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Liban - Protestations

Dans le centre-ville, une volonté d’unifier les revendications

Les manifestants du cœur de Beyrouth opposent un refus sec aux mesures gouvernementales.

Au cœur de Beyrouth, des manifestants portent un énorme drapeau libanais. Photo A.M.H.

Jour cinq pour les protestataires contre le pouvoir en place, qui envahissent une nouvelle fois le cœur de Beyrouth et ses deux places des Martyrs et Riad el-Solh, en ce lundi 21 octobre. Cette journée ne diffère en rien des jours précédents, puisque « la révolte populaire des affamés », comme la nomment certains, a déjà annoncé son intention de poursuivre son mouvement jusqu’à la démission du gouvernement, même si le Premier ministre Saad Hariri a promis de mettre en place toutes les réformes réclamées. Car les manifestants ne croient plus aux promesses vaines de la classe politique dans son ensemble. Et estiment qu’ils lui ont donné largement le temps de redresser le pays et ses finances. Sauf que de ces groupes hétéroclites qui grossissent d’heure en heure, qui scandent chacun ses slogans et entonnent chacun ses chants populaires, émerge une volonté clairement affichée de la société civile, présente en rangs dispersés, d’unir ses voix et ses revendications. Même si aucun leader n’a émergé de ces mouvements de contestation. Et ce, pour faire face à la réponse officielle. Pour parer à d’éventuels débordements. Pour préparer la suite à donner au mouvement et rassurer ceux qui manifestent leur inquiétude.


(Lire aussi : Ne pas se tromper de diagnostic, l'édito de Michel TOUMA)



En rangs dispersés

Résultat, au moment de l’annonce par M. Hariri des réformes du gouvernement en réponse à la colère de la rue, la mobilisation s’est renforcée et les revendications se sont faites plus précises. Non seulement les manifestants, désormais rassemblés en une foule compacte, réclament « la démission du gouvernement », mais ils exigent « des élections législatives anticipées, la formation d’un gouvernement de transition restreint formé de spécialistes pour gérer les élections sous contrôle international et l’adoption d’une loi de restitution des fonds publics détournés, qui sanctionnerait les coupables », bien entendu. Des revendications qui convergent dans le sens de celles de la société civile, notamment du parti Sabaa, de Mouwatinoun wa Mouwatinat fi dawla, mouvement du militant de gauche et ancien ministre Charbel Nahas, pour l’instant.

C’est pourtant en rangs dispersés que la journée commence. Place des Martyrs, des manifestantes assurent « ne plus manger à leur faim ». D’autres réclament « le courant électrique 24 heures sur 24 ». Un groupe d’anciens locataires arborent leurs calicots, dénonçant « l’absence de politique étatique de l’habitat ». Un avocat, Youssef Jurdi, présente un plan « destiné à bâtir un État d’institutions ». Évoquant « le cumul des salaires de certains hommes politiques, notamment du chef de l’État », Abed, agent immobilier, réclame que « tous les privilèges des hommes politiques soient annulés ». Plus loin, devant le Grand Sérail, un petit groupe réclame l’amnistie générale, alors qu’un groupe d’étudiants accuse à grand bruit la classe politique « d’avoir coulé l’Université libanaise et d’empêcher son indépendance financière, politique et pédagogique ».

Assis à l’ombre sur l’escalier de la mosquée al-Amine, faisant flotter leurs drapeaux libanais, les manifestants encouragent sans discontinuer les militants qui déversent leur colère contre la classe politique. Ils dénoncent pêle-mêle les dérives du confessionnalisme politique, le clientélisme, le vol des deniers publics, le ras-le-bol des citoyens... « Vous nous avez appauvris. Vous nous avez menti. Démissionnez tous, partez tous », lancent-ils à qui mieux mieux, énonçant les noms des chefs politiques. « Le peuple veut renverser le régime confessionnel corrompu », reprennent en chœur les protestataires. Des haut-parleurs crachent une musique assourdissante, couvrant les voix des activistes. Les manifestants chantent, dansent, accusent. L’ambiance est bon enfant, même si de trop nombreux motards sillonnent l’espace envahi par les piétons. On distribue de la nourriture, des boissons et des glaces. On est venu en couple, entre amis ou en famille. Mais on entend bien récupérer l’argent public dilapidé ou volé par la classe politique. Un jeune homme, Ziad, accuse de corruption le ministre des Affaires étrangères. « Le président Aoun nous a fait tellement de promesses. C’était notre père à tous. Et aujourd’hui, nous sommes profondément déçus », lance-t-il.


(Lire aussi : À Baabda, un Conseil des ministres sous pressions internes et externes, le décryptage de Scarlett HADDAD)


Les promesses de la société civile

Même scénario, quelques dizaines de mètres plus loin. Les manifestants chantent et dansent, tout en fustigeant la classe politique et réclamant sa démission. Des haut-parleurs diffusent une musique tonitruante. La cacophonie est à son paroxysme. Les musiques s’entremêlent. Personne ne semble dérangé. La résistance civile incarnée par le parti Sabaa a installé une tribune. « Nous réclamons, certes, la démission du gouvernement. Mais cela ne suffit pas, explique Alaa Hussein, un militant. Le mouvement exige d’abord que la date de législatives anticipées soit fixée. Après la démission du gouvernement, un gouvernement restreint de transition formé de spécialistes devra être formé pour gérer les élections, sous contrôle international. Nous voulons enfin que soit adoptée une loi de restitution des fonds publics qui sanctionne les coupables. » À la tribune, une femme assure que « la résistance civile et les autres protestataires représentant la société civile font de leur mieux pour unifier leurs revendications ». « Nous organisons des réunions dans ce sens. Ne craignez rien », ajoute-t-elle. Des chanteurs se relaient, entonnant des succès populaires patriotiques. L’hymne libanais retentit, repris en chœur par les manifestants qui font le salut nazi, bizarrement.

L’annonce par Saad Hariri de son paquet de réformes n’entame en rien la détermination ambiante. Bien au contraire. La colère des militants redouble. Les slogans se font plus cinglants. À l’une des tribunes, les manifestants répondent par un niet tonitruant au Premier ministre. « Démissionnez tous, nous disons bien tous. Nous ne bougerons pas d’ici avant votre départ ! » crient les manifestants à l’adresse du gouvernement. « Espèrent-ils ainsi nous anesthésier? » demande Noha, une enseignante. « Nous poursuivrons notre révolution des opprimés », promet-elle.

Charbel Nahas, l’ancien ministre, dénonce de son côté « les envolées lyriques et les mensonges de Saad Hariri ». « Il promet en un mois de régler le problème de l’électricité », dit-il, sarcastique, tout en invitant « à la démission du gouvernement, afin d’ouvrir la voie à la formation par la société civile d’un gouvernement transitionnel aux pouvoirs exceptionnels ». « Il est grand temps que ce système disparaisse et donne naissance à un État laïc qui protégerait le pays de la faillite et des ingérences régionales, et disposerait de la légitimité populaire nécessaire », insiste-t-il.

Au cœur de cette effervescence, quelques sceptiques se démarquent. À l’instar de deux mères de famille, Nada et Joumana, un jeune producteur, Jimmy, craint pour l’avenir du mouvement. « Des clashes sont à prévoir, craint-il. Je crains fort que les hommes armés d’Amal et du Hezbollah ne viennent nous déloger. »


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