"Le peuple veut la chute du pouvoir!"; "Révolution ! Révolution !" Ils étaient des dizaines de milliers de Libanais dans la rue à travers le pays samedi, pour une troisième journée de mobilisation contre la classe politique accusée de corruption, un mouvement inédit depuis des années au Liban.
En dépit des appels à la retenue de plusieurs responsables politiques ainsi qu'une intervention musclée des forces de l'ordre dans la nuit de vendredi et des dizaines d'arrestations, les rangs des manifestants n'ont eu cesse grandir, notamment dans le centre-ville de Beyrouth et à Tripoli, deuxième ville du pays. Samedi, dans la journée et même le soir, contrairement aux deux nuits précédentes d'affrontements entre casseurs et forces de l'ordre, les Libanais étaient rassemblés dans une ambiance bon enfant. Seul un petit accrochage entre manifestants devant la mosquée al-Amine a été signalé en fin de soirée. Et dans ce qui semblait être une tentative d'éviter de nouveaux dérapages, des manifestants, place Riad Solh, s’étaient déployés dans la journée entre la foule et les forces de l'ordre.
Fait aussi rare que marquant, le mouvement a gagné plusieurs fiefs du Hezbollah et de son allié Amal à Tyr, et Nabatiyé au Liban-Sud. D'autres rassemblements ont également eu lieu dans le Akkar, où des affrontements avec les forces de l'ordre ont fait trois blessés, et à Zghorta au Liban-Nord, à Baalbeck dans la Békaa, à Jal el-Dib dans le Metn mais aussi à Zouk dans le Kesrouan.
Plusieurs axes routiers ont été bloqués par des barricades dressées par des manifestants ou des pneus et des bennes à ordure incendiés. Le matin, l'armée avait rouvert des autoroutes, pendant que des volontaires nettoyaient le centre-ville transformé la veille en un champ de bataille. Beaucoup de devantures de magasins ont été détruites, certains ont été incendiés, des bennes à ordures et des pneus brûlés jonchaient le sol. Dans un communiqué, l'armée a appelé samedi les manifestants à "s'exprimer de manière pacifique sans porter atteinte aux biens publics et privés". De son côté, Amnesty International a appelé les autorités "à mettre fin immédiatement à l'usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques".
Vendredi soir, le Premier ministre, Saad Hariri, confronté à des appels à la démission de son gouvernement, a défendu les réformes qu'il tente de faire adopter pour redresser une économie exsangue. Il a accusé des membres de la coalition d'entraver ses efforts et donné à celle-ci 72 heures pour se prononcer clairement en faveur des réformes. Samedi, il a convoqué les groupes politiques à des concertations. Premier parti à donner sa réponse claire : les Forces libanaises ont demandé à leur ministres de démissionner du cabinet, a annoncé le chef du parti Samir Geagea samedi peu avant minuit.
Devant la mosquée al-Amine, des jeunes étaient rassemblés dans la journée, ils brandissaient une banderole. "Mon message est celui que porte notre banderole. Ils doivent partir, tous. Nous voulons que nos enfants aient un avenir. Nous ne croyons plus à leur promesse, nous resterons jusqu’à ce qu’ils partent", lance Roula.
"Normalement, je ne manifeste pas. Mais pour la première fois depuis 2005, j’ai vu que les manifestants ne brandissaient que le drapeau libanais. C’est le peuple qui est dans la rue. Je suis prof d’histoire géographie. J’enseigne à mes élèves des valeurs comme la citoyenneté et patriotisme. C’est le moment que j’exprime, en action, ce que je prêche", lance Joe, 30 ans.
"Il faut être là aujourd'hui, demain et lundi. Souvenons-nous de ce qui s'était passé en 2005, le fait que tout le monde soit descendu a bouleversé l'histoire du Liban. Je crois au changement, surtout si les jeunes de mon âge se mobilisent. Il faut que certains renoncent à leurs affiliations politiques et rejoignent ce mouvement populaire", déclare Yara, 23 ans.
Dans le centre-ville de Beyrouth samedi vers midi. Photo T.A.
Alors qu'un groupe d'hommes des services de renseignements passait à côté des manifestants, un jeune leur lance, en souriant : "Si vous allez nous taper, visez les jambes s'il vous plaît, pas la tête!".
Plus loin, des manifestants munis de grands sacs en plastique ramassaient les déchets, et notamment les bouteilles en plastique. Geste citoyen fort dans un pays en butte à une crise des déchets depuis des années.
Certains politiciens étaient copieusement insultés, et dans les termes les plus crus, par les manifestants. Essentiellement Gebran Bassil, ministre des Affaires étrangères et chef du CPL, ainsi que le président du Parlement et chef d'Amal, Nabih Berry. L'épouse de Berry a également droit à des slogans peu flatteurs... Si Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, est lui aussi visé, les slogans sont moins massivement repris par la foule.
Dans la soirée, des vedettes du petit écran, Wissam Hanna, Rola Hamadé ou encore Marinelle Sarkis, débarquent. Commencent alors de longues séances de selfie avec les manifestants. Un peu plus loin, un chanteur, à bord d'un véhicule, galvanise la foule.
"Il faut que les gens se calment. Si le gouvernement chute on sera dans une très mauvaise situation", déclare, pour sa part, Hassan Alawiyeh, 30 ans. Un discours qui tranche avec tous les appels, criés, à la démission du gouvernement. "Ce qu’on demande aujourd’hui (au gouvernement), c’est qu’il comprenne qu’il a dépassé les bornes, on ne peut plus supporter ses taxes. Qu’il fasse des économies sur les dépenses publiques. Trop d'argent est dilapidé par l’Etat". Il ajoute : "Les gens qui viennent casser le soir ne sont pas comme nous. Ils sont envoyés par les politiques".
Dans le centre-ville de Beyrouth, samedi soir. Photo N.M.
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Révolution populaire apolitique spontanée d’un ras-le-bol généralisé! On en a la chair de poule, on applaudit tout excités de ce réveil et sursaut de conscience des braves gens, des citoyens ordinaires qui n’arrvient plus à boucler leurs fins de mois, qui ne voient plus d’espoir d’avenir etc... Sauf que le réveil sera dur: qui prendra la relève ou remplira le vide éventuel? Lisez entre les lignes du discours de HN: interdiction de démission du gouvernement et ne touchez pas au mandat de notre poulain et de son gendre... Sinon, nos chemises noires pourraient rejoindre dans la rue les empêcheurs de tourner en rond et la loi martiale pourrait être décrétée... Car, selon leurs analyses, c’est un complot ourdi par l’Amérique, les israéliens pour casser l’axe de la résistance et bla bla habituel... C’est donc une situation extrêmement compliquée et dangereuse et qui pourra mener à un chaos généralisé et des prémices de nouvelle guerre civile... Que Dieu nous en préserve!
01 h 22, le 20 octobre 2019