Six femmes dans un gouvernement de vingt ministres, cela représente 30 % de participation, et ce nouveau record ne peut qu’être salué, même s’il reste bien en deçà des revendications des féministes nouvelle génération qui réclament la parité absolue. L’attribution du portefeuille de la Défense à une femme, Zeina Acar Adra, qui est également vice-Première ministre (proche du chef de l’État, grecque-orthodoxe), est aussi une première, compte tenu que c’est la deuxième fois, après Raya el-Hassan à l’Intérieur, qu’une Libanaise accède à un ministère régalien suprêmement viril. C’est immanquablement le résultat d’une longue lutte féministe pour une participation conséquente de la femme en politique et dans les postes de pouvoir. Une participation qui a pour objectif non seulement d’atteindre la parité dans la vie publique, mais de peser dans la balance pour obtenir l’égalité des droits. Car la femme libanaise est toujours considérée comme citoyenne de seconde zone. Dans sa vie familiale, elle est victime de discrimination, compte tenu que les questions de statut personnel sont régies par les communautés religieuses et leurs lois patriarcales. Elle ne peut non plus transmettre sa nationalité à ses enfants et à son mari étranger. Pour ne citer que ces deux exemples.
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Proches du 8 Mars
On notera au sein du gouvernement formé par Hassane Diab la nomination de Marie-Claude Najm (CPL, maronite) à la Justice, Lamia Yammine Doueihy (Marada, maronite) au Travail, Ghada Chreim Ata (CPL, grec-catholique) aux Déplacés, Manal Abdel Samad Najd (Arslane, druze) à l’Information et enfin de Varty Ohanian Kevorkian (Tachnag, arménienne-orthodoxe) à la Jeunesse et aux Sports. Détentrices d’un CV bien garni, elles sont toutes actives professionnellement et trois d’entre elles sont professeures universitaires. Il n’en reste pas moins qu’au sein de ce gouvernement monochrome ayant l’appui du Hezbollah, ces femmes sont proches de l’alliance du 8 Mars. Elles sont loin d’être indépendantes, même si aucune ne représente le tandem chiite Hezbollah-Amal, pas plus que la communauté sunnite d’ailleurs.
Cela dit, les nouvelles ministres sont aujourd’hui confrontées à des défis de taille au même titre que leurs collègues masculins. Redresser un État qui traverse une crise politico-économico-financière aiguë et fait face à une grave pénurie de liquidités et de devises étrangères, répondre aux revendications d’une rue qui bouillonne de colère depuis 100 jours déjà et réclame le départ d’une classe politique qu’elle juge corrompue et incompétente, sans oublier le rôle qu’elles pourraient jouer dans l’amélioration du statut des femmes du Liban, appellent une question légitime : pourront-elles accomplir leur mission, ou leur nomination n’est-elle autre qu’une opération esthétique, destinée à amadouer les féministes ?
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Tenons-les pour responsables
« C’est une avancée. Qu’on le veuille ou pas, c’est bien la première fois que le cabinet compte 30 % de femmes. » C’est ainsi que Joëlle Abou Farhat, présidente de Fifty-Fifty, qui travaille pour l’égalité entre les hommes et les femmes, salue la nomination des six femmes au gouvernement, d’autant qu’elles ont « tout ce qu’il faut pour gérer des situations difficiles ». Mais elle se demande, « en cette situation de crise, si ces femmes seront capables de trouver les solutions attendues au sein d’un cabinet qui ne répond pas aux attentes du peuple ». « Il faut toutefois leur donner leur chance », souligne-t-elle, insistant sur la nécessité « de leur demander des comptes, au même titre que leurs collègues hommes ». Elle invite donc le soulèvement populaire à soutenir les nouvelles ministres en cette période critique de l’histoire du Liban et à ne pas les stigmatiser. « Voyons ce qu’elles sont capables de réaliser, et tenons les pour responsables », conclut-elle.
Car cette nomination déçoit. Ou dans le meilleur des cas, on lui réserve un accueil mitigé, si ce n’est réservé, malgré ce record qui en temps normal aurait été célébré par des youyous. « Je n’ai aucune envie de fêter, parce que la participation des femmes au gouvernement et dans tous les postes de décision devrait être une normalité », lance tout de go Ghida Anani, directrice de l’ONG Abaad militant pour les droits des femmes. Mais, en même temps, elle reproche aux responsables de la formation du gouvernement d’avoir « euthanasié les quotas féminins qui sont effectivement de 30 % », d’avoir placé des femmes juste pour le nombre. « Cela ne suffit pas, il faut des compétences, le choix adéquat et la possibilité d’accomplir ce travail pour sauver le pays », assure la militante, qui relève par la même occasion le manque de clarté dans l’appartenance politique des femmes ministres. Mais elle refuse de juger prématurément, et entend « demander des comptes, sans perdre des yeux les revendications féministes ».
Même scepticisme de la part de la fondatrice de Madaniyat pour l’égalité des genres, Nada Anid, qui « salue dans l’absolu la nomination de six femmes ministres », mais fait part de son « rejet d’un gouvernement qui n’est en rien indépendant du pouvoir politique ». « C’est comme si on jetait ces femmes en pâture à la société, car elles ont visiblement été placées pour nous contenter », regrette-t-elle, dénonçant « un pied de nez à la société civile qui réclame l’indépendance des décisions ». Elle regrette aussi la campagne de dénigrement dont ces femmes ministres sont victimes, avec leurs photos personnelles partagées sur les réseaux sociaux.
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Le niet de la Thawra
Du côté de la révolte populaire, le refus est parfois plus net, car il passe outre les revendications. « Nous avons réclamé la parité de 50 %, et un gouvernement d’experts indépendants. Nous avons obtenu une participation féminine de 30 % et trois quarts d’expertes. Mais aucune indépendance par rapport au pouvoir politique », martèle l’avocate Halimé Kaakour, professeure de droit et membre actif du soulèvement populaire. D’où sa « crainte que ces femmes qui n’ont ni projets, ni indépendance, ni moyens de réussir ne soient rapidement grillées, comme le seront tous les membres du gouvernement ». « Nous ne voulons pas que du nombre, nous voulons des compétences, de la qualité, un projet et une indépendance », souligne-t-elle, faisant part de son rejet total du nouveau cabinet.
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Mais, pour certains, ces nominations valent aussi la peine d’être analysées. Carole Charabati, universitaire, militante prorévolution et fondatrice de Sakker el-Dekkéné, qualifie de « bizarre » et même « d’intrigante » la nomination à la Défense « d’une femme qui n’a aucune qualification pour le poste » et qui « n’est visiblement pas à sa place ». Ce qu’elle considère comme « une faiblesse, voire une menace, vu les relations opaques entre l’alliance formée par les partis au pouvoirs et le commandant en chef de l’armée ». Elle considère par ailleurs que la ministre de la Justice est bien à sa place et qu’elle représente « une opportunité », non seulement pour ses qualifications, mais parce qu’elle « fait déjà preuve d’une volonté d’initier le changement autour de l’indépendance de la justice ».
Quoi qu’il en soit, l’avenir montrera de quoi ces nouvelles ministres sont capables. C’est dans ce sens que le coordonnateur spécial de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis, a invité les Libanais à ne pas laisser les considérations politiques faire de l’ombre à un grand acquis positif. « Aidez-les à réussir, jugez-les sur base des résultats de leurs actions », a-t-il écrit sur Twitter.
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commentaires (10)
Comment croire à un gouvernement fabriqué de toute pièce par ces mêmes corrompus qui ont mis plus d’un mois à donner leur accord et ce en fonction de l’intérêt de chacun de ceux qui les ont choisis. De qui se moque t-on? Lorsqu’ils déclarent tous vouloir œuvrer pour répondre aux besoins des citoyens ça nous rappelle ce que leur premier ministre a répété inlassablement tout en complotant avec ces pourris pour nous imposer leurs choix et leurs pions. Vous avez peut être eu la confiance des partis majoritaires mais vous n’aurez pas la confiance de la majorité du peuple. Quoi qu’on dise ce gouvernement n’est pas légal et ne le sera jamais car il n’a pas répondu aux cris et aux exigences des citoyens.
Sissi zayyat
19 h 40, le 24 janvier 2020