Les Libanais étaient toujours massivement mobilisés, hier, place Riad el-Solh. /Anwar Amro/AFP
Au rythme de « tous, sans exception », scandé par des centaines de milliers de Libanais, Saad Hariri a annoncé hier une série de réformes financières et fiscales censées en principe apaiser la colère des manifestants.
Ces derniers, en masse, ont cependant rejeté les réformes proposées, en y opposant leur manque de confiance total dans l’exécutif et le législatif. Ce qu’ils veulent, c’est la chute du gouvernement et du régime. Voilà pour la petite histoire.
Sauf qu’hier, une double victoire a été enregistrée. Celle d’une population qui s’est réapproprié son destin, en contraignant l’exécutif à réviser sa politique financière et fiscale, et celle d’un Premier ministre qui a repris l’initiative, après avoir multiplié les concessions au nom d’un compromis politique qui l’a éloigné de son milieu politique naturel et qui, au final, lui a fait plus de tort que de bien. Au terme d’une réunion du Conseil des ministres qui s’est tenue au palais de Baabda, sous la présidence du président Michel Aoun – qui a vu dans les manifestations « l’expression de la souffrance populaire » mais qui a jugé « injuste » que les accusations de corruption soient généralisées –, Saad Hariri a annoncé des mesures chocs de redressement financier et économique n’induisant aucune nouvelle taxe et mettant à contribution le secteur bancaire en vue d’une ambitieuse réduction du déficit budgétaire qu’il prévoit de ramener à 0,6 %.
Le chef du gouvernement a aussi fait état de tout un train de mesures sociales pour soutenir les couches les plus défavorisées de la population, notamment l’adoption de la loi sur l’assurance vieillesse avant la fin de l’année, la redynamisation du programme de soutien aux familles les plus pauvres et une amnistie générale avant fin 2019 aussi (voir page 5 l’ensemble des décisions). Cosigné par les chefs de l’État, du gouvernement et le ministre des Finances, le projet de budget qui prévoit toutes les réformes a été envoyé au Parlement, dans les délais constitutionnels, pour la première fois depuis des années.
(Lire aussi : Ne pas se tromper de diagnostic, l'édito de Michel TOUMA)
« L’explosion de désespoir »
Plus importante que les décisions envisagées est la nouvelle dynamique qui s’est dégagée du Conseil des ministres où, en dépit des réserves exprimées par les ministres du PSP, il y a eu un ralliement total autour du chef du gouvernement. Ce que Saad Hariri a appelé « l’explosion de désespoir », en référence au soulèvement populaire, a eu pour effet de rétablir un équilibre qui avait été rompu depuis des mois, au profit du chef du CPL, Gebran Bassil, qui a pratiquement neutralisé la présidence du Conseil et hypothéqué les décisions au sein du gouvernement.
C’est ce à quoi le Premier ministre a d’ailleurs fait allusion au début de la conférence de presse qu’il a tenue au terme du Conseil des ministres, lorsqu’il a reconnu que ces décisions « n’auraient pas pu être prises sans le cri des jeunes qui nous a donné la possibilité de réaliser quelque chose ».
« L’ultimatum de 72 heures que j’avais donné jeudi pour l’adoption d’un train de réformes ne s’adressait pas aux jeunes. Que cela soit clair. Je ne me permets pas de leur demander quoi que ce soit. L’ultimatum s’adressait à mes partenaires », a-t-il ajouté.
« Les décisions que nous avons adoptées aujourd’hui ne sont peut-être pas à la hauteur de vos aspirations, mais elles m’ont certainement permis de réaliser ce que j’essaie d’obtenir depuis deux ans, depuis la formation du gouvernement, comme le premier pas vers des solutions, c’est-à-dire vos revendications », a dit le Premier ministre.
M. Hariri a insisté sur le fait que ces décisions n’ont pas été prises pour que les manifestations cessent : « Je ne vais pas vous demander de cesser de protester et d’exprimer votre colère. (…) Vous pouvez être sûrs que je ne permettrai à personne de vous menacer ou de vous intimider. Il est du devoir de l’État de vous protéger et de protéger l’expression pacifique de vos revendications. Votre mouvement a fait bouger le Conseil des ministres et a permis de déboucher sur les décisions que nous venons d’annoncer. »
(Lire aussi : À Baabda, un Conseil des ministres sous pressions internes et externes, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Au même diapason
Quelque part, la violente réaction populaire à la politique fiscale initiale du gouvernement a libéré Saad Hariri et neutralisé le chef du CPL, conspué, en même temps que le régime, avec une véhémence inouïe par les protestataires, en dépit de sa tentative maladroite de se dédouaner, vendredi, et de jeter encore une fois sur ses adversaires politiques la responsabilité des blocages aux réformes préconisées par son parti.
C’est ainsi que Saad Hariri a pu marquer hier plusieurs points contre son partenaire politique : il a réussi à obtenir la nomination des membres de l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité que le CPL retardait depuis des mois, bien qu’elle figure dans le plan du ministère de l’Énergie, et bien qu’elle fasse partie des conditions principales pour le déblocage des fonds prévus par la CEDRE pour le financement de ce plan. Il a aussi confirmé le rôle de la Direction des adjudications au niveau de la procédure prévue pour un développement du secteur de l’électricité, au moment où le parti fondé par le président Michel Aoun essayait de contourner cette procédure.Saad Hariri et la rue ont pratiquement vibré au même diapason, hier, sans le vouloir, même si le chef du gouvernement n’est pas épargné depuis cinq jours par les insultes d’une foule toujours en colère. Le Premier ministre qui, à maintes reprises, a fait part de son ras-le-bol face à son incapacité à surmonter les querelles et les blocages en Conseil des ministres s’est dit aujourd’hui prêt à soutenir des élections anticipées si jamais les manifestants insistent sur ce point, en saluant leur « mouvement qui a transcendé les allégeances communautaires aveugles et rendu ses lettres de noblesse à l’identité nationale libanaise ».
S’il a aussi rassuré les manifestants quant à la prochaine élaboration d’un projet de loi pour la récupération des fonds détournés, une des revendications de la rue, il n’a à aucun moment abordé la question de son gouvernement – amputés des quatre ministres FL –, alors que la rue réclame le départ de l’équipe actuelle au profit d’une autre, composée de spécialistes. D’aucuns estiment aujourd’hui qu’il sera difficile pour l’équipe Hariri de tenir en place, après avoir été jugée si sévèrement par la rue. Après la démission de May Chidiac, Ghassan Hasbani, Richard Kouyoumjian et Camille Abousleiman, le chef du gouvernement devrait s'efforcer de résorber la colère de la rue en les remplaçant par des figures chrétiennes qui peuvent être jugées acceptables par les manifestants. Mais on n’en est pas encore là, d’autant que dans certains milieux, on estime qu’un remaniement ministériel est aujourd’hui indispensable, le gouvernement actuel ayant perdu sa légitimité après le verdict du peuple.
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commentaires (11)
M. Hariri est le meilleur premier ministre à l'heure actuelle. Par contre il devrait remplacer qques ministres particulièrement ceux visés par la colère des foules et remplacer les 4 ministres démissionnaires des FL.
Tony BASSILA
22 h 46, le 22 octobre 2019