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La révolution en marche - Economie

Les banques et les entreprises au cœur du cyclone

Le centre-ville de Beyrouth. Photo Jamal Saïdi/Reuters

Se demander si son employeur versera les salaires ce mois-ci, faire le tour de la ville pour pouvoir trouver un distributeur automatique de billets encore alimenté, se demander si les banques seront ouvertes le lendemain pour essayer d’encaisser un chèque, assister médusé à la hausse erratique des prix de certains produits de consommation, stocker, par peur de pénurie, essence et médicaments...

Qu’ils soient acteurs ou spectateurs du mouvement massif de protestation social et populaire que connaît le Liban depuis le 17 octobre, nombreux sont les Libanais à subir de plein fouet la détérioration rapide d’une situation économique et financière dont la plupart des voyants étaient au rouge bien avant le début de la contestation. D’autant que cette profonde crise de confiance a été sensiblement aggravée par l’absence de visibilité quant à la date de nomination du prochain Premier ministre, la composition du cabinet et sa feuille de route pour répondre à la montée des périls.

Sur le plan financier, cette incertitude politique s’est traduite par une aggravation de la crise de liquidités en dollars qui préexistait au début de la révolte. Accentuant, de manière inégale, les mesures restrictives du fait de l’absence d’un contrôle formel des capitaux. Les banques, qui ne seront restées ouvertes qu’une semaine depuis le 17 octobre, se sont dès lors retrouvées en première ligne face à des clients paniqués.

Craintes d’une dévaluation

En effet, plus d’un mois avant le début des manifestations, l’accès au dollar se faisait déjà de plus en plus difficile, pour les importateurs comme pour les citoyens lambda. Face à un creusement continu de la balance des paiements (flux de biens, de services et de capitaux entre le pays et le reste du monde), que la Banque du Liban (BDL) a dû couvrir en puisant dans ses réserves en devise, les banques avaient vu leurs quotas journaliers de devises fournis par la BDL réduits. Elles avaient donc fini par limiter fortement les retraits de dollars à travers les distributeurs automatiques et les guichets, entraînant l’apparition d’un taux de change parallèle qui oscillait autour de 1 600 livres avant le début de la contestation, avant d’atteindre récemment les 1 850/1 900 livres.

La BDL régule indirectement ce taux parallèle en contrôlant l’offre du dollar, avait expliqué début novembre l’économiste Jean Tawilé à L’Orient-Le Jour. Mais elle ne peut le faire lorsque les banques sont fermées, d’où une augmentation du taux parallèle, poussée, de surcroît, par une hausse de la demande sur le dollar en raison de la crise de confiance.

Le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, n’a pour sa part cessé d’affirmer que l’existence de ce taux parallèle ne menaçait pas la stabilité de la livre. D’une part parce que les opérations menées par les bureaux de change ne représentent, selon lui, que 2 % du total des transactions du pays tandis que la quasi-totalité d’entre elles se font au taux des banques (1 517 livres pour un dollar actuellement). Mais aussi parce qu’il considère que l’existence de ce taux est un phénomène qui disparaîtra quand la situation du pays s’apaisera.

Au cours des derniers trente jours, Riad Salamé a d’ailleurs continué de réitérer l’engagement de la BDL à maintenir la stabilité du taux de change, assurant qu’elle disposait des réserves en devises nécessaires pour le faire : près de 38 milliards de dollars, en comptant notamment les eurobonds et les investissements de la BDL, et environ 30 milliards de dollars pour les réserves mobilisables. L’agence de notation Moody’s estime néanmoins ces dernières à pas plus de 5 à 10 milliards de dollars…

« Nous avons informé les banques qu’elles pouvaient contracter des prêts en dollar auprès de la BDL à 20 % pour répondre à leurs besoins de liquidités en dollar. Mais ces fonds empruntés ne peuvent être transférés à l’étranger », a également déclaré, la semaine dernière, M. Salamé. Problème: certaines banques préfèrent ne pas répondre aux besoins de leurs clients en dollar plutôt que de réaliser un emprunt aussi coûteux auprès de la BDL, selon un banquier interrogé.

Toutes les banques ne sont pas confrontées au même problème de liquidités. Elles peuvent normalement faire appel à leurs actifs placés auprès de leurs banques correspondantes ou à leurs dépôts placés auprès de la banque centrale. Mais, pour la plupart d’entre elles, leurs réserves auprès des banques correspondantes sont minimes car elles ont préféré les placer à la BDL, avec des rémunérations plus importantes et des maturités à long terme, ce qui les rend inaccessibles aujourd’hui. Elles pourraient toutefois décider de renoncer à ces rémunérations pour les débloquer, mais au vu du manque de visibilité politique, elles ne s’y risquent pas. D’autant que la BDL pourrait ne pas être en mesure de débloquer ces dépôts, puisqu’elle doit elle-même minutieusement gérer ses réserves en devise.

Dans ce contexte, certains s’interrogent sur la capacité de la BDL à continuer d’alimenter le marché en dollars, alors que ses réserves en devise ont significativement baissé depuis l’année dernière. « La balance des paiements est déficitaire depuis 2011. La BDL a donc dû puiser dans ses réserves en devise pour couvrir ce déficit et pour stabiliser la livre. Lorsqu’elle a vu que ces réserves ont fondu, elle a commencé à mettre en place des mesures restrictives sur le dollar. Si cette situation persiste, il sera de plus en plus difficile de maintenir la stabilité du taux de change », met en garde Jean Tawilé. L’une de ces mesures restrictives étant la circulaire (n° 530) publiée le 1er octobre par la BDL, qui assure aux importateurs de farine, de carburant et de médicaments, sous certaines conditions, l’accès à des liquidités en dollars au taux officiel.

« L’objectif de cette circulaire est de prévenir toute contrebande à l’avenir. Car les importations de carburant ont plus que doublé sur les sept premiers mois de l’année par rapport à la même période un an plus tôt, faisant ainsi grimper la facture des importations, ce qui a généré une demande supplémentaire sur le dollar de plus de 1,7 milliard de dollars », avait alors expliqué à L’OLJ le directeur du département de recherche de Byblos Bank Nassib Ghobril.

Un ministre sortant se montrait plus pessimiste. « Nous allons vers une dévaluation de la livre. C’est irréversible. Et nous l’avons compris à partir du moment où la BDL a décidé de donner la priorité aux médicaments, au carburant et à la farine. (...) Avec cette circulaire, elle a reconnu qu’elle n’avait pas assez de liquidités en dollars pour appliquer le taux de change officiel pour l’ensemble des transactions. Car on a tendance à oublier que les réserves de la BDL sont des dépôts et des obligations qu’elle doit aux banques commerciales, donc in fine l’argent des déposants. La BDL n’a plus de réserves nettes», nous avait-il dit, sous le couvert de l’anonymat.

Contrôle informel des capitaux

Une situation qui pousse les banques à prioriser la gestion de leurs liquidités en devise. Pendant leur brève semaine d’ouverture, les banques, souhaitant empêcher une vague de retraits massifs mais se heurtant à l’absence d’instauration d’un contrôle formel des capitaux, ont mis en place une série de mesures restrictives inédites. Sans couverture légale ni normes préétablies, elles ont rapidement limité fortement, et ce de manière discrétionnaire, les transferts à l’étranger, les retraits de devises et les opérations de change. Ce qui a accru ultérieurement la perte de confiance et créé un véritable cercle vicieux.

Jugeant les banques trop «conservatrices » dans la gestion de leurs liquidités, le gouverneur leur a demandé, le 11 novembre, d’utiliser les liquidités en dollars fournies par la BDL, mais aussi de puiser dans leurs actifs auprès de leurs banques correspondantes afin de répondre favorablement aux demandes de leurs clients pour « les transferts de nécessité ». « C’est délicat, car c’est une lourde responsabilité pour les banques. Elles assument en quelque sorte le rôle d’une autorité de régulation, car c’est à elles de définir les critères de priorité et d’urgence avant de répondre ou non aux demandes de transfert à l’étranger de leurs clients », avait alors regretté, auprès de L’OLJ, un banquier.

Si l’épargne des déposants lambda s’est retrouvée piégée, ces mesures n’ont pas empêché toute fuite des capitaux : « Il semble que près de 800 millions de dollars aient quitté le pays entre le 15 octobre et le 7 novembre, soit la période durant laquelle le système bancaire a été en grande partie officiellement fermé », ont dénoncé une dizaine d’économistes et d’intellectuels dans une tribune collective publiée le 12 novembre dans L’Orient-Le Jour (voir par ailleurs).

Mais un problème plus prégnant encore s’impose aux banques: les dépôts arrivés à maturité ainsi que ceux qui vont y arriver dans les semaines à venir. Dans le contexte actuel, les banques sont contraintes de n’allouer à leurs clients qu’une partie de ces dépôts, en les priant de patienter avant de récupérer le reste. Légalement, et en l’absence d’un contrôle formel des capitaux, elles sont toutefois dans l’obligation de débloquer la totalité des dépôts, sauf à risquer des procès pouvant mener à une procédure de mise en faillite. C’est ainsi qu’une citoyenne américaine a pu obtenir d’une des plus grandes banques du pays le rapatriement de son dépôt de 20 millions de dollars, après avoir menacé de porter plainte aux États-Unis, avait ainsi confié, le 8 novembre à L’OLJ, un banquier opérant dans cette banque.

Aujourd’hui, c’est donc une véritable course contre la montre qu’engagent les banques pour éviter un éventuel défaut de paiement. « La BDL pourra en sauver une ou deux, mais pas plusieurs. D’autant plus qu’elle n’a aucune obligation de le faire, si on instaure un contrôle de change et un contrôle de capitaux. Ces banques pourront être mises en liquidation, et cela n’impactera pas le reste du secteur bancaire », explique un banquier.

Un secteur privé asphyxié

Une course qui engage aussi les acteurs économiques endettés auprès des banques et menacés à leur tour d’insolvabilité du fait des restrictions et de la baisse de leur activité. Certains commerçants, importateurs et industriels, en mal de dollars, ont dû se tourner vers les bureaux de change et répercuter ce coût supplémentaire sur les prix de vente de certains biens. Ceux des produits agro-alimentaires ont par exemple augmenté dans une fourchette allant entre 3 % et 27 % sur les derniers trente jours.

Pour l’expert économique et financier Charbel Cordahi, cette hausse des prix est ponctuelle: « Sur la durée, les prix ne devraient pas augmenter car la demande est en baisse. Si les ports sont ouverts et que les produits sont acheminés, que le dollar est disponible sur le marché et que le cours de l’euro n’augmente pas, les prix resteront stables», assurait-il le 1er novembre à L’OLJ.

Outre l’accès aux dollars et le blocage des transferts à l’étranger, les entreprises sont confrontées à une réduction drastique des crédits qui s’est notamment traduite par une explosion des chèques retournés, poussant la BDL à émettre, le 13 novembre, une circulaire accordant un sursis de sanctions aux titulaires de comptes dont les chèques ont été rejetés pour défaut de provisions entre le 15 octobre et le 15 novembre.

Vers une restructuration de la dette ?

Autre problème : le Liban devra rembourser des eurobonds – titres de dette émis en dollars – arrivant à échéance fin novembre d’un montant de 1,5 milliard de dollars. Comme pour les deux précédentes échéances de l’année en cours, la BDL couvrira celle-ci, a confirmé Riad Salamé, ce qui signifie que la banque centrale devra encore puiser dans ses réserves. Le gouverneur n’a pas donné d’indications sur les échéances de l’année 2020.

De sérieux doutes existent quant à la capacité de l’État à rembourser sa dette en dollars. Une situation qui a poussé Moody’s et Standard & Poor’s à dégrader la semaine dernière la notation souveraine du Liban. Moody’s a justifié sa décision en invoquant la possibilité « accrue » que le pays procède à un « rééchelonnement de la dette ou toute autre opération de gestion de passif qui constitue un défaut », selon sa définition.

Dans ce contexte, les prix des contrats qui permettent de se couvrir contre le risque de défaut de l’État libanais, les Credit Default Swap (CDS), ont atteint des records. « Le Liban arrivera à payer l’échéance de novembre, après il ne pourra plus être en mesure d’honorer les prochaines échéances. Les autorités n’auront d’autre choix que d’effectuer une restructuration de la dette », s’inquiétait il y a deux semaines un expert du marché des eurobonds auprès de L’OLJ. Des inquiétudes également alimentées par le rétropédalage du ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, qui avait affirmé, le 9 novembre, que le Liban envisageait de repousser le paiement des échéances des eurobonds, avant de se rétracter quelques heures plus tard.

Par ailleurs, une nouvelle émission de trois à quatre milliards de dollars d’eurobonds, censée compenser les montants couverts jusque-là par la BDL, a été « reportée », selon Ali Hassan Khalil, sans doute du fait de l’explosion des prix des eurobonds sur le marché secondaire depuis le début des manifestations.

Tirant la sonnette d’alarme sur les pertes « énormes » accumulées par l’économie libanaise depuis le début des manifestations (entre 600 millions et 700 millions de dollars par jour, selon lui), le directeur régional pour le Moyen-Orient de la Banque mondiale, Saroj Kumar Jha, exhortait dès le 8 novembre les dirigeants libanais à former « au plus vite » un gouvernement crédible.

Un mois après les premières manifestations du 17 octobre et trois semaines après la démission du Premier ministre Saad Hariri, cet appel, également lancé par les organisations patronales, n’a toujours pas été entendu par le pouvoir en place.


Se demander si son employeur versera les salaires ce mois-ci, faire le tour de la ville pour pouvoir trouver un distributeur automatique de billets encore alimenté, se demander si les banques seront ouvertes le lendemain pour essayer d’encaisser un chèque, assister médusé à la hausse erratique des prix de certains produits de consommation, stocker, par peur de pénurie, essence et...

commentaires (2)

La solution est simple. Pour renflouer les caisses de l'état les voleurs devraient faire revenir quelques milliards de leurs comptes personnels, discrètement de la même façon qu’ils les ont volés et ni vu ni connu les reverser dans les caisses respectivement pillées. Ainsi la boucle sera bouclée. Réunissez-vous et mettez-vous d’accord pour le nombre de milliards auxquels vous devez renoncer. Faites vite ça urge.

Sissi zayyat

13 h 20, le 29 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • La solution est simple. Pour renflouer les caisses de l'état les voleurs devraient faire revenir quelques milliards de leurs comptes personnels, discrètement de la même façon qu’ils les ont volés et ni vu ni connu les reverser dans les caisses respectivement pillées. Ainsi la boucle sera bouclée. Réunissez-vous et mettez-vous d’accord pour le nombre de milliards auxquels vous devez renoncer. Faites vite ça urge.

    Sissi zayyat

    13 h 20, le 29 novembre 2019

  • La solution est simple. Pour renflouer les caisses de l'état les voleurs devraient faire revenir quelques milliards de leurs comptes personnels, discrètement de la même façon qu’ils les ont volés et ni vu ni connu les reverser dans les caisses respectivement pillées. Ainsi la boucle sera bouclée. Réunissez-vous et mettez-vous d’accord pour le nombre de milliards auxquels vous devez renoncer. Faites vite ça urge.

    Sissi zayyat

    13 h 20, le 29 novembre 2019

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