu'ils ont d'ailleurs épuisée à ce jour, les combats n'ayant jamais réellement cessé entre les deux communautés.
Lors d'un rassemblement populaire de protestation organisé hier à Jabal Mohsen pour dénoncer la violence exercée contre des membres de la communauté, le message était on ne peut plus explicite : « C'est la dernière manifestation pacifique que vous verrez », scandait l'un des participants.
Dans la capitale du Nord, tout le monde parle du prochain round de violences, « imminent », selon certains témoignages.
« Cette fois-ci, le feu s'étendra à l'ensemble du pays, et non seulement à Tripoli », confie Omar qui évalue la tension communautaire à son paroxysme.
Se sentant plus que jamais encerclés, les alaouites craignent désormais une attaque à la voiture piégée. Pour se prémunir, ils contrôlent la totalité des accès à leur colline, devenue un véritable ghetto :
« Plus aucune voiture inconnue ne peut désormais passer », confie Mohammad, un combattant alaouite, qui explique que des mesures de sécurité draconiennes ont été prises par les habitants.
La technique est simple, explique un habitant du quartier : « Les taxis qui ne sont pas du coin et tout véhicule en provenance de l'extérieur sont systématiquement détruits et leurs vitres brisées. »
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Dans ce coin de la ville, la paranoïa est de vigueur, d'autant que les rumeurs qui circulent mettent en cause « certaines parties qui auraient fourni aux sunnites des informations sur l'identité et le déplacement des citoyens alaouites visés par les exactions », confie Mohammad.
Si l'on en croit leur communiqué, les membres du « Comité militaire des proches des martyrs des explosions à Tripoli » promettent de frapper de nouveau.
« Nous poursuivrons notre action vindicative contre les citoyens de Jabel Mohsen tant que le secrétaire général du PAD et son fils n'auront pas été sanctionnés », assure le texte.
Il reste à savoir qui est derrière ce groupuscule que les services de sécurité affirment n'avoir pas réussi à identifier à ce jour.
Les familles des victimes du double attentat ont publié hier un communiqué dans lequel elles démentent avoir un lien quelconque avec cette formation.
Selon des informations diffusées par la LBC, les membres présumés seraient des mercenaires, qui sont remplacés par de nouvelles figures à chaque nouvelle opération. Ils seraient même prêts à affronter les forces de l'ordre, si besoin est.
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commentaires (8)
Connotation genocidaire , comme en Irak .
FRIK-A-FRAK
15 h 35, le 30 novembre 2013