«Ya chaab Loubnan al-azim. » Il y a quatorze ans, le général Aoun, de retour au Liban après 15 ans d’exil en France, lançait ces mots devant des milliers de partisans réunis sur la place des Martyrs. Des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, rassemblés dans une incroyable ferveur devant la tribune sur laquelle venait de monter leur général, en chair et en os. « Ya chaab Loubnan al-azim. » Des mots qui se sont perdus dans la clameur de la foule, traversée d’un tremblement, d’une émotion comme une catharsis libératrice de toutes les oppressions subies sous le joug de l’occupant syrien que le peuple libanais, une partie du moins, venait de renvoyer à ses pénates.
Des mots qui suggéraient, en creux, qu’il lui incombait à lui, ce général rentré d’exil, d’incarner et de mener à bon port cette unité nationale appelée de ses vœux.
Quatorze ans plus tard, alors que pour la première fois cette unité nationale prend véritablement corps, physiquement et psychiquement, de Tripoli à Tyr, le général de retour à Baabda, en tant que président élu cette fois, reste aveugle et sourd à son peuple qui lui fait, depuis douze jours, quotidiennement, l’éclatante démonstration de sa grandeur.
Un peuple qui a su transcender ses différences, ses appartenances communautaires et régionales pour se retrouver autour d’une citoyenneté renouvelée.
Un peuple qui met tout en jeu, sa routine – il ne faut pas sous-estimer le confort d’une routine, aussi précaire soit-elle–, sa vie de famille, l’éducation de ses enfants, son travail, sa sécurité financière, tout, pour un Liban meilleur. Un peuple qui descend dans les rues, chaque jour pour ne plus avoir, le 15 du mois, à mendier de quoi vivre au sous-fifre du zaïm du coin. Un peuple qui tente aussi de tourner la page de la guerre civile.
Ce peuple, depuis 12 jours, fait sa part du boulot, tenant le terrain, se mobilisant, montant en première ligne, du nord au sud du pays. Au sud, surtout, où de courageux protestataires donnent de la voix dans ces bastions d’Amal et du Hezbollah où la parole était confisquée.
Mais voilà, combien de temps peut-il, encore, tenir le terrain ? Dans certaines régions du pays, le blocage des routes passe de moins en moins bien. Au Liban-Sud, des écoles commencent à rouvrir. L’encaissement des salaires, à la fin du mois, s’annonce compliqué, alors que les banques restent fermées. À quoi il faut ajouter la mise en garde hier du gouverneur de la BDL quant à un effondrement économique si aucune solution n’est trouvée dans les jours à venir. Douze jours après le début du mouvement, la mobilisation arrive clairement à un tournant décisif.
Si la « chute du régime », et plus encore du « système » qui sert depuis des décennies les intérêts d’une classe politique dont les racines plongent dans un autre âge, passe nécessairement par la poursuite du mouvement, cette seule condition ne suffit pas.
Ce mouvement a certes tiré sa force de sa spontanéité, mais aujourd’hui, sa survie passe par une organisation et une stratégie coordonnées. Il s’agit notamment, et surtout, de trouver les moyens de ne pas perdre le soutien de la majorité silencieuse. Il s’agit, ensuite, pour la société civile de se mettre en ordre de bataille. Si le pouvoir venait à flancher et organiser des élections, il est vital que les forces nées de la révolution soient prêtes à affronter des forces depuis trop longtemps rompues, elles, à l’exercice, dans un système de surcroît cadenassé.
L’on ne peut que saluer ces formidables agoras qui fleurissent un peu partout pour recueillir les doléances de citoyens jusque-là niés dans leur existence et débattre du visage du Liban de demain, mais aujourd’hui, l’heure est à la préparation de la bataille suivante et des conditions de la victoire. Cela suppose que les forces politiques issues de la société civile ou de formations en marge du système cessent d’avancer sur la pointe des pieds et tirent les leçons des échecs passés en surmontant leurs désunions et en se mettant d’accord sur une ligne, un programme et des figures pour l’incarner.
Cela suppose, d’une certaine manière, de prioriser, de sélectionner et donc d’entamer, probablement, le caractère spontané et sans carcan du mouvement. Une tâche aussi délicate que nécessaire.
Quant à la crainte – réelle ou instrumentalisée – d’accusations de récupération, elle ne saurait neutraliser le besoin d’incarnation du mouvement. Cette promesse d’incarnation, jamais tenue par Michel Aoun et l’ensemble des forces issues de la guerre civile, il incombe désormais à de nouvelles figures de la tenir. Pour ce grand peuple libanais.
«Ya chaab Loubnan al-azim. » Il y a quatorze ans, le général Aoun, de retour au Liban après 15 ans d’exil en France, lançait ces mots devant des milliers de partisans réunis sur la place des Martyrs. Des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, rassemblés dans une incroyable ferveur devant la tribune sur laquelle venait de monter leur général, en chair et en os. « Ya...
commentaires (7)
Pour la vérité historique. Avant "Ya chaab Loubnan el-Azim", Michel Aoun s'était comparé au général de Gaulle dès son apparition en sortant de l'avion à l'AIB : "Le général de Gaulle est venu de Londres pour sauver la France, moi, je viens de Paris pour sauver le Liban", puis il avait ajouté : "Je casserai la tête de Bachar el-Assad avec un chakouche*". * Marteau.
Un Libanais
11 h 56, le 29 octobre 2019