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Derricks de lumière(s)

Mieux que tout autre cocktail, le mélange de gaz et de pétrole a décidément pour effet de délier les langues, comme le montrent les flots de commentaires divers qu’a suscités l’accord sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël. Et comme cela se produit avec les cocktails, on peut alors voir le verbe se moquer de toute limite, barrière ou frontière. Intellectuelle, notamment.


Le Liban, pays pétrolier ! Attendue était l’allocution télévisée du président de la République se félicitant jeudi d’une réalisation chère à son cœur et dont il escompte qu’elle va suffire pour rehausser le maigre bilan de son mandat. Miraculeuse ceinture de sauvetage en vérité que celle-ci, puisqu’elle en vient même à occulter cette clôture de balises flottantes qu’Israël conserve à l’intérieur d’une zone demeurant théoriquement litigieuse.


Toujours est-il que sans omettre de saluer les autres acteurs de la laborieuse négociation, le chef de l’État n’a pas craint de revendiquer la paternité de l’exploit. Qu’il tire à soi le gros de la couverture est, somme toute, humain, bien libanais, serait-on tenté de dire; pour abusive qu’elle soit, en effet, la démarche ne surprend pas trop dans cette furieuse bataille des ego qu’abrite la scène politique locale. Mais d’octroyer un pan de ladite couverture à son gendre était pire qu’une faute, une erreur ; et pire encore qu’une erreur, une insulte à l’intelligence et aux sentiments de l’écrasante majorité des citoyens.


Car si Gebran Bassil a longtemps été aux commandes du ministère de l’Énergie, s’il a effectivement planché sur le projet de loi régissant les hydrocarbures offshore, il n’y a pas lieu de se vanter des énormes et suspectes lacunes que recèle l’actuelle législation. Est-ce donc sa noble, sa désintéressée vocation pétrolière qui a fait oublier au ministre sa mission première, à savoir assurer le courant électrique à la population ? Avec ses poulains et successeurs, ne porte-t-il pas la responsabilité de ces dizaines de milliards évaporés en louches expédients sans contrepartie aucune pour les citoyens ?


Cette scandaleuse volatilisation totale des kilowatts en plein XXIe siècle, les Libanais ne sont pourtant pas les seuls à s’en indigner. Innombrables sont les missions étrangères amies venues nous prêcher le respect des échéances constitutionnelles, mais aussi l’urgente nécessité qu’il y a de procéder aux réformes structurelles mille fois promises et sans cesse trahies. Or, pour toutes ces délégations, dont celle du FMI, c’est bien au gigantesque foutoir de l’électricité que va, sans l’ombre d’une discussion, la plus haute des priorités.


Mais écoutons aussi, dans le lot, cette vedette du moment qu’est le médiateur Amos Hochstein. Interviewé jeudi soir, l’artisan de l’accord sur la frontière maritime ne s’est pas fait faute de souligner les bénéfices obsessionnels qu’en retirent symétriquement les deux parties : sécurité pour Israël, prospérité pour le Liban avec, en corollaire, davantage de stabilité pour la région tout entière. Pour illustrer notre cas, il n’a pas eu à faire miroiter à nos yeux le fantasme d’une corne d’abondance déversant sans arrêt des torrents d’or et d’argent. Le diplomate, qui semble bien au fait de nos infortunes et vicissitudes, s’est contenté d’évoquer un Liban enfin pourvu de courant 24 heures sur 24 : la production étant alimentée par du gaz libanais tout droit sorti des eaux, elles aussi libanaises…


Pensez donc, s’éclairer enfin à volonté, se chauffer, faire tourner à fond l’intégralité de son équipement électroménager ! Le fruste mais inaccessible bonheur, le rêve fou, quoi, après toutes ces années noires dues aux tristes seigneurs des cavernes de Ali Baba.

Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

Mieux que tout autre cocktail, le mélange de gaz et de pétrole a décidément pour effet de délier les langues, comme le montrent les flots de commentaires divers qu’a suscités l’accord sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël. Et comme cela se produit avec les cocktails, on peut alors voir le verbe se moquer de toute limite, barrière ou frontière....