C’est entre la cathédrale Notre-Dame et la place Maubert, dans une rue faiblement éclairée par une pâle lumière, que Ramzi Saadé a choisi de lancer Atica, une expérience artistique et culinaire unique en son genre. « J’ai grandi à Beyrouth et j’ai peu voyagé avant de quitter le Liban pour le travail. Mais j’étais impatient de découvrir le monde… Dans ma jeunesse, je m’étais passionné pour le Japon en testant tous les sushis de Beyrouth : ça ne m’avait pas vraiment renseigné sur la culture de ce pays. Lorsque je me suis intéressé à d’autres formes d’expression culturelle et artistique japonaises, j’ai réalisé que c’est en les associant que l’on peut saisir la spécificité d’un pays. » Il a alors l’intuition du concept d’Atica, un mot-valise qui mixe attic (grenier) à ticket . Au programme et au menu, un voyage multiculturel et sensoriel, et un dépaysement garanti.
Après des études d’ingénierie, le jeune homme s’installe pour des raisons professionnelles au Qatar puis au Canada. « Après un master en ingénierie, je me suis inscrit dans une école de cuisine à Ottawa, Le Cordon bleu. Venant d’une famille traditionnelle, où le salut ne passe que par les métiers d’avocat, médecin ou ingénieur, j’ai été confronté à l’incompréhension de mes parents, qui ne voyaient pas comment dire aux voisins que leur fils était cuisinier… » poursuit-il avec humour.
L’ingénieur assume sa reconversion et travaille dans différents bistrots gastronomiques canadiens, dont l’Atelier. « Nous avions un menu en 365 étapes, chacune d’elles correspondait à une culture. Nous avons été élus meilleur restaurant canadien en 2015 », se souvient-il fièrement. L’ambition de Ramzi Saadé était de lancer un projet entrepreneurial d’envergure en Europe, d’où son inscription à l'Insead, à Paris, en 2019. « J’ai œuvré sans relâche sur le projet Atica pendant cinq ans. Pour m’inspirer, j’ai intégré pendant deux mois le restaurant étoilé le plus immersif du monde Alchemist à Copenhague, où 60 000 personnes sont sur liste d’attente. Ensuite, je me suis associé avec 51 investisseurs, dont un grand nombre de Libanais », explique l’entrepreneur.
Seconde étape, trouver un local à la hauteur du gigantisme du projet, dans une ville haussmannienne et millimétrée. Le jeune homme ne s’est pas laissé impressionner par cette gageure. « Il y a 15 000 immeubles à Paris, j’ai passé trois ans à en visiter 12 150 : je suis un peu fou et je crois que c’est très libanais cette folie, cet acharnement. Nous avons fini par trouver un local, l’ancien cinéma Le Seine. On nous prévoyait deux ans de travaux, nous les avons bouclés en six mois, en travaillant à la libanaise, c’est-à-dire d’arrache-pied, et avec une équipe de 120 personnes. Résultat : nous avons un des plus beaux espaces parisiens », affirme Saadé.
Première escale : le pays basque
Jusqu’au printemps 2024, c’est le pays basque qui est à l’honneur pour une expérience totale. Le client est accueilli dans deux horaires différents, pour une première embarcation artistique baptisée « séance ». Un cocktail basque à la main, il est invité à déambuler entre les sculptures de l’ébéniste José Ramon Anda, dont les lignes et les matières sont influencées par la minéralité et les reliefs de sa terre d’origine (basque). « Ces œuvres en bois et en bronze sont conçues pour être touchées et appréciées avec simplicité. Notre bar est inspiré du monde du voyage, avec une architecture d’aéroport, de bateau », précise joyeusement Ramzi Saadé aux différents groupes présents, qui sont ensuite conviés, dans une descente d’escalier majestueuse, à une halte au premier entresol. Un prétexte pour découvrir la capsule olfactive.
« C’est la parfumeuse Ané Ayo qui a conçu la signature olfactive de cette saison basque, la brume iodée, en imaginant un bisou matinal entre les Pyrénées et l’océan Atlantique, avec des notes d’iode, de bois, de jasmin et de barbe à papa, pour le clin d’œil à Alice au pays des merveilles. C’est en effet au cinéma Le Seine qu’a été diffusé le film pour la première fois en 1951 », poursuit-il. Avant de pénétrer Le Beurrier, la gigantesque salle rectangulaire aux bords arrondis, une serviette chaude est offerte, d’où se dégagent des parfums exquis. L’équipe est aux petits soins et orchestre le service et l’articulation des mets et des vins de terroir. La variété des textures, des arômes, des formes, des couleurs est l’objet d’histoires qui se déclinent autour de la Rioja, des pintxos, du piment ou de la liqueur de cerise…
« Mon équipe se compose de 16 nationalités différentes, et elle est formée à l’hospitalité à la libanaise. Nulle part dans le monde on ne reçoit aussi bien qu’au Liban », précise le patron, qui donne un coup de main à son équipe tout en discutant avec ses hôtes, dont les téléphones ont été scellés dans une pochette adaptée.
Le menu en six actes, avec entractes, s’accompagne d’une immersion pluridimensionnelle. Six mètres de hauteur sous plafond, un écran de projection de 360 ° et une grande qualité audiovisuelle : les images minérales, végétales, animales et humaines sont grandioses et se succèdent avec fluidité, livrant un récit de voyage poétique. Directeur artistique de l’œuvre, Ramzi Saadé avait à cœur d’éviter le folklore, pour mettre en valeur des impressions de voyage et des rencontres, avec une bergère, un artisan de pelote basque, des danseurs, au son des vagues, du vent dans les fleurs, des tempêtes… Avec Atica, le Libanais a tenu son pari d’un restaurant haut de gamme, avec à la clé une expérience multiple qui interroge le sens du voyage.
« J’ai envie de leur dire de croire en leurs rêves »
Selon Ramzi Saadé, qui a planté un cèdre centenaire à l’entrée d’Atica, le Liban est la pierre d’angle de son projet. Face à la situation dramatique que connait le pays aujourd’hui, c’est avant tout aux jeunes que pense l’entrepreneur. « J’ai en tête les élèves de terminale notamment, qui s’interrogent sur leur avenir, et sur ce que leur pays peut leur proposer. À quoi peuvent-ils rêver ? Ils doivent être fatigués de subir tout ça… J’ai envie de leur dire de croire en leurs rêves et de travailler avec acharnement. Nous sommes des passeurs de culture et puis, si nous avons déjà reconstruit le pays plusieurs fois, c’est grâce à notre optimisme chronique, inexplicable .» Par la suite, l’ancien ingénieur souhaiterait bien sûr ouvrir Atica au Liban et surtout y élever ses enfants. « Ce qui compte pour les jeunes, ce sont les modèles, Nadine Labaki et son parcours remarquable ont un impact sur la jeunesse bien supérieur à n’importe quel politicien. Quand j’étais adolescent, c’est Gebran Tuéni qui me faisait rêver, et j’attendais de le lire dans le journal. Notre rôle d’adulte est de créer de l’espoir pour les jeunes, et surtout qu’ils ne se limitent pas aux rêves de leurs parents ! » conclut-il avec conviction.
Atica, 8 rue Frédéric Sauton, 75005 Paris, France
Téléphone : +33 1 56 81 94 41
Website: https://aticaparis.com/fr
Instagram: https://www.instagram.com/aticaparis/?hl=fr
Quels sont les meilleurs restaurants "libano-libanais" à Paris dont la cuisine est vraiment familiale du pays ... merci pour votre choix et votre réponse
17 h 41, le 18 novembre 2024