Il n'y a pas de "preuves" de la responsabilité directe des dirigeants de la Syrie et du Hezbollah dans l'assassinat qui a coûté la vie à l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005 à Beyrouth, a estimé le Tribunal spécial pour le Liban qui a ouvert mardi à midi (heure de Beyrouth) la séance du prononcé du verdict, deux semaines après la double explosion du 4 août qui a ravagé Beyrouth.
Rafic Hariri, chef de file de la communauté sunnite qui avait des liens étroits avec les Etats-Unis, des pays occidentaux et des alliés sunnites dans le Golfe, était considéré comme une menace pour l'influence de l'Iran et de la Syrie au Liban. Le tribunal estime "que la Syrie et le Hezbollah auraient pu avoir des raisons d'éliminer M. Hariri et ses alliés politiques cependant, il n'existe aucune preuve de quelque implication que ce soit de la direction du Hezbollah dans le meurtre de M. Hariri et il n'y a pas non plus de preuve directe d'une implication syrienne", a déclaré le juge président David Re, en lisant un compte-rendu de la décision du tribunal.
La séance à Leidschendam, près de La Haye, a débuté par une minute de silence en hommage aux victimes de la double explosion du port qui a tué plus de 177 personnes et blessé au moins 6.500 autres. Le tribunal avait reporté la lecture du verdict, initialement prévue le 7 août, "par respect pour les innombrables victimes" de cette double explosion dévastatrice. Le juge Re a appelé le tribunal à observer une "minute de silence pour rendre hommage aux victimes de cette catastrophe, à ceux qui ont perdu la vie, à ceux qui ont été mutilés ou blessés, à leurs familles, à ceux qui ont perdu leur maison".
Les juges du TSL prononceront plus tard dans la journée leur décision en l'absence des quatre suspects, tous membres présumés du Hezbollah, plus de 15 ans après l'attentat dans le centre de Beyrouth qui avait causé la mort de Rafic Hariri et de 21 autres personnes. Aucun des accusés n'ayant été remis au tribunal, ils sont jugés par contumace.
Possible appel
S'ils sont reconnus coupables, les quatre accusés risquent la prison à perpétuité, bien que les peines seront prononcées à une date ultérieure. L'accusation et la défense peuvent tous deux faire appel du jugement.
Le principal suspect dans l'affaire, Salim Ayyache, 56 ans, est accusé d'"homicide intentionnel" et d'avoir été à la tête de l'équipe qui a mené l'attaque. Deux autres hommes, Hussein Oneissi, 46 ans, et Assad Sabra, 43 ans, sont notamment poursuivis pour avoir enregistré une fausse cassette vidéo qui revendiquait le crime au nom d'un groupe fictif. Le dernier suspect, Hassan Habib Merhi, 54 ans, fait également face à plusieurs chefs d'accusation, tels que complicité de perpétration d'un acte de terrorisme et complot en vue de commettre cet acte. Moustapha Badreddine, le principal suspect décrit comme le "cerveau" de l'attentat par les enquêteurs, est un ancien responsable militaire du Hezbollah et a été tué en 2016 en Syrie.
Lors de la deuxième partie de la séance du prononcé du verdict, le président du TSL a affirmé que la Chambre de première instance ne pouvait soutenir au-delà de tout doute que Moustapha Badreddine était le cerveau de l'attentat. "La Chambre de première instance ne saurait soutenir au-delà de tout doute raisonnable que M. Badreddine était le cerveau de l’attentat, comme le soutient l’accusation", a dit le juge Re. Le juge passait en revue les différents réseaux téléphoniques mobiles utilisés par les différents suspects pour surveiller Rafic Hariri dans les semaines précédant son assassinat.
La Chambre a en outre affirmé ne pas détenir de preuves fiables liant trois accusés à la création d'une fausse vidéo de revendication de l'attentat. "L’accusation n’a pas prouvé sa cause au-delà de tout doute possible sur l’implication de Hussein Oneissi, Hassan Merhi et Assad Sabra dans la fausse revendication de la responsabilité de l’attentat contre M. Hariri", a annoncé la Chambre. "L'objectif de la vidéo de l'islamiste libanais, Ahmad Abou Adass, qui a enregistré une fausse vidéo de revendication, était d'opérer une diversion par rapport aux véritables auteurs et d'installer la peur auprès des Libanais", avait affirmé plus tôt en journée la juge Janet Nosworthy.
Hariri assiste à l'audience
Saad Hariri, fils de Rafic Hariri et également ancien Premier ministre, était présent pour assister à l'audience, prévue pour durer plusieurs heures. Dans un communiqué fin juillet, il avait déclaré espérer que la lecture du jugement "sera un jour de vérité et de justice pour le Liban", affirmant qu'il n'a "jamais perdu espoir dans la justice internationale".
De son côté, le président libanais Michel Aoun a affirmé dans un entretien publié par le quotidien italien Corriere della Sera qu'une justice tardive n'était pas une justice. "J'attends le verdict. Je le respecterai, quel qu'il soit. Je ne veux pas en dire plus, sauf pour souligner que 15 ans se sont écoulés depuis l'assassinat et que la justice, après une si longue période, n’est plus justice", a déclaré le chef de l'Etat, répondant à une question du journaliste sur l'éventualité que le TSL pointe du doigt le gouvernement syrien et le Hezbollah. "L'assassinat de Rafic Hariri a eu de grandes conséquences sur la vie des Libanais et le cours des événements dans le pays", a-t-il ajouté.
"Haussement d'épaules"
Rafic Hariri, Premier ministre jusqu'à sa démission en octobre 2004, a été tué en février 2005 lorsqu'un kamikaze a fait sauter une camionnette remplie d'explosifs au passage de son convoi blindé sur le front de mer de Beyrouth, faisant 226 blessés. Sa mort, dans laquelle quatre généraux libanais prosyriens ont été dans un premier temps accusés d'être impliqués, avait déclenché à l'époque une vague de manifestations, entraînant le retrait des troupes syriennes après près de 30 ans de présence au Liban.
Au cours du procès, l'accusation a martelé que l'assassinat "avait un but politique", arguant que le milliardaire sunnite "était perçu comme une grave menace par les prosyriens et pro-Hezbollah". Le Hezbollah, allié du régime syrien et de l'Iran, a rejeté toute responsabilité et a déclaré ne pas reconnaître le TSL.
Mis en place suite à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, le tribunal "a été très largement contesté", les Libanais restant "profondément divisés" à son sujet, selon Karim Bitar, professeur en relations internationales à Paris et Beyrouth. Mais ils "ont tellement d'autres problèmes qu'ils ont tendance à regarder ça avec un haussement d'épaules, à l'exception de ceux qui sont directement concernés", avait-il expliqué à l'AFP quelques jours avant la double déflagration sur le port de Beyrouth. Des milliers d'habitants ont manifesté leur colère contre les autorités après cette explosion déclenchée par un incendie dans un entrepôt abritant depuis six ans quelque 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium. La catastrophe a entraîné la démission du gouvernement de Hassane Diab, alors que le pays est plongé depuis des mois dans une très grave crise économique.
L'année dernière, le TSL a ouvert une affaire distincte en accusant l'un des suspects, Salim Ayyache, de trois autres attentats contre des hommes politiques en 2004 et 2005, l'ancien ministre Marwan Hamadé, l'ancien chef du Parti communiste libanais Georges Haoui, et l'ancien ministre de l'Intérieur Elias Murr.
commentaires (15)
Nous sommes cernés par des menteurs et des comploteurs. Ils prennent tous les libanais pour des andouilles et peut être que c’est dû au laxisme non seulement des gens au pouvoir mais aussi de son peuple qui n’a pas su s’unir pour crier sa colère et sa douleur après une catastrophe qui a touché le cœur de son pays, mais s’est contenté de se résigner au sort qu’on lui a imposé. Où sont les libanais? Où est la relève. Où est la résistance, la vraie pour libérer ce pays de ses tortionnaires. Les aides affluent de toute part, mais est ce de cela dont les citoyens et le pays ont besoin? Nous savons tous que le danger de se retrouver débordés par une révolution qui tournera au massacre fait peur à tout le monde, vu l’attitude des primaires armés , mais a t on vraiment d’autres choix. Je respecte le choix de tous les libanais mais il faut que ça soit fait avec une longueur de vue. Si les libanais acceptent qu’on les tue à petit feu. Qu’à cela ne tienne mais il ne faut pas se plaindre lorsque les conséquences se feraient de plus en plus féroces et injustes on l’aurait voulu et il faut assumer ses choix.
Sissi zayyat
21 h 19, le 18 août 2020