C’est la politique du bord du gouffre. Il a fallu que la crise économique flirte avec de graves lignes rouges, mais aussi que se constitue un large front souverainiste autour du leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, ainsi que le communiqué publié en début de semaine par l’ambassade des États-Unis à Beyrouth – qui avait mis en garde contre « toute exploitation politique » des incidents de la Montagne –, pour que la crise politique suscitée par l’affaire de Qabr Chmoun (30 juin) trouve enfin son dénouement : la réconciliation entre M. Joumblatt et son rival, le chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane.
Quarante jours après les affrontements qui avaient opposé des partisans du PSP à d’autres du PDL et coûté la vie à deux gardes du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib, aussi bien Walid Joumblatt que son adversaire ont fini par accepter de se rendre à Baabda pour une rencontre de réconciliation sous la houlette du chef de l’État Michel Aoun. Une option qui s’était pourtant longtemps heurtée à l’opposition tant du leader de Moukhtara que du chef du PDL. Outre le président de la République et les deux rivaux druzes, le chef du législatif Nabih Berry et le Premier ministre Saad Hariri étaient présents.
Comme prévu, la réunion élargie de Baabda a pavé la voie à une relance des séances du Conseil des ministres, paralysé depuis le 2 juillet dernier du fait de l’insistance de Talal Arslane à déférer l’affaire de Qabr Chmoun devant la Cour de justice, un tribunal d’exception dont les jugements sont sans appel et qui statue sur les crimes portant sur la sécurité de l’État. Le gouvernement reprendra donc ses réunions ce matin à 11 heures. La séance aura lieu à Baabda sous la présidence de Michel Aoun.
Sauf que contrairement à ce qu’aurait pu espérer le leader de Khaldé, l’affaire ne sera pas déférée, au moins pour le moment, devant la Cour de justice. C’est cette impression qui se dégage du communiqué publié hier à l’issue de la réunion et dont a donné lecture Saad Hariri, après avoir annoncé que Walid Joumblatt et Talal Arslane se sont réconciliés : « Les participants ont stigmatisé l’incident de Bassatine-Qabr Chmoun (caza de Aley) du 30 juin dernier, qui a fait deux morts et nombre de blessés. Cet incident est aujourd’hui aux mains de la justice militaire qui mène une enquête pour en clarifier les circonstances, et ce conformément aux lois en vigueur. À la lumière des résultats de l’enquête, le Conseil des ministres prendra la décision adéquate. »
Une façon de faire barrage aux tentatives de M. Arslane de mener le dossier devant la Cour de justice dans la mesure où, selon lui, il ne s’agit rien de moins qu’une tentative d’assassinat perpétrée contre son ministre Saleh Gharib. Des observateurs politiques contactés par L’Orient-Le Jour vont même jusqu’à rappeler que la solution sur laquelle a débouché la réunion d’hier n’est autre que la sortie de crise pour laquelle Moukhtara avait longtemps plaidé. D’ailleurs, Walid Joumblatt n’a pas manqué de se dire « heureux » des résultats de la rencontre de Baabda, à l’heure où Nabih Berry a vu dans la réconciliation interdruze « un accomplissement ».
À L’OLJ, des sources proches du PSP expliquent la sortie de crise hier aussi bien par la très grave conjoncture économique que par l’appui indéfectible de MM. Berry et Hariri, ainsi que du leader des Forces libanaises, Samir Geagea, au chef du PSP.
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Interrogé par L’OLJ, Rami Rayess, responsable média au sein du PSP, s’est félicité de la réconciliation interdruze ainsi que de la relance du Conseil des ministres. Il a en outre rappelé que le leader de Moukhtara s’est toujours montré favorable à l’initiative du chef du législatif, principalement axée sur la réconciliation entre les deux rivaux druzes, et n’a fait que plaider pour que la justice puisse trancher le dossier de Qabr Chmoun. Et M. Rayess de « remercier toutes les forces politiques souverainistes qui ont soutenu le PSP tout au long de la crise ».
En face, Khaldé a opté pour le silence à la suite du meeting de Baabda, préférant ne pas commenter la solution. Quant au chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, à qui le PSP avait ouvertement imputé la responsabilité des heurts de Qabr Chmoun sur le triple plan « politique, légal et moral », ses sources se sont félicitées de la réconciliation Arslane-Joumblatt.
Cités par la chaîne LBCI, les milieux proches de M. Bassil ont insisté sur le fait que les tentatives de transformer le clivage en une querelle druzo-chrétienne ont échoué. Selon les proches du ministre des Affaires étrangères, le CPL veut « que la justice prenne son cours et que tout le monde jouisse de son droit politique de circuler dans n’importe quelle région libanaise, loin de tout monopole ».
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Le communiqué US
Bien au-delà de la redynamisation du Conseil des ministres et de la réconciliation interdruze, c’est surtout sous l’angle de son timing qu’il conviendrait d’aborder la rencontre de Baabda. Et pour cause : celle-ci est intervenue quelques jours après le communiqué publié par l’ambassade des États-Unis mettant en garde contre l’exploitation politique de l’incident du 30 juin. Un texte perçu comme un appui américain implicite à Walid Joumblatt confronté, selon les milieux souverainistes, à une « tentative de l’affaiblir de la part du camp du 8 Mars dans son ensemble ».
Contacté par L’OLJ, un analyste politique qui a requis l’anonymat explique que la rencontre d’hier a montré que « les tentatives d’assiéger Walid Joumblatt politiquement ont connu un échec. D’autant que le rapport de force, aussi bien au plan local que sur la scène régionale, n’est pas favorable à ceux qui mènent bataille contre Moukhtara ». Selon lui, « il s’agit surtout de l’Iran et de ses alliés. Mais en Syrie, ce sont les Russes, et non plus les Iraniens, qui enregistrent les gains », précise-t-il, estimant que Moscou n’est aucunement en mesure d’affaiblir le leader du PSP.
Concernant le communiqué de l’ambassade américaine, l’analyste politique estime qu’il a tiré la sonnette d’alarme et mis en garde contre un déséquilibre politique (en faveur du Hezbollah et de ses alliés) et poussé tout le monde à aller dans le sens d’une solution à la crise. D’autant que ses retombées économiques seraient extrêmement fâcheuses.
Un observateur politique interrogé à son tour souligne que c’est à la faveur du communiqué américain, mais aussi d’un certain raidissement du Hezbollah, que le Liban a pu tourner la page Qabr Chmoun. Selon lui, « le parti chiite a préféré encourager les efforts en faveur d’un dénouement dans la mesure où il estime que le timing de la bataille menée contre Walid Joumblatt, mais aussi et surtout Saad Hariri, est inopportun, à l’heure où le parti chiite a besoin d’une couverture officielle ». « Un tableau auquel s’ajoute le soutien américain à Walid Joumblatt », ajoute-t-il.
Toutefois, pour les milieux de Moukhtara, le communiqué de l’ambassade des États-Unis ne reflète pas uniquement un appui à M. Joumblatt, mais porte aussi des messages directs au chef du CPL, ainsi qu’à des personnalités proches du Hezbollah, avec en toile de fond les sévères sanctions américaines infligées au parti de Hassan Nasrallah. D’autant que M. Bassil avait lui-même manifesté son appui au parti chiite il y a quelques jours. Dans une déclaration à Euronews, le chef de la diplomatie avait estimé que « le Hezbollah n’est pas un groupe armé, mais une composante du peuple libanais ».
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Au temps de la guerre civile, on avait un accord toute les trois minutes et un cadavre toute les deux minutes...évolution oblige, on a toujours les accords mais moins de cadavres et plus de déclarations et de confettis de presses!! Même résultat que durant la guerre : marche arrière à cadence rapide type tango, vers les gueules des grands loups qui nous attendent avec joie...et nos dirigeants (no giggles please) nous mènent vers notre trépas tout en serrant chèrement leurs millions (prière lire milliards) et leurs passeports! A ceux qui croient toujours au père Noël, multiconfessionnel et bien de Chez nous bien sûr: Kesskoun!
02 h 49, le 11 août 2019