La course contre la montre est lancée. Pressé par la rue et placé devant une situation inextricable où il est appelé à faire des choix difficiles, le chef de l’État, Michel Aoun, prend pourtant son temps, en attendant probablement la manifestation de ses partisans prévue dimanche devant le palais de Baabda.
On peut donc supposer que c’est lundi, au plus tard, que le chef de l’État se décidera à lancer les consultations parlementaires contraignantes en vue de la désignation d’un nouveau chef du gouvernement, sachant qu’il a déjà accepté, dans le discours qu’il a prononcé hier soir, le principe d’un cabinet formé de ministres nommés sur base de leur compétence et non pas de leur affiliation politique (voir par ailleurs).
Dans la rue, les manifestants continuent, de leur côté, de faire pression, invitant M. Aoun à ne pas tergiverser et entamer sans délai les consultations. Ils ne sont pas les seuls à le faire, puisque même le bloc parlementaire du Hezbollah a souhaité, lui aussi, hier, que ces « consultations suivent leur cours normal », une manière de dire que le cours adopté jusqu’ici est anormal. À Baabda, à la Maison du Centre aussi bien que dans la banlieue sud, les réunions se multiplient et les combinaisons possibles et viables sont passées en revue. Désormais, ce n’est plus seulement des équilibres entre les protagonistes politiques qu’il faut tenir compte, mais également de la rue qui gronde et qui surveille.
Pour l’heure, les tractations butent non seulement sur la personnalité sunnite susceptible d’être désignée pour former le nouveau cabinet, même si Saad Hariri reste en tête de liste, mais également sur la forme que le nouveau cabinet prendra.
Devra-t-on opter pour un gouvernement exclusivement politique, une équipe de spécialistes indépendants comme l’a promis le chef du gouvernement sortant, ou une formule mixte, c’est-à-dire un cabinet techno-politique appelé à contenter à la fois, si cela est possible, les milieux politiques et les contestataires ?
C’est plutôt cette dernière formule qui serait actuellement retenue, soit l’option du moindre mal. Un cabinet techno-politique devrait en principe maintenir, tant bien que mal, les équilibres politiques en présence et calmer les appréhensions du Hezbollah, déterminé à faire revivre le compromis présidentiel même sous perfusion. Les deux autres options n’auraient, selon plusieurs observateurs, aucune chance de voir le jour.
Un gouvernement politique pèche surtout par le fait que le Premier ministre, Saad Hariri, qui a recouru à la carte de la démission notamment pour écarter le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, n’accepterait en aucun cas de voir ce dernier de nouveau parachuté dans sa nouvelle équipe. Un souhait que Baabda ne semble pas encore avoir réussi à contourner pour l’heure. Le Hezbollah non plus.
Tout en exprimant son attachement à la désignation de M. Hariri – qui représente en quelque sort « l’assurance-vie » du Hezbollah et l’interlocuteur privilégié auprès des bailleurs de fonds de CEDRE –, le parti chiite tenterait par tous les moyens de préserver M. Bassil dans l’équation, comme l’indiquent des sources proches du parti chiite.
Le chef du CPL reste un gage pour le Hezb qui aurait plus que jamais besoin de compter sur la couverture politique que peut lui assurer son partenaire chrétien.
(Lire aussi : Les odieux du stade, le billet de Gaby NASR)
Le nœud gordien
Le problème va encore plus loin dans la mesure où une éventuelle réhabilitation du chef du CPL signifierait que d’autres figures, telles que le ministre Ali Hassan Khalil (Amal) et Akram Chehayeb (PSP), devraient également être maintenues. Mais le nœud Gebran Bassil reste également entier dans le cas de figure d’un gouvernement techno-politique. Là encore M. Hariri insiste à séparer entre les fonctions de député et de ministre, ce qui signifierait que le chef du CPL et tous ses pairs au Parlement seraient hors-jeu.
Quant à un cabinet de technocrates ou de spécialistes, il est d’emblée rejeté par le Hezbollah qui, comme on le rappelle dans ses milieux, « n’accepterait aucun gouvernement dans lequel il ne serait pas directement représenté ».
Le parti chiite a d’autant plus besoin de maintenir sa présence que, selon la logique qu’il soutient, le mouvement de révolte est destiné à l’écarter du jeu politique. À plus d’une reprise, le Hezbollah a pointé du doigt un complot ourdi contre lui. Une thèse que son secrétaire général, Hassan Nasrallah, avait développée vendredi dernier en soulignant que les revendications à caractère d’abord social sont devenues éminemment politiques et aux objectifs douteux, pointant directement une ingérence américaine.
« La pression des États-Unis pour ne pas inclure le Hezbollah était déjà assez notoire lors de la formation du gouvernement sortant », rappelle un journaliste proche du parti, Kassem Kassir. Si les efforts de conciliation échouent, l’hypothèse d’un gouvernement monochrome avec des figures issues du camp du 8 Mars pourrait être envisagée in extremis, même si toutes les parties en présence sont conscientes qu’il s’agirait du pire des scénarios. « Cela équivaudrait à un suicide collectif », note un observateur. Ce serait également la formule la moins prisée par le Hezbollah, qui « ne voudrait pas assumer à lui seul la responsabilité d’un éventuel effondrement économique à un moment où il se sent encerclé de partout », commente M. Kassir.
C’est à partir de la semaine prochaine que le paysage devra se décanter, pour voir d’abord si les consultations parlementaires convergeront vers la désignation de M. Hariri ou d’une autre personnalité sunnite que ce dernier devra adouber.
À Baabda, on fait savoir qu’il reste l’une des personnalités favorites, mais pas la seule.
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commentaires (20)
Des ministères comme la défense, l'intérieur et les Affaires Etrangères sont éminemment POLITIQUE et devraient rester par conséquent entre les mains des partis, au moins pour contrôler ce que les spécialistes feront, afin que les réformes ne soient pas bloquées au Parlement. Soyons raisonnable!
Shou fi
10 h 14, le 02 novembre 2019