Lors de son élection, le 31 octobre 2016, le président Michel Aoun avait promis aux Libanais d’apporter transparence et réforme au sein des institutions de l’État, d’améliorer la situation économique et sociale et de préserver la neutralité du Liban vis-à-vis des conflits de la région. Trois ans plus tard, le pouvoir est la cible de la colère d’un mouvement populaire inédit, qui lui reproche d’avoir aggravé la crise économique, enraciné la corruption, gaspillé les fonds publics et consacré le confessionnalisme.
Quant aux forces qui ont conclu le compromis présidentiel ayant permis son élection, beaucoup d’entre elles réalisent aujourd’hui qu’elles avaient fait un faux pari, le chef de l’État ayant consolidé son alliance avec le Hezbollah, contrairement à leurs espoirs.
« Depuis trois ans, c’est un recul continu à tous les niveaux, affirme à L’OLJ un responsable de la mouvance du 14 Mars. Les libertés publiques sont menacées, les militants poursuivis, la justice est de moins en moins indépendante, il n’y a aucun progrès au niveau de l’électricité », cite-t-il, pêle-mêle. « Le président a promis un dialogue au sujet des armes de la résistance qui n’a jamais eu lieu, les services de sécurité sont désormais dépendants des forces politiques, qui ont constitué des îlots d’insécurité, les relations extérieures du Liban se sont détériorées à un niveau jamais atteint, que ce soit à l’international ou avec le monde arabe… » ajoute ce responsable qui ne veut pas être identifié. Et lorsqu’il est interrogé sur les réalisations du mandat, il répond avec une pointe d’ironie : « Le pont de Jal el-Dib, et encore… »
Sans aller jusque-là, les analystes sont assez sévères dans leur jugement des trois premières années du mandat, d’autant que le chef de l’État s’était expressément posé en « président fort » et en « père de tous ». Or les réformes sociales et économiques qu’il avait promises dans son discours d’investiture ont fait long feu, tout comme sa promesse de garder le Liban à l’écart des conflits régionaux ou d’entamer le dialogue sur les armes du Hezbollah. Sa politique d’« alliance des minorités » est critiquée, et son engagement à œuvrer pour le retour des réfugiés syriens dans leur pays, leitmotiv de son mandat, s’est heurté au refus du régime syrien de voir revenir un grand nombre d’opposants potentiels, qui ne feraient qu’aggraver ses problèmes économiques.
Du côté du Courant patriotique libre fondé par le président Aoun, on défend au contraire les réalisations du mandat, à commencer par « la stabilité sécuritaire et la stabilité politique », selon Alain Aoun, député CPL. Il souligne à L’OLJ que le mandat a entamé « la lutte contre la corruption, y compris au sein du corps judiciaire lui-même », et cite également, à l’actif du mandat, « le retour à la régularité dans les finances de l’État avec le vote du budget après douze ans d’interruption, la revigoration des administrations et la mise en place d’une vision économique avec une feuille de route ».
Pour lui, c’est le « système consensuel » qui retarde la prise de beaucoup de décisions, de même que les tensions politiques au sein de l’exécutif.
(Lire aussi : Les odieux du stade, le billet de Gaby NASR)
Le compromis remis en question
Beaucoup remettent en cause aujourd’hui le compromis avec les Forces libanaises et le courant du Futur, qui a permis l’élection de Michel Aoun. « On ne peut pas faire le bilan du mandat sans faire le bilan du compromis présidentiel, estime l’analyste Sami Nader. On ne peut dédouaner ni Samir Geagea ni Saad Hariri. Leurs calculs se sont avérés faux. »
Le chef des Forces libanaises Samir Geagea a d’ailleurs clairement reconnu dans une déclaration mercredi que « le compromis présidentiel est fini ». « La pierre angulaire sur laquelle reposait le compromis présidentiel, qui était de distancier le Liban des conflits régionaux, n’a pas été respectée, explique Sami Nader. Du coup, c’est tout l’édifice qui s’est écroulé. »
M. Nader estime que « le pari d’éloigner le président Aoun du Hezbollah n’a pas réussi », et qu’au contraire, le chef de l’État a consacré son alliance avec le parti pro-iranien et a exposé le pays au conflit régional.
Le deuxième point négatif pour l’analyste est que le mandat a consacré « un modus operandi basé sur le confessionnalisme et le partage des parts entre les partis sectaires, ce qui est aux antipodes des standards de bonne gouvernance ». Une situation qui a aggravé la corruption et mené au marasme économique actuel et à l’explosion populaire.
« Aujourd’hui, on assiste à un désaveu de ce compromis et de ce modus operandi », ajoute l’analyste, qui reconnaît cependant au mandat quelques réalisations, comme la loi sur les PPP, des efforts sérieux qui ont été faits comme l’étude commandée à McKinsey, les droits des femmes ou alors la tenue des élections, si la loi électorale était meilleure.
Détracteur déclaré du mandat, l’ancien député Farès Souhaid estime pour sa part que le président Aoun a été élu « dans un contexte d’équilibre de forces dans la région qui consacrait la prépondérance de l’Iran et qui n’est plus de mise aujourd’hui ».
Pour lui, le compromis présidentiel est aujourd’hui « caduc », puisqu’il reposait sur un contrat qui n’a pas été respecté entre une partie qui s’engageait à suspendre sa demande de désarmer le Hezbollah en échange d’un engagement du parti pro-iranien à favoriser l’édification d’un État véritable, répondant aux aspirations économiques de ses citoyens.
« Les priorités du pouvoir ont changé »
Du côté des FL, on défend la décision du parti de s’être engagé dans ce compromis. « Lorsque les FL se sont engagées dans le compromis, il n’y avait pas d’autre option, après un vide de deux ans et demi », explique une source du parti. « Les FL ont parié avec l’accord de Meerab, conclu avec le CPL, sur le fait que le mandat pourrait réduire l’influence du Hezbollah et ses options régionales à travers une politique de distanciation. Elles avaient également parié qu’on pourrait édifier l’État auquel nous aspirons, loin de la corruption. »
« Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? C’est la responsabilité du mandat, parce que ses priorités ont changé : la priorité devait être de faire réussir ce mandat, mais le pouvoir a mis comme priorité de faire réussir Gebran Bassil pour qu’il succède au président Aoun, d’où les conflits avec toutes les autres parties », ajoute cette source, pour laquelle le Liban est de toute façon entré « dans une nouvelle étape » avec le soulèvement du 17 octobre.
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commentaires (13)
Ce pauvre président s'est lui-même attaché un boulon aux pieds qui le paralyse, l'empêche d'agir et de répondre au besoin du peuple qui s'attendait à bien plus de lui. Ce boulon bien connu sous le nom familier du Hezb ou du nom technique du Hezbollah ou finalement du nom réel d'extension irannienne vers la Méditerranée. Le Libanan doit doit se liberer de ce boulon sinon ce sera se liberer du president lui même car l'avenir n'a pas le temps d'attendre!
Wlek Sanferlou
19 h 39, le 01 novembre 2019