La stabilité sécuritaire relative qu’apporte l’accord maritime avec Israël par l’intermédiaire des États-Unis est bien entendu extrêmement appréciable pour les Libanais épuisés par des décennies de violence et de menaces de violence destinées à étouffer toute velléité de rompre les allégeances communautaires. Mais cette stabilité est le fruit d’arrangements d’acteurs para-étatiques ou de puissances régionales qui dépassent l’État libanais lui-même confirmant à nouveau sa défaillance.
L’accord a été négocié et conclu par les différents pôles du régime des zaïms qui ont accaparé les institutions dont ils ont capté les ressources et appauvri le pays en toute impunité. La façon dont le dossier a été géré depuis plus de 15 ans est symptomatique de la déliquescence de l’État, avec ses multiples erreurs et retournements de position.
Transiger sur ses droits
Il est indéniable que l’existence même d’un accord maritime avec Israël clôt une page d’incertitude assortie de menaces réelles. Cet aboutissement était loin d’être garanti étant donné la trajectoire chaotique de la gestion de ce dossier et d’un environnement géopolitique extrêmement volatile.
Mais la réponse à la question de savoir si l’accord est le meilleur possible pour le pays du Cèdre est indissociable de la façon dont le dossier a été géré. Une chose est sûre, la ligne de démarcation n’est pas fondée sur le droit international qui est une combinaison de données techniques et de règles pour définir le concept d’équité.
La ligne 23 ne correspond à un aucun tracé technique reconnu internationalement – pas davantage que la ligne 1 d’ailleurs, revendiquée par Israël. Seules les lignes Hof et la ligne 29 avaient cette qualité. La première est une ligne d’équidistance donnant plein effet à l’îlot Tekhelet (au large de la côte israélienne), tandis que la seconde ne lui en donne aucun. Une négociation basée sur le droit international aurait porté sur le degré d’effet accordé à Tekhelet, en tenant compte notamment des investissements déjà réalisés par Israël sur le gisement de Karish. Ce qui aurait pu offrir davantage d’espace maritime au Liban avec, par exemple, une frontière finale donnant un demi-effet à Tekhelet qui aurait préservé l’entièreté du champ de Cana au Liban.
En renonçant à s’appuyer dès le départ sur la ligne 29 – identifiée au moins depuis 2011 – le Liban s’est privé de la seule arme valable et efficace fondée sur le droit international face à ceux qui utilisent la loi du plus fort, y compris en interne. Il établit aussi un précédent pour ses négociations futures avec Chypre et la Syrie, voire d’autres dossiers.
Contrairement à ce que les autorités prétendent, le Liban n’a pas obtenu les pleins droits sur le gisement potentiel baptisé Cana et l’accord mise sur la bonne foi d’Israël pour faciliter le processus d’exploration et d’exploitation.
L’accord dit clairement qu’Israël a des droits sur les gisements transfrontaliers, à commencer par le « prospect » (baptisé Cana). Ces droits seront négociés directement avec l’opérateur choisi par le Liban, qui est actuellement TotalEnergies. C’est en tenant compte de cet accord avec Israël que l’opérateur décidera ou non de procéder à un accord d’investissement avec le Liban.
Cela signifie que le Liban sera affecté par l’accord conclu entre TotalEnergies et Israël sans avoir son mot à dire. On ne sait cependant pas si le contrat d’exploration et de production conclu avec le consortium devra être amendé et sur quels points, afin d’intégrer les engagements de TotalEnergies envers le Liban et Israël.
Le texte de l’accord table sur la « bonne foi » des parties et en cas de différend, seuls les États-Unis sont appelés en tant que médiateurs, sans aucun autre cadre qu’une « atmosphère positive et constructive ».
Le texte impose aussi des conditions au Liban concernant le choix des opérateurs, excluant la possibilité que le consortium soit composé ou dirigé par une société libanaise. Ce qui explique pourquoi des négociations ont eu lieu avec le Qatar pour la reprise de la participation du Liban dans le consortium dirigé par Total en remplacement de Novatek. À moyen terme, la question du champ de compétence d’une future compagnie pétrolière nationale reste posée.
De même, et là encore contrairement à ce qui a été déclaré, le Liban a fait une concession concernant sa frontière terrestre. Le droit international veut que la frontière maritime démarre à partir de cette dernière. Il y a, certes, des cas dans le monde où ce n’est pas le cas – lors de litiges sur le point terrestre par les parties frontalières. En acceptant de s’inscrire dans ce schéma, le Liban concède qu’il y a un conflit alors que le droit international était en sa faveur jusque-là. C’est donc un recul.
Car le texte de l’accord consacre de facto la « ligne de bouées » en évoquant un « statu quo » à ce sujet. Alors que le droit international est très clair en ce qui concerne le point frontalier : il se situe à Ras Naqoura selon le traité Paulet-Newcombe de 1923 entre les puissances mandataires de l’époque et repris par l’accord d’armistice de 1949 entre le Liban et Israël.
Les dollars ne vont pas pleuvoir
Enfin, cet accord est présenté comme la solution aux problèmes économiques et financiers du Liban. Rien n’est plus faux. Beaucoup d’étapes restent à franchir avant qu’une découverte ne soit réalisée. Et, le cas échéant, il faudra en tout cas plusieurs années avant que le Liban ne reçoive concrètement sa part de revenus.
Les projections sont très difficiles avant qu’une découverte tangible ne soit réalisée, mais les estimations des experts, comme celle réalisée pour le compte de LOGI et Kulluna Irada, nous imposent de ne pas croire aux mirages de ceux qui veulent une nouvelle fois s’absoudre de leur responsabilité dans la crise sans précédent imposée aux Libanais.
Dans la meilleure des hypothèses, basée sur la découverte de 16 billions de pieds cubes (TCF en anglais) sur la base d’un baril à 6 dollars par millions de BTU (British thermal unit) – sachant que l’estimation pour Cana est autour de 1,5 à 2,5 TCF – le Liban pourrait compter, pas avant 2030, sur 6 à 8 milliards de dollars répartis sur une durée de 15 ans. À titre de comparaison, le trou dans le secteur financier est de 72 milliards de dollars.
L’accord frontalier n’aura donc aucun impact sur le cours du dollar à court terme. Et il n’ouvre certainement pas la voie à la prospérité. Comme tous les pays qui entrent dans le cercle des pays producteurs d’hydrocarbures, la menace première qui pèsera sur le Liban est celle de la « malédiction des ressources ». Le seul moyen de l’éviter est de réformer l’État, en partant de la restructuration des finances publiques, du secteur financier et du modèle économique et social.
Gouvernance et responsabilité
La façon dont la part de Novatek dans le consortium dirigé par TotalEnergies et détenteur de droits sur les blocs 9 et 4 a été cédée à l’État libanais, et les conditions de l’entrée éventuelle du Qatar marquent une première étape-clé de la nouvelle phase ouverte par la conclusion de l’accord maritime.
Il est absolument crucial pour le Liban que ce processus se déroule dans le cadre d’une bonne gouvernance institutionnelle et de transparence des marchés publics.
À commencer par une Autorité de l’énergie (LPA) réellement indépendante et dotée de moyens d’action institutionnels. N’oublions pas que son mandat a échu en décembre 2018 et que son action n’a pas échappé aux problèmes inhérents à la logique de partage clientéliste régissant le système de pouvoir au Liban et qui est l’antithèse de la bonne gouvernance. À titre d’exemple, la plus grande opacité règne sur la gestion des quelque 40 millions de dollars perçus par le Liban de la vente de données sismiques aux compagnies pétrolières.
Contrairement à l’exploitation du pétrole, celle du gaz repose sur un processus industriel, financier et légal très complexe. L’État libanais a une quantité de défis industriels, légaux, financiers et administratifs à relever, indépendamment de la démarcation de la frontière. L’appétit des investisseurs est très étroitement lié à la perception du risque pays, à commencer par sa capacité à délivrer la moindre licence.
Il est vrai que l’exploration pétrolière s’accompagnera d’investissements, mais l’essentiel ira à l’acquisition d’équipements et de services que le Liban ne fournit pas. Tout un travail de transfert de technologies et de compétences est nécessaire, mais il suppose une stratégie nationale définie par un État déterminé. On en est loin.
D’un point de vue économique, la seule voie raisonnable aujourd’hui est de tabler, à terme, sur du gaz pour approvisionner une part de la production électrique d’un secteur également fondé sur les énergies renouvelables afin de fournir du courant au meilleur prix aux Libanais.
De l’aveu même des principaux protagonistes de l’accord maritime, de nombreuses fautes ont été commises depuis des années. Mais personne ne se dit prêt à rendre des comptes, perpétuant la logique de l’impunité sur un dossier hautement stratégique.
Il faut faire la lumière sur la gestion de ce dossier depuis le début des années 2000. Une commission d’enquête parlementaire offrant des garanties de transparence et d’impartialité est un point d’entrée indispensable.
Par Sibylle RIZK
Présidente du conseil de l’ONG Lebanese Oil and Gas Initiative (LOGI).
Si des reserves commerciales sont identifiées, l'usage optimal serait de relier ce champ au pipeline Israel-Egypte Chypre pour exporter vers l'Europe traiter le gas pour fournir trois petites unites largement obsoletes sur la cote libanaise serait du gaspillage Et remplacer le gasoil industriel et domestique par un réseau de pipeline est un investissement insurmountable pour le Liban Dans les meilleur cas de figure, il faudra compter 4 ou 5 ans avant que le gas commercial (si existe!) ne soit extrait du fond de a mer
11 h 23, le 21 octobre 2022