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Liban - Reportage

À Tripoli, la flamme est loin d’être éteinte

Les manifestants déterminés à obtenir satisfaction de toutes leurs revendications.

Tous les soirs, depuis le début du soulèvement populaire, la place el-Nour est noire de monde. Photo Omar el-Imady

Alors que la quasi-totalité des routes ont été rouvertes là où elles avaient été bloquées dans tout le Liban, laissant penser que la mobilisation de la rue allait baisser après la démission du Premier ministre Saad Hariri, la ville de Tripoli a décidé de maintenir la flamme. Pour les habitants de la capitale du Liban-Nord, la « révolution » est loin d’être terminée. Dans la nuit de mercredi à jeudi, alors qu’à Beyrouth le nombre de manifestants sur les places Riad el-Solh et des Martyrs avait sensiblement diminué, à Tripoli, c’est en masse que les protestataires se sont dirigés vers la place Abdel Hamid Karamé pour faire entendre leur voix : « La démission de Hariri ne suffit pas, nous voulons la chute du pouvoir en place. » La mobilisation reste aussi forte qu’au premier jour.

Depuis le déclenchement du soulèvement populaire le 17 octobre, cette place qu’on appelle aussi place el-Nour fait peau neuve cependant. Sa physionomie a changé. De tout le paysage urbain, seule l’énorme sculpture en métal représentant l’inscription Allah reste immuable. Les marchands ambulants qui avaient l’habitude de parcourir au quotidien toutes les rues de la ville sont installés tout autour du rond-point de la place depuis 15 jours déjà. Des stands et des tentes entourent également les lieux. Ils servent d’espace de débat politique entre les manifestants et chacun porte un nom, bien visible, affiché sur une pancarte de fortune : « Pour Tripoli », « Une place et un espace », « L’école des turbulents ». D’autres accueillent les enfants et leur offrent crayons et papier pour bricoler et dessiner le drapeau libanais.

L’immeuble Ghandour, oublié et déserté depuis plus de 25 ans, est devenu la scène à partir de laquelle la révolution tripolitaine est menée. Depuis le premier jour du soulèvement populaire, c’est à partir de cet étage que les platines du « DJ de la révolution », Mahdi Karimé, avaient enflammé les nuits de Tripoli. Connu sous le nom de DJ Madi K, le jeune Tripolitain de 29 ans avait réussi en l’espace d’une seule nuit, samedi 19 octobre, à projeter au monde un autre visage de la grande ville du Liban-Nord. La vidéo montrant une foule en délire, scandant des slogans hostiles au pouvoir sur fond de musique rythmée, avait fait le tour du monde. Tripoli était devenue une des icônes du soulèvement populaire.

Les deux façades de l’immeuble Ghandour donnant directement sur la place ont servi de toile au graffeur Abrashh, qui a peint dessus le drapeau libanais avec des slogans, dont le plus récent : « Tripoli, ville de la paix. » Une grande banderole, installée hier sur l’immeuble, vient compléter le message : « Nous continuerons jusqu’à la démission du président de la République et du Parlement. »


(Lire aussi : Les odieux du stade, le billet de Gaby NASR)


Les Tripolitains se sont réapproprié la place el-Nour, convertie en zone piétonne dès le premier jour du soulèvement populaire. En début d’après-midi, ils viennent en famille ou en groupe d’amis pour se balader, manger une galette tripolitaine, acheter des drapeaux ou s’en faire dessiner sur le visage, avant le rassemblement « nocturne » durant lequel la place devient noire de monde. Tarek Abboud, un jeune de 27 ans, arrive avec deux de ses amis. « Je participe aux manifestations tous les jours », lance-t-il avant de poursuivre : « Nous espérons que la mobilisation reprendra depuis Tripoli et grâce à Tripoli. » Mais il met en garde contre les tentatives de certaines parties de semer la discorde entre les manifestants et l’armée libanaise ou parmi les manifestants eux-mêmes.

Saïd Chehaïta, un homme dans la soixantaine assis dans l’une des tentes aux côtés d’autres personnes de sa génération, estime qu’il est « très probable que Tripoli constitue le fer de lance de la reprise des mouvements de contestation ».

Selon lui, les responsables essaient de réprimer les mouvements partout dans le pays. « La répression armée pourra être utilisée bientôt à Tripoli pour venir à bout de la manifestation, mais j’espère que les protestataires continueront à réclamer leurs droits les plus élémentaires tels que la Sécurité sociale, les opportunités d’emploi et un environnement sain et propre », dit-il.

Vers 17 heures, une marche est organisée par des manifestants brandissant une grande banderole sur laquelle on pouvait lire : « La révolution n’a pas de leader ; le peuple revendique et ne négocie pas. » Hiba Darwiche, professeure à l’Université libanaise, en fait partie. Elle assure que « les Libanais ne feront pas de compromis quant à leurs revendications, notamment pour ce qui est de la chute de tout ce système corrompu ». De son côté, l’activiste Kifah el-Fadel met l’accent sur la nécessité de poursuivre la révolte et de centrer le mouvement sur les slogans et les revendications économiques et socio-politiques. Il met en garde contre une tentative des politiciens et des responsables de l’État de miser sur le confessionnalisme pour « éteindre » la révolte populaire.

À Tripoli, les protestataires expriment chacun ses espoirs et ses inquiétudes. Mais une fois rassemblés, ils ont tous un même message à faire parvenir : « Michel Aoun, dégagez ! », « Gebran Bassil, dégagez ! » et finalement « Tous veut dire tous, y compris Nasrallah », en allusion au patron du Hezbollah, Hassan Nasrallah.


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