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Liban - Lettre ouverte

Boutros Harb au chef de l’État : Redevenez le président de tous les Libanais

L’ancien ministre Boutros Harb a adressé une lettre ouverte au président Michel Aoun, dont L’OLJ publie de larges extraits :

« Tout en vous exprimant mon respect, il est de mon devoir, après les graves événements survenus dans le pays qui menacent d’effondrement la République et le régime, de vous adresser cette lettre, en votre qualité de président qui a prêté serment de respecter la Constitution et les lois, et de préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale de la nation.

Excellence,

« Vous savez, comme tout un chacun, que je ne fais pas partie de ceux qui vous ont élu président, car vous aviez violé les dispositions de la Constitution lorsque vous aviez été nommé chef du gouvernement de transition en 1988, quand votre mission était de faciliter l’élection d’un chef de l’État. Or vous aviez longtemps contribué à entraver les élections parce que vous refusiez que quelqu’un d’autre que vous soit élu.

« Je ne vous ai pas élu parce que vous aviez décidé de mener les guerres de libération et d’élimination. Comme premier résultat, les Syriens étaient entrés dans l’ensemble du Liban au lieu d’en sortir. Le second avait conduit à des combats interchrétiens et à la destruction de l’infrastructure de leurs régions ; il avait en outre incité l’armée légitime à mener une guerre contre son peuple.

« Je ne vous ai pas élu car après avoir tenté de chasser les Syriens du Liban, comme stipulé dans l’accord de Taëf, vous aviez conclu un marché politique avec eux pour vous ramener au Liban, avec comme condition que vous rejoigniez l’axe des forces du 8 Mars et sortiez du 14 Mars. Vous aviez dès lors changé soudainement de position à l’égard des armes du Hezbollah dont vous refusiez auparavant l’existence.

« Je ne vous ai pas élu parce que vous avez empêché la formation d’un gouvernement pendant plus de deux ans pour imposer votre gendre en tant que ministre, et parce que vous avez empêché l’élection d’un président pendant plus de deux ans et demi, et que vous n’avez accepté qu’elle se tienne que lorsque vous aviez garanti votre élection à la présidence, après avoir conclu un accord avec ceux que vous accusiez de corruption (courant du Futur) et ceux avec lesquels vous vous étiez entre-tués pour le leadership des chrétiens (Forces libanaises). Vous vous êtes partagé le pouvoir, les postes et les quotas tout au long de votre mandat.

« Oui, je ne vous ai pas élu et je ne le regrette pas, au contraire, je suis fier de ma position.

(…)

« Je ne vous ai pas élu, mais j’ai respecté le résultat de votre élection et j’ai prié Dieu de vous aider, en espérant que mon appréciation soit fausse, et qu’après avoir réalisé votre rêve d’accéder à la présidence du pays, vous remédierez à la situation et apporteriez le changement souhaité. Malheureusement, votre mandat, fondé sur un accord visant à protéger l’influence et les intérêts de ses parties, a débouché sur des rapports conflictuels entre elles. Elles ont ainsi partagé le pays en centres communautaires, confessionnels, partisans et familiaux, afin de consolider leur influence et d’accroître leurs richesses sans se soucier du vécu des gens, ni de la trésorerie, du déficit, de l’économie, du chômage, de l’émigration, de la pauvreté et de la faim.

« Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous déclarer que le Liban n’a jamais connu dans son histoire une performance plus mauvaise qu’au cours des trois premières années de votre mandat, selon le témoignage même de vos proches et de vos alliés politiques. La corruption s’est généralisée, les lois ont été violées, des accords scandaleux ont été conclus et le Liban est devenu un pays de partage de butin et d’absorption de l’argent du peuple.

« Le pouvoir n’a jamais fait l’expérience d’une personnalisation du pouvoir si malencontreuse pour les institutions, la Constitution et les lois (...). Il suffit de voir comment vous avez délégué votre proche, votre ministre des Affaires étrangères, pour diriger le pays à votre place, afin qu’il devienne le chef qui décide de tout. Vous avez donc porté la responsabilité de ses échecs, de son harcèlement, de son avidité, de ses haines et de sa corruption, ainsi que des comptes qu’il souhaite régler.

« Malheureusement, aucune de vos promesses envers les Libanais n’a été tenue à cause de votre soumission à votre entourage familial, aux thuriféraires, à ceux qui n’ont que des intérêts, mais qui n’ont ni expérience ni culture politique, et dont le rôle a été de vous satisfaire et de vous dissimuler les faits, sans parler de leurs conflits entre eux.

(…)

« En conséquence, la situation sociale a explosé à la face de votre mandat, quand le peuple a épuisé sa patience et décidé de redemander des comptes et de mettre fin au mépris où l’on tenait ses opinions, ses sentiments et ses besoins (...).

« Ainsi, en dépit de mes appréhensions pour le pays, je me permets de vous reconnaître ainsi qu’à votre gouvernement une énorme réussite : vous avez uni les Libanais autour du rejet de votre action (...)

« Toutefois, j’ai peur de deux choses qu’il revient à vous, et à vous seul, d’éviter. La première est que vous restiez dans le déni du sérieux du mouvement populaire, en particulier après que certains membres de votre entourage ont cherché à vous convaincre que ce mouvement est dans l’intérêt du mandat et peut être utilisé contre les opposants, ou que le soulèvement populaire est l’œuvre d’ambassades, ou qu’il faut compter sur le facteur temps et l’essoufflement du mouvement, ou encore recourir à la politique des baumes qui ne résolvent pas les gros problèmes, mais ne font que reporter la grande explosion.

« La seconde chose consiste à essayer de plaire au peuple en remaniant votre équipe gouvernementale et en en préservant les corrompus, pour des considérations sentimentales, familiales ou partisanes, ou aussi pour des considérations politiques afin d’éviter de rompre l’arrangement sur base duquel – et à cause duquel – vous avez été élu.

« Il vous est demandé, Monsieur le Président, de prendre une position consciencieuse, historique et courageuse. Il vous est demandé de renverser la table sur votre entourage et de chasser les marchands du Temple.

« (…) Monsieur le Président, il vous est demandé de vous libérer de vos alliances, de vos amis et de votre entourage, et de redevenir président de tous les Libanais, plutôt que d’être président d’une partie d’entre eux face aux autres.

« Il faut sortir du jeu des intérêts et des compromis et rejoindre celui de la Constitution et de la loi. (…) Il faut reprendre l’initiative et demander aux forces politiques rivales (…) de se tenir de côté et de renoncer à leurs revendications et leur rôle, fût-ce provisoirement, pour (…) former une équipe de travail composée de personnes compétentes, intègres, capables d’établir des plans sérieux pour sauver le pays, en commençant par un plan économique (…) en passant par l’élaboration d’une loi électorale et l’organisation de législatives anticipées (…).

« Notre peuple a peur de sa situation et craint pour son avenir et celui de ses enfants, et il attend de vous, dans sa majorité raisonnable, cette initiative courageuse, qui pourrait mettre le pays sur la voie d’un rétablissement, avant qu’il ne soit trop tard (…) Il est nécessaire de recouvrer la confiance en les institutions que vous présidez, une confiance perdue à cause des prestations de vos ministres et de l’avidité de la classe dirigeante. Au nom de cette majorité, je vous invite à prouver votre courage pour sauver le Liban de ses prédateurs. »


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L’ancien ministre Boutros Harb a adressé une lettre ouverte au président Michel Aoun, dont L’OLJ publie de larges extraits :« Tout en vous exprimant mon respect, il est de mon devoir, après les graves événements survenus dans le pays qui menacent d’effondrement la République et le régime, de vous adresser cette lettre, en votre qualité de président qui a prêté serment...

commentaires (5)

Tout à fait d'accord, sauf sur un mot: il ne fallait pas écrire "redevenez", mais "soyez".

Yves Prevost

07 h 24, le 23 octobre 2019

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Commentaires (5)

  • Tout à fait d'accord, sauf sur un mot: il ne fallait pas écrire "redevenez", mais "soyez".

    Yves Prevost

    07 h 24, le 23 octobre 2019

  • "Le président de la République ne saurait être confondu avec aucune formation. Il doit être l'homme de la nation toute entière, exprimer et servir le seul intérêt national." Général de Gaulle, le 30/11/1965. "Celui qui est né pour ramper, ne pourrait voler." Maxime Gorki

    Un Libanais

    15 h 02, le 22 octobre 2019

  • "Le président de la République ne saurait être confondu avec aucune formation. Il doit être l'homme de la nation toute entière, exprimer et servir le seul intérêt national." Général de Gaulle, le 30/11/1965. "Celui qui est né pour ramper, ne pourrait voler." Maxime Gorki

    Un Libanais

    14 h 58, le 22 octobre 2019

  • LE BEAU-PERE POUSSE LE GENDRE OU LE GENDRE POUSSE LE BEAU-PERE. DANS LES DEUX CAS IL FAUT DU CHANGEMENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 59, le 22 octobre 2019

  • Mais de quoi tu parles ?! Aïe aïe politique ..

    Bery tus

    06 h 59, le 22 octobre 2019

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