Des manifestants rassemblés au pied de la statue des Martyrs, hier, dans le centre-ville de Beyrouth. Photo Marwan Assaf
Les manifestants clament depuis cinq jours, sans tabous, leur rejet de la classe dirigeante actuelle et leur souhait de démettre les responsables politiques de leurs fonctions. Mais s’ils ont clairement exprimé ce qu’ils ne veulent plus, ils n’ont pas encore défini ce qu’ils veulent exactement, et surtout comment y parvenir.
Aujourd’hui, les yeux sont rivés sur les élites de la société civile susceptibles de prendre les rênes du mouvement, d'en canaliser les revendications et de proposer une alternative. C’est à cela que s’attellent depuis quelques jours diverses coalitions regroupant intellectuels, activistes politiques et sociaux qui, pris de court, se sont rassemblés un peu spontanément pour tenter de proposer une feuille de route, avec la ferme volonté chez certains de dégager des idées et de coordonner les efforts.
S’il est encore difficile d’identifier l’ensemble des courants à l’œuvre, on pourrait toutefois signaler quelques initiatives qui ont commencé à prendre forme au cours des dernières quarante-huit heures.
Un seul mot d’ordre cimente ces groupes encore épars : la démission du gouvernement, la mise en place d’un gouvernement restreint constitué de spécialistes, des élections législatives anticipées et la mise en place d’une loi destinée à restituer les fonds publics pillés, des demandes martelées par les manifestants au cours des cinq derniers jours.
« Ce sont autant de revendications unifiées qui ont été spontanément formulées par les foules bien avant que les activistes et groupes issus de la société civile ne décident de se réunir et de les adopter », commente un activiste ayant pris part à une réunion organisée hier dans un hôtel de la capitale. Parmi les participants, des personnalités indépendantes, des représentants des militaires à la retraite, d’anciens candidats aux législatives de 2018, des membres du parti Sabaa et une palette d’ONG. Une autre initiative prise depuis le début de la révolte a abouti au rassemblement, au cours des derniers jours de plusieurs associations et fondations – dont Kulluna Irada, Beyrouth Madinati, Lihakki, l’observatoire libanais de lutte contre la corruption – aux côtés des membres du Bloc national. Objectif : aboutir à une déclaration commune avec pour tête de chapitre la constitution d’un gouvernement de salut.
(Lire aussi : Ne pas se tromper de diagnostic, l'édito de Michel TOUMA)
Conférence de presse place des Martyrs
Le Bloc national avait déjà donné le ton dimanche. Dans un communiqué, le parti a clairement indiqué son refus de toute réforme proposée par les « partis à caractère confessionnel », car « elles seront otages du clientélisme et du partage du gâteau politique ». Tout en gardant profil bas – histoire de ne pas s’imposer en tant que structure partisane pour laisser la principale marge de manœuvre aux forces civiles –, le BN, qui jouit de l’avantage de n’avoir pas pris part aux différents gouvernements conspués par la rue, a pris activement part à cette nouvelle coalition civile en gestation.
Hier, lors d’une conférence de presse tenue au centre-ville, Pierre Issa du BN et Mona Fawaz de Beyrouth Madinati ont appelé, d’une même voix, à la démission immédiate du gouvernement, préconisant notamment le lancement d'un mécanisme de reddition des comptes en vue de la restitution des deniers publics « subtilisés depuis la fin de la guerre civile ».
Le Club des juges
Sur cette question, le Club de juges, un mouvement réformateur au sein du système judiciaire, a d’ailleurs été précurseur en proposant, il y a deux jours, un plan d’action pour restituer les fonds publics pillés. Les magistrats membres du Club ont réclamé entre autres la levée de l’immunité des responsables politiques et des administrateurs de l’État pour habiliter la justice à engager des poursuites.
Hier, ces magistrats ont été plus loin en publiant une lettre envoyée à la commission d’enquête spéciale relevant de la Banque centrale requérant « le gel préventif et provisoire » de tous les comptes appartenant notamment « aux responsables politiques, hauts fonctionnaires et magistrats », et la vérification de l’origine des sommes dont ils disposent.
Les membres du Club ont également réclamé que l’enquête puisse s’élargir aux banques localisées à l’étranger dans lesquelles hommes politiques et fonctionnaires auraient effectué des dépôts. Cette initiative a été saisie au vol par le Premier ministre, Saad Hariri, qui s’est dépêché d’inclure la proposition des magistrats de ce Club dans la feuille de réforme qu’il a soumise hier, annonçant l’élaboration d’une loi pour la restitution des fonds publics.
Pour sa part, Kulluna Irada, un groupe qui milite pour une réforme politique, a exprimé son « soutien total » au mouvement populaire. « Nous exprimons l’espoir que ce mouvement populaire se poursuive et s’unisse afin que ses revendications justes se réalisent », précise le communiqué. Un message qui en dit long sur l’urgence de fédérer les efforts afin ne pas rater le coche.
(Lire aussi : À Baabda, un Conseil des ministres sous pressions internes et externes, le décryptage de Scarlett HADDAD)
En rangs dispersés
Une fois de plus, les forces actives de la société dite civile se trouvent confrontées à une problématique similaire à celle qu’ils ont eu à affronter durant la crise des déchets en 2015, puis lors des législatives de 2018, aucun mouvement n’ayant pu émerger pour unifier leurs rangs et mettre en place un plan d’action concerté. Cette fois-ci le défi est encore plus grand et les enjeux radicalement différents.
Face à « l’émergence de la foule en tant qu’acteur politique premier » pour reprendre l’expression du professeur Antoine Courban dans nos colonnes, les forces de renouveau ne veulent pas faire de faux pas et cherchent à éviter toute tentative de récupération du mouvement populaire tout en œuvrant, subtilement, à entrer dans la danse ne serait-ce que pour définir un scénario de sortie de crise.
« Personne ne peut prétendre aujourd’hui avoir incité ou encouragé le mouvement de la rue qui était absolument spontané. Personne ne peut par conséquent prétendre à en devenir le moteur ou à en usurper le leadership ou la paternité », commente une activiste.
La course contre la montre a donc commencé entre le pouvoir et la force sociale émergente. Les forces et groupes civils susceptibles de proposer une alternative risquent en effet d’être pris de court, notamment après la batterie de réformes musclées proposées hier par le Premier ministre, qui tente ainsi de gagner du temps pour maintenir en place un gouvernement en perte de légitimité, tout en accordant au mouvement civil le mérite d’avoir ouvert la voie aux réformes.
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commentaires (3)
ET PUISQUE LES CHOSES EN SONT LA... CHAQUE PLACE DEVRAIT NOMMER SES DELEGUES ET TOUS CES DELEGUES DEVRAIENT FORMER UN COMITE DE TRAVAIL POUR PARLER AU NOM DE TOUT LE PEUPLE LIBANAIS... LES PARTIS EXCLUS !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 04, le 22 octobre 2019