Depuis le début du mouvement de contestation populaire qui agite le Liban, Tyr et Nabatiyé, au Liban-Sud, sont des foyers de mobilisation. Samedi, au troisième jour du mouvement, environ un millier de manifestants étaient rassemblés à Tyr, dans une ambiance revenue au calme après l'intervention musclée plus tôt dans la journée de "miliciens" du mouvement Amal, du président de la Chambre, Nabih Berry. Ce dernier est la cible de critiques virulentes depuis le début du mouvement de contestation qui s'est emparé du Liban jeudi.
Selon notre correspondante dans la région, Badia Fahs, les affrontements entre miliciens et manifestants ont fait un mort.
Parmi les manifestants dans les rues de Tyr, qui sont entourés par un fort déploiement de l'armée et des Forces de sécurité intérieure, Mohammad, 38 ans, veut "que les choses changent". "Nous voulons le respect de nos droits les plus élémentaires : du travail, de l'électricité, moins de taxes", lance-t-il, lui qui est au chômage depuis deux ans et demi après avoir travaillé onze ans dans le Golfe, dans le secteur du pétrole. Une carrière qu'il a dû abandonner face aux difficultés rencontrées par les Libanais chiites pour obtenir des visas dans les pays du Golfe en raison de la politique du Hezbollah (pro-iranien).
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Plus tôt dans la journée, les contestataires pacifiques avaient été attaqués et menacés par des hommes armés, identifiés comme appartenant au mouvement Amal, qui ont investi les rues de la ville dans un convoi de voitures, selon Badia Fahs. "Ils ont tiré en l'air et un jeune a été tué", rapporte-t-elle, indiquant que des affrontements violents ont eu lieu avec les manifestants.
Dans une vidéo publiée sur son compte Twitter, l'activiste et journaliste Yumna Fawaz raconte que, dans la matinée, des gens qui, pourtant participaient vendredi aux manifestations, "ont attaqué et frappé" les manifestants. "Ils étaient à nos côtés hier pour insulter les partis et mouvements politiques au pouvoir ainsi que Nabih Berry mais, aujourd'hui, on les a payés. Donc ils ont pris les armes et ils se s'en sont pris à nous", indique-t-elle, soulignant que ces hommes armés ont poursuivi les manifestants pacifistes qui tentaient de se rassembler ailleurs, en les frappant avec des matraques et en les menaçant avec leurs armes. "Les services de renseignement de l'armée nous suivaient également et protégeaient" les miliciens, ajoute-t-elle. "Ici, nous sommes à Tyr, et Tyr nous appartient, elle n'appartient pas à ceux là qui nous frappent et nous attaquent, lance Mme Fawaz. L'Etat les protège, l'armée les protège... Mais qui donc protège les manifestants qui réclament le respect de leurs droits ?"
Malgré ces comportements miliciens de certains partisans, les manifestants, qui disent appartenir au "mouvement Amal originel" de l'imam Moussa Sadr, continuaient samedi, comme les deux derniers jours, à traiter de "voleur" le président de la Chambre et les ministres et députés de son mouvement. La veille, ils avaient envahi et incendié le complexe balnéaire "Resthouse" de Tyr, qui appartient à l'épouse de Nabih Berry, Randa. Les miliciens berryistes ont utilisé comme prétexte le fait qu'une photo de l'imam Moussa Sadr a pris feu lors de l'incendie de ce centre de vacances, pour s'en prendre vendredi aux manifestants et mettre un terme au mouvement de contestation, selon notre correspondante Badia Fahs.
Réagissant à ces événements, Amal a dit, dans un communiqué, rejeter les manifestations armées à Tyr et a affirmé avoir lancé une enquête "afin de déterminer qui en est responsable pour prendre les sanctions nécessaires". Le mouvement a également affirmé que de fausses vidéos circulaient dans le but de déformer l'image du parti dans les manifestations.
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Les leaders politique, voilà contre qui Salah, un habitant de Tyr de 41 ans, est remonté. "Je travaille dans une bonne entreprise, mais dès le 15 du mois, j’ai épuisé mon salaire. Ma femme travaille aussi. Mais nous ne parvenons pas à joindre les deux bouts. Je n’ai pas d’autre nationalité. Je n’ai nulle part où aller. Aujourd’hui, je veux me battre jusqu’au bout pour changer les choses. A chaque fois que nous avons besoin de quelque chose, nous devons supplier le leader politique ou son sous-chef. Ce n’est pas possible, nous avons des droits, ils doivent être respectés", lance ce père de trois enfants, interrogé par L'OLJ.
Nabatiyé
A Nabatiyé (Liban-Sud) où les manifestants sont également très critiques de M. Berry et de son parti, des affrontements ont également eu lieu avec des partisans Amal.
Vers minuit, dans la nuit de vendredi à samedi, des gens ont décidé de passer la nuit devant le Grand Sérail. Peu après, des personnes qui ne sont pas de la ville sont venues tabasser ces manifestants à coups de bâton et les ont sommés de partir, rapporte notre correspondante. "Ces derniers refusant de quitter les lieux, des affrontements ont éclaté entre les deux camps", ajoute-t-elle. Vers 3h du matin, des partisans du Hezbollah sont intervenus. Ils ont autorisé les manifestants à poursuivre leur sit-in, à condition de ne pas lancer d'insultes contre les dirigeants du parti chiite et du mouvement Amal. Depuis cette intervention, les manifestants sont rassemblés et poursuivent tranquillement leur mouvement.
Nabatiyé, ville à forte densité démographique, souffre d’un fort taux de chômage. Depuis 1992, le peuple élit le tandem chiite Amal-Hezbollah, mais beaucoup considèrent que les élus n’en font pas assez pour le développement du caza. Les opportunités de travail manquent, et les infrastructures, en eau et électricité notamment, sont défaillantes.
Vendredi, soit au deuxième jour de la mobilisation des Libanais à l'échelle de tout le pays, certains manifestants, à Nabatiyé, appelaient déjà à la démission du gouvernement. Ce mandat est "maudit", lançait un manifestant, "depuis trois ans, nous accumulons les désastres". Les manifestants sont également convaincus que si les partisans d'Amal et du Hezbollah ne se joignent pas à eux, les choses ne changeront pas, car le tandem chiite a une forte influence dans la ville.
Des milliers de Libanais manifestent depuis trois jours, à travers tout le pays, contre les responsables politiques et la crise économique. Certains réclament la démission du gouvernement, voire celle du chef de l’État Michel Aoun. Le Premier ministre, Saad Hariri, a annoncé vendredi qu'il donnait un délai de 72h aux membres du gouvernement pour avaliser les réformes prévues, à défaut, il a laissé entendre qu'il pourrait démissionner.
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Par leur position hostile aux pays du golfe ce sont toutes les confessions qui ont été punis Que l’ Iran nous donne du boulot alors si c est eux qu’ils vantent à tout bout de champ !
23 h 05, le 19 octobre 2019