
Au large de Naqoura, au niveau de la "ligne des bouées", un navire militaire israélien en patrouille le 3 octobre. Photo MAHMOUD ZAYYAT / AFP
L’accord sur la frontière maritime libano-israélienne semble imminent. Depuis hier soir, les déclarations favorables se multiplient, tant du côté libanais qu’israélien. Les deux parties se disent même satisfaites du projet final d’accord remis par le médiateur américain Amos Hochstein. Dans un Liban en crise, la promesse de l’exploitation prochaine des hydrocarbures serait un signe incontestable d’espoir, voire de reprise. Mais que signifie concrètement la signature d’un accord sur la délimitation de sa frontière maritime méridionale ? Quand le Liban pourra-t-il commencer à exploiter ses hydrocarbures, si le champ de Cana s’avérait riche en gaz ?
Qu’est-ce qui explique cette impression de dénouement heureux dans le tracé de la frontière maritime ?
Dans le dossier des négociations, ce ne sont pas les détails qui auront primé, ni les volontés israélo-libanaises, mais la dynamique de négociation de l’administration américaine qui a exercé une pression majeure sur le Liban et sur Israël pour que l’accord aboutisse. Le président Joe Biden veut un accord coûte que coûte avant les élections législatives israéliennes prévues le 1er novembre 2022.
Le président démocrate a même contacté le Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, pour lui faire part de sa détermination. Car une victoire de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu pourrait représenter un obstacle à un accord, ce dernier n’étant pas en phase avec les démocrates. Cette détente attendue pourrait aussi coïncider avec l’avancée du dossier sur le nucléaire iranien.
Quel genre de document sera signé et sur quelles bases ?
Quoi qu’en disent les autorités libanaises, on se dirige vers un accord en bonne et due forme de délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël. Même s’il ne sera pas signé en face à face, le constat qui sera signé par les deux parties équivaut à un accord entre deux États. Il sera enregistré auprès des Nations unies. Un seul point restera toutefois ambigu, la zone des 5 kilomètres de longueur (2,5 à 4 km2) réclamés par Israël, qui partent de la côte depuis le point 31 (point de départ de la ligne 1 revendiquée par Israël) et convergent vers la ligne 23 à partir de 5 km de longueur. Car Israël insiste sur la « ligne des bouées » pour des raisons sécuritaires. Sa priorité est de protéger les agglomérations touristiques de Rosh Hanikra (côté israélien de Ras Naqoura). Or cette zone est également revendiquée par le Liban comme faisant partie de sa zone économique exclusive (ZEE) avec le point B1 comme point de départ. Un point situé à Ras Naqoura qu’il revendique comme point de départ de sa ligne frontalière terrestre sud.
Charbel Skaff est professeur universitaire, expert en gaz et pétrole, détenteur d'un doctorat en relations internationales. Photo D.R.
Qu’obtient le Liban des négociations ?
Le Liban obtiendra la totalité des ressources et des revenus du champ présumé d’hydrocarbures de Cana. Cette décision devrait être mentionnée dans l’accord. Sachant que ce champ est traversé par la ligne 23, le pays du Cèdre exercera toutefois sa souveraineté sur la partie nord de ce champ. Israël de son côté exercera sa souveraineté sur la partie sud du champ. Et comme le Liban ne veut pas avoir affaire à Israël, la question de la rémunération de l’État hébreu sera traitée entre ce dernier et l’entreprise TotalEnergies, chargée de l’exploitation du bloc 9 (dans le cadre d’un consortium regroupant l’italien Emi et le russe Novatek dont les parts ont été récupérées par le Liban). Elle sera prélevée des revenus de l’entreprise française.
À plus grande échelle, quels bénéfices pour le pays du Cèdre ?
La délimitation de la frontière maritime méridionale instaurera la stabilité à la frontière sud du Liban. La région ne sera plus utilisée comme un prétexte pour des tentatives militaires à portée régionale. Elle sera en revanche un lieu de profit potentiel pour le Liban en cas de découverte d’hydrocarbures à une échelle commerciale. L’entreprise Total devrait donc relancer l’exploration du bloc 9, et d’autres compagnies devraient présenter leurs dossiers pour l’exploration des blocs 8 et 10. Dans ce cadre, des entreprises américaines et qataries pourraient être encouragées à présenter leur candidature. L’accord devrait aussi favoriser une stabilité politique libanaise intérieure. Fortement encouragé par le parrain américain, mais aussi par la France et l’Europe, cet accord pourrait se répercuter positivement sur l’avancée du compromis politique intérieur, dans un contexte de fin de mandat et de crainte d’un vide présidentiel.
Peut-on déjà espérer une relance de l’économie libanaise ?
Il faut absolument dissocier le dossier de la délimitation de la frontière maritime de celui de la relance de l’économie libanaise. Car l’exploitation des hydrocarbures ne se fera pas avant plusieurs années. On ne peut de plus espérer redonner vie à l’économie libanaise sans l’adoption des réformes fondamentales et structurelles attendues, concernant la gouvernance, le budget ou l’électricité notamment. C’est alors qu’on pourra espérer un retour à la croissance.
Si un accord est signé aujourd’hui, quand le Liban peut-il espérer exploiter ses richesses ?
Si l’accord est signé aujourd’hui, il faut un minimum de trois ans, dans le meilleur des scénarios, pour exploiter les hydrocarbures du Liban. Le délai peut être plus long, entre six et huit ans, en fonction des capacités d’investissement des entreprises concernées. Les considérations géopolitiques liées à la volonté d’investir dans la région sont aussi à ne pas écarter. La capacité financière de l’entreprise Total est bien disponible. Elle fait partie du soft power français. Sa présence régionale à Chypre, en Égypte et au Liban pourrait lui être bénéfique à plus d’un titre.
La première phase d’exploration nécessite six à sept mois. Sa vitesse dépendra de la détermination de l’entreprise française, mais aussi de considérations logistiques, comme la mise en circulation du navire qui creusera le premier puits. Ce n’est qu’au terme de cette première phase que le Liban saura si le champ de Cana contient ou pas des hydrocarbures en quantités commerciales. S’il pourra ou pas envisager l’exploitation de ses richesses offshore.
Un pays ayant brûlé des dizaines de milliards sur le secteur de l'électricité pour finir à la bougie, ne tirera jamais bénéficie d'aucune ressource. Toutes les ressources du monde ne valent rien face à la mentalité des libanais, soit disons malins et débrouillards. Je dis bien les libanais et non leurs dirigeants qui ne sont que l'élite d'un peuple habitué à la corruption. Je le dis avec toute la peine et le désarroi du monde, sachant que mes enfants ne pourront jamais rien construire dans leur pays d'origine.
22 h 39, le 11 octobre 2022