Des quatre hommes membres présumés du Hezbollah, accusés d'avoir participé à l'assassinat en février 2005 de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, trois ont été acquittés par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), sans qu'aucun lien direct n'ait pu être établi avec les dirigeants du parti chiite. Au bout de six ans de procès, le seul à avoir été reconnu coupable était le principal suspect dans l'affaire, Salim Ayyache, 56 ans, condamné en son absence pour son rôle dans l'attentat-suicide dans le centre-ville de Beyrouth, tuant 22 personnes, dont le milliardaire sunnite Rafic Hariri, qui briguait un autre mandat à la tête du gouvernement libanais.
L'assassinat de l'ancien Premier ministre était "un acte politique perpétré par des personnes dont les activités étaient menacées par celles de Hariri", ont déclaré les juges lors de la lecture du verdict, à Leidschendam, près de La Haye, aux Pays-Bas, où est basé le TSL. Mais aucune preuve n'a permis d'établir un "lien direct" entre l'attentat et la Syrie ou le Hezbollah, ont-ils soulevé.
"Le tribunal a statué, et au nom de la famille de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, et au nom des familles des martyrs et victimes, nous acceptons la décision du tribunal", a déclaré le fils de Rafic, Saad Hariri, à des journalistes à l'issue du prononcé du jugement, devant le TSL. "Nous avons tous découvert la vérité aujourd'hui", a ajouté Saad Hariri, lui-même ancien Premier ministre du Liban. "Aujourd'hui, le parti qui doit faire des sacrifices est le Hezbollah", a affirmé M. Hariri. "Il est clair que le réseau responsable provient de ses rangs", a-t-il ajouté.
Rafic Hariri, Premier ministre jusqu'à sa démission en octobre 2004, a été tué avec 21 autres personnes le 14 février 2005, lorsqu'un kamikaze a fait sauter une camionnette remplie d'explosifs au passage de son convoi blindé sur le front de mer de Beyrouth, faisant 226 blessés. Sa mort, dans laquelle quatre généraux libanais prosyriens ont été dans un premier temps accusés d'être impliqués, a déclenché à l'époque une vague de manifestations, entraînant le retrait des troupes syriennes après près de 30 ans de présence au Liban. Le Hezbollah, allié du régime syrien et de l'Iran, a rejeté toute responsabilité et déclaré ne pas reconnaître le TSL, mis en place après une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU.
Insuffisance de preuves
Aucun des accusés n'ayant été remis au tribunal, ils ont été jugés par contumace. L'accusation et la défense peuvent toutes deux faire appel du jugement.
"La Chambre de première instance déclare M. Ayyache coupable au-delà de tout doute raisonnable en tant que coauteur de l'homicide intentionnel de Rafic Hariri", a déclaré le juge président David Re lors de l'audience mardi. Les magistrats prononceront ultérieurement la peine à l'encontre de M. Ayyache, qui risque la prison à perpétuité s'il devait un jour être présenté au tribunal. "Nous espérons sincèrement que le verdict d'aujourd'hui vous permettra de faire le deuil", a ajouté le juge, s'adressant aux victimes et à leurs familles.
Après avoir entendu près de 300 témoins et examinés plus de 3.000 pièces à convictions, le tribunal a estimé qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour condamner les trois autres suspects, Hassan Habib Merhi, Hussein Oneissi et Assad Sabra. Les deux derniers étaient notamment poursuivis pour avoir enregistré une fausse cassette vidéo qui revendiquait le crime au nom d'un groupe fictif. Quant à Hassan Merhi, il faisait également face à plusieurs chefs d'accusation, tels que complicité de perpétration d'un acte de terrorisme et complot en vue de commettre cet acte. Les juges ont soulevé l'insuffisance de preuves pesant contre ces trois hommes.
"Il était évident pour nous depuis le départ que ce dossier ne tenait pas", a réagi à la sortie du tribunal Vincent Courcelle-Labrousse, l'un des avocats de M. Oneissi. Se disant "très heureux" pour son client, il a toutefois regretté que des centaines de millions de dollars aient été nécessaires au fonctionnement du tribunal et dépensés "sur un dossier aussi vide".
Moustapha Badreddine, le principal suspect décrit comme le "cerveau" de l'attentat par les enquêteurs, est mort depuis et n'a donc pas été jugé.
Une minute de silence
La condamnation de Salim Ayyache, qui était à la tête de l'équipe qui a mené l'attaque, repose entièrement sur l'utilisation de téléphones mobiles pour organiser l'attentat qui a tué Rafic Hariri. M. Ayyache a, selon les juges, utilisé plusieurs téléphones pour surveiller M. Hariri pendant les mois précédant l'assassinat, élément-clef du dossier formé par l'accusation. Les magistrats ont également indiqué être convaincus que M. Ayyache - aussi accusé d'être impliqué dans trois autres attentats contre des hommes politiques en 2004 et 2005 ( l'ancien ministre Marwan Hamadé, l'ancien chef du Parti communiste libanais Georges Haoui, et l'ancien ministre de l'Intérieur Elias Murr, NDLR) - "avait des liens avec le Hezbollah". "La Syrie et le Hezbollah ont peut-être eu des motifs d'éliminer M. Hariri et ses alliés politiques, mais il n'y a aucune preuve que les dirigeants du Hezbollah aient été impliqués dans le meurtre de M. Hariri et il n'y a aucune preuve directe de l'implication syrienne", a toutefois déclaré le juge David Re.
Lors de l'ouverture de l'audience mardi, le TSL a observé une minute de silence pour les victimes de la double explosion du 4 août qui a ravagé Beyrouth. Le tribunal avait reporté la lecture du verdict, initialement prévue le 7 août, "par respect pour les innombrables victimes" de cette double explosion dévastatrice trois jours plus tôt au port de la capitale libanaise, qui a fait au moins 177 morts et plus de 6.500 blessés.
Mis en place suite à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, le tribunal "a été très largement contesté", les Libanais restant "profondément divisés" à son sujet, selon Karim Bitar, professeur en relations internationales à Paris et Beyrouth. Mais ils "ont tellement d'autres problèmes qu'ils ont tendance à regarder ça avec un haussement d'épaules, à l'exception de ceux qui sont directement concernés", avait-il expliqué à l'AFP quelques jours avant la double déflagration de Beyrouth. Des milliers d'habitants ont manifesté leur colère contre les autorités après cette double explosion déclenchée par un incendie dans un entrepôt abritant depuis six ans quelque 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium. La catastrophe a entraîné la démission du gouvernement de Hassane Diab, alors que le pays est plongé depuis des mois dans une très grave crise économique.
Pour l’exercice 2020, le budget du Tribunal s’élevait à 55 145 200 euros, 49 % de ce montant étant financé par le gouvernement libanais et 51 % par des contributions volontaires. Par ailleurs, 29 bailleurs de fonds, répartis dans cinq zones géographiques distinctes, participaient volontairement au financement du TSL depuis sa création.
commentaires (14)
Suite à cette (in)justice. Le criminel va avoir les mains libres pour poursuivre ses crimes La crainte est que les attentats ne refassent surface. Du moment que Rafic Hariri avec toute sa puissance .... la justice internationale n’a accusé que les instruments qui ont exécuté ceci. Non ceux qui ont donné l’ordre et ont financé ces crimes. Le Hezbollah et Assad ont désormais « carte blanche » . DEGUEULASSE.
LE FRANCOPHONE
23 h 14, le 18 août 2020