Vingt-quatre heures après que les manifestants à Zouk lui ont demandé de démissionner, le député Nehmat Frem a annoncé son retrait du bloc aouniste. Photo d’archives
Après la démission vendredi dernier de deux de ses membres, les députés du Kesrouan Chamel Roukoz et Nehmat Frem, le bloc du Liban fort présidé par Gebran Bassil se retrouve fragilisé. Parti de 29, le bloc compte à présent 27 députés, ce qui reste un chiffre considérable. Cependant, si la crise devait perdurer, les risques d’autres défections ne sont pas à écarter.
Les rumeurs qui ont circulé hier sur un retrait éventuel de Michel Moawad, démenties en cours d’après-midi, en disent long sur la position délicate dans laquelle se retrouvent un certain nombre de députés du bloc. D’autres informations sur un retrait présumé des députés Hagob Pakradounian (Metn) et Michel Daher (Zahlé) se sont également avérées infondées. Contacté, M. Pakradounian a affirmé que ces rumeurs sont « fabriquées de toutes pièces » et assuré que l’alliance contractée depuis 2005 entre le Tachnag dont il est le secrétaire général et le CPL reste « solide ». Il a ajouté que bien que son parti ait exprimé à maintes reprises des positions indépendantes et contesté certaines positions affichées par le CPL, il ne lâchera pas son allié « en ces temps difficiles ». « Notre présence au sein du bloc est d’autant plus justifiée aujourd’hui qu’elle contribue à l’accalmie et à la recherche d’une issue à la crise. Notre position est mue par l’intérêt national », a fait valoir le député.
Selon des sources proches des milieux aounistes, ces rumeurs ont été véhiculées principalement par les sites relevant des Kataëb et des Forces libanaises, le premier ayant annoncé successivement la démission de M. Daher puis celle de M. Pakradounian, le second le retrait de M. Moawad, une information préalablement publiée par Nida’ el-Watan.
Embarras
Depuis que M. Bassil est devenu l’une des figures les plus honnies des manifestants, c’est l’ensemble du bloc qu’il préside qui se trouve acculé à en payer le prix. Une situation d’autant plus incommode que certains membres du bloc ont clairement soutenu les revendications formulées dans la rue.
C’est le cas notamment de Michel Moawad qui, dans une série de tweets, a défendu la légitimité des doléances exprimées par les protestataires, se prononçant clairement en faveur de la mise sur pied d’un gouvernement de transition formé de spécialistes. Une position saisie au vol par plusieurs internautes qui, dans leurs commentaires, l’ont exhorté à sortir du bloc.
Le parti Tachnag, dont la base populaire a largement pris part au mouvement de révolte et scandé les slogans de la réforme, a été acculé, lui aussi, à jouer à l’équilibriste. Depuis le début de la révolte, le parti cherche à préserver son alliance avec le CPL, « tout en respectant l’humeur et la position exprimées par sa base populaire », comme le note le secrétaire général du parti.
Depuis le déclenchement de la contestation populaire, le bloc du Liban fort ne s’est pas réuni. Une information que dément Edy Maalouf, député du Metn. Selon lui, les réunions se poursuivent à un rythme continu, « même si certains députés n’arrivent pas à y prendre part du fait du blocage des routes ».
Selon Chamel Roukoz, c’est une simple « cellule de crise » qui se réunit depuis que le chef du bloc, Gebran Bassil, a élu domicile à Baabda, « soit depuis le début de la révolte ».
(Lire aussi : La révolution à un tournant décisif, l’édito de Émilie SUEUR)
Un moment « non propice »
Selon des informations véhiculées dans certains milieux aounistes, plusieurs membres du bloc seraient effectivement tentés de rendre le tablier, encouragés notamment par l’initiative prise par leurs pairs MM. Roukoz et Frem, mais jugent le moment « non propice ».
« L’idée chez certains est d’attendre pour voir quelle sera la réponse du bloc et de la présidence à la crise, avant de décider de claquer la porte », indique une source informée.
La démission de membres non issus du CPL serait d’autant plus aisée que ces derniers ne sont liés à cette formation que par le biais d’une alliance d’intérêts politiques, appelés à changer dès que le paysage politique se modifie.
« Tôt ou tard, ils seront acculés à choisir leur camp s’ils souhaitent poursuivre une carrière politique », commente un dissident aouniste ayant requis l’anonymat.
C’est vraisemblablement le choix pour lequel aurait opté M. Frem. Lors d’un rassemblement populaire à Zouk jeudi dernier, le député du Kesrouan a clairement déclaré devant la foule en effervescence : « Je suis l’un des vôtres ! » « Vous devez démissionner ! » lui ont rétorqué des manifestants dans une ambiance tendue. Le lendemain, le député annonçait son retrait du bloc.
Le même jour, M. Roukoz, qui n’a jamais retenu ses critiques à l’égard de M. Bassil, faisait état de sa démission du bloc. M. Roukoz n’assistait plus aux réunions du groupe depuis des mois et prenait soin, bien avant la révolte déjà, de faire la distinction entre son allégeance, toujours vive, au chef de l’État et son ressentiment à l’égard de la politique affichée par le chef du CPL.
Roukoz : Les slogans sont ceux de Aoun
Hier, M. Roukoz est revenu à la charge pour réitérer son soutien au « peuple libanais », mais aussi au président qui reste, selon lui, le mieux placé pour faire aboutir les réformes. « L’esprit qui règne dans la rue est celui que Michel Aoun a incarné depuis le début », a-t-il dit à L’OLJ, soulignant que les slogans qui sont scandés par les protestataires sont aussi « les siens ».
« C’est lui qui a brandi depuis le début le principe du changement et de la réforme », a rappelé M. Roukoz. Des propos qui résonnent comme une exhortation lancée au chef de l’État à prendre ses distances par rapport à M. Bassil, et à réagir vite.
Pour les membres du bloc issus du CPL, la démission s’avère être plus ardue, même si plusieurs députés aounistes avaient déjà du mal, indépendamment de la crise et bien avant elle, à dissimuler leurs divergences avec le chef de leur formation.
« On peut identifier aujourd’hui trois catégories de partisans aounistes : ceux qui restent parce qu’ils sont affectivement attachés au CPL ; ceux qui ne savent pas où aller après la colère de la rue ; enfin ceux qui profitent et trouvent leurs intérêts au sein du parti au pouvoir », conclut un dissident aouniste.
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commentaires (13)
Le départ du gouvernement libanais n'est qu'une première étape. C'est au tour du Président de l'Assemblée Nationale Nabih Berri et des 128 députés d'en tirer les conséquences et partir. Le peuple qui se révolte ne reculera pas, pour sauver leur pays. Même le Hezbollah n'y pourra rien faire car la révolte et le ras-le-bol sont généralisés et dépassent tous les clivages politiques et religieux.
Tony BASSILA
20 h 29, le 29 octobre 2019