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La foi qui tue

Un pied, c'est un pied, rien qu'un pied ; et, en cas de malheur, il vaut certes mieux en perdre un que la vie. Terrifiante pourtant, par ses motivations et retombées on ne peut plus flagrantes, comme par la symbolique du procédé, est l'agression dont étaient victimes jeudi, à Tripoli, quatre hommes qui ont eu les jambes fauchées par une pluie de balles bien ajustées.

Ces pauvres diables étaient des habitants du quartier de Jabal Mohsen, bien obligés de s'aventurer dans la partie sunnite de la ville fracturée, afin de nourrir leurs familles grâce à leur modeste salaire d'ouvrier municipal. Ils n'ont pas été attaqués par d'irascibles usagers pour avoir failli à leurs prestations, mais seulement parce qu'ils étaient alaouites. Et de manière bien plus explicite (et perverse) que mille injonctions verbales, il était signifié à ces pauvres jambes de ne plus jamais se promener par ici. C'est bien de la sorte que commencent toutes les entreprises de nettoyage, ethnique ou autre.

Ce que clame en effet cette vile agression, c'est que dans notre faux paradis de la coexistence, on en est déjà à faire usage de violence pour des considérations non plus seulement politiques ou idéologiques (pour ou contre Bachar el-Assad, par exemple), mais carrément, bassement sectaires. Consternant? Affolant ? Monstrueusement logique néanmoins – normal, est-on même tenté de dire – quand on pense à toutes les outrances et dérives qui, par inévitable phénomène de réaction, ont initié l'infernal, et peut-être irréversible, processus.

En ces temps d'infortune, les tensions sunnito-chiites ne sont guère propres au Liban, c'est vrai. Des confins de l'Asie à la Méditerranée, en effet, du Golfe à l'Océan, le monde arabo-musulman en est la proie, et tout porte à croire que la situation ne peut qu'empirer, pour la plus grande joie d'Israël. Mais c'est bien dans notre minuscule patrie, affligée de deux aberrations antagonistes et également moyenâgeuses, que la folie tourne le plus tristement au sacrilège, au suicide. Le Liban n'est pas en effet un de ces pays où un groupe social déterminé est dominé, voire persécuté, et lutte donc pour sa liberté et sa dignité. C'est un lieu unique au monde, du moins cette partie du monde, où diverses familles spirituelles se sont vu donner la chance insigne de vivre en commun, et c'est ce modèle – déjà cruellement malmené – que l'on s'acharne aujourd'hui à réduire en pièces.

De ce catastrophique état de choses, comment ne pas retenir la responsabilité première de celui par qui le scandale national est arrivé, qui siège au gouvernement comme au Parlement, qui clame publiquement néanmoins son obédience à une république étrangère et théocratique, qui se pose en État dans l'État tout en se réclamant d'une communauté précise, qui dispose d'une véritable armée, qui offre au régime tyrannique de Syrie un apport paramilitaire décisif, et on en oublie ?

Plus que jamais, c'est d'un même mouvement que doivent être répudiés tous les extrémismes, et en particulier ceux qui se parent fallacieusement du prestige de la foi. Ce n'est pas au pied, mais à la tête, qu'est désormais visé le Liban.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

 

Un pied, c'est un pied, rien qu'un pied ; et, en cas de malheur, il vaut certes mieux en perdre un que la vie. Terrifiante pourtant, par ses motivations et retombées on ne peut plus flagrantes, comme par la symbolique du procédé, est l'agression dont étaient victimes jeudi, à Tripoli, quatre hommes qui ont eu les jambes fauchées par une pluie de balles bien ajustées.
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