Alors que le fossé ne cesse de se creuser entre les deux camps impliqués dans l’affaire de Qabr Chmoun, à savoir le PSP de Walid Joumblatt et le PDL de Talal Arslane, chaque partie cherche à élargir le champ des divisions pour tenter de sortir de l’impasse. Depuis mardi, le PSP vise ainsi clairement le président de la République et son camp, en particulier le chef du CPL, alors que le PDL affirme que le problème touche l’ensemble du gouvernement puisqu’il s’agit d’une tentative d’assassinat ayant visé l’un de ses membres.
Mais dans toute cette crise qui se prolonge depuis plus d’un mois, la position la moins enviable est celle du Premier ministre, que chaque camp cherche à attirer de son côté.
(Lire aussi : Qabr Chmoun : l’ambassade US entre en scène et met en garde contre une instrumentalisation de l’incident)
En réalité, la déclaration du chef des Forces libanaises, dans le cadre d’un entretien télévisé accordé à la chaîne MTV, sur le fait que le 14 Mars est une ligne rouge indique une intention réelle de relancer ce mouvement qui avait connu une période de déclin avec la conclusion de ce qu’on a appelé « le compromis présidentiel ». Avec la fin de la troisième année du mandat de Michel Aoun (le 31 octobre 2016) et dont l’accession à la tête de la République avait totalement redistribué les cartes internes, les forces qui s’étaient ralliées, plus ou moins à contrecœur, au « compromis présidentiel » veulent s’en dégager et revenir à la division politique qui existait auparavant entre le 14 Mars et le 8 Mars.
Walid Joumblatt, qui avait été le premier à faire faux bond au mouvement du 14 Mars, y est revenu à la faveur de l’affaire de Qabr Chmoun, et les Forces libanaises, qui ont toujours gardé cette option, la revendiquent de nouveau clairement.
Seul le Premier ministre reste encore hésitant et il fait l’objet de nombreuses pressions de la part des deux camps pour justement choisir le sien.
Selon des sources proches de l’ex-8 Mars, la décision de relancer l’alliance du 14 Mars n’est pas seulement interne et prise par le PSP et les FL. Elle a une dimension régionale et internationale avec la visite déclarée du ministre Waël Bou Faour à Riyad, suivie de près d’une visite de l’ancien député Antoine Zahra (FL), qui n’a pas été officiellement annoncée. En même temps, toujours selon les sources précitées, la visite des trois anciens Premiers ministres Tammam Salam, Nagib Mikati et Fouad Siniora en Arabie s’inscrit officiellement dans le cadre de l’appui aux prérogatives du Premier ministre selon les dispositions de l’accord de Taëf. Mais en filigrane, on peut y lire une volonté de faire pression sur Saad Hariri pour qu’il soit plus offensif avec ses partenaires au sein du gouvernement, notamment le chef de l’État, le chef du CPL et leur groupe ministériel.
Finalement, quelle que soit la version retenue des incidents de Qabr Chmoun, les développements politiques qui les ont suivis montrent qu’ils se sont véritablement transformés en crise politique profonde. Selon les sources proches de l’ex-8 Mars, c’est en réalité le fameux compromis présidentiel et les rapports de force qu’il a instaurés qui sont visés. La volonté des FL et du PSP de dépasser le rôle direct du PDL de Talal Arslane, alors que son ministre Saleh Gharib a failli être tué, pour mettre directement en cause le chef de l’État, en serait la preuve irréfutable. De même, la déclaration claire de Walid Joumblatt réclamant « des garanties de la part du Hezbollah » indique aussi une volonté d’impliquer cette formation dans le conflit pour que toutes les composantes du 14 et du 8 Mars reviennent sur la scène.
(Lire aussi : Du palais de Justice à Qabr Chmoun, le Léviathan syro-iranien toujours à l’œuvre)
Dans ce contexte de division et de tentative de reconstituer les barricades politiques entre deux clans clairement définis, la position du Premier ministre reste cruciale et n’est certes pas enviable. Le PSP et les FL veulent tout faire pour qu’il reprenne le leadership du 14 Mars, alors que ni le Hezbollah ni le chef de l’État et son camp n’ont intérêt à ce que cette division réapparaisse.
Pour tous les protagonistes, l’enjeu est important. Les FL et le PSP ne peuvent pas en effet relancer seuls le mouvement du 14 Mars en dépit de tous les appuis locaux, régionaux et internationaux dont ils peuvent bénéficier. Ils ont donc besoin du courant du Futur, dont d’ailleurs une partie de la base n’est pas hostile à un repositionnement politique. Mais de l’autre côté, le Premier ministre, qui est l’un des principaux partenaires du fameux « compromis présidentiel », prend des risques en changeant son positionnement, notamment sur le plan de sa relation avec le chef de l’État et avec le chef du CPL, mais aussi sur le plan du sort du gouvernement qu’il préside. En effet, le fameux compromis stipulait que Saad Hariri appuie l’arrivée de Michel Aoun à la présidence et que ce dernier facilite sa désignation à la tête du gouvernement. Aujourd’hui, dans le rapport actuel des forces politiques, le 14 Mars est-il en mesure de faire nommer Saad Hariri à la tête d’un nouveau cabinet si celui-ci devait démissionner ? Et dans le cas contraire, si l’alliance CPL-Hezbollah fait tomber l’actuel gouvernement, a-t-elle la possibilité de trouver un remplaçant crédible à Saad Hariri ?
Dans le contexte actuel, les deux camps ont la possibilité de faire tomber le gouvernement, mais aucun d’eux n’est assuré de pouvoir en former un nouveau qui puisse obtenir la confiance d’un Parlement dans lequel le Hezbollah et ses alliés (surtout si on compte parmi eux le bloc du Liban fort) ont la majorité des sièges... Pour toutes ces considérations, l’affaire de Qabr Chmoun et l’escalade verbale qui l’a suivie ont mis toutes les parties au pied du mur. Toutes se trouvent désormais dans l’impasse après être allées trop loin dans leurs prises de position, tout en redoutant un recul qui leur ferait perdre la face...
Lire aussi
Après les accusations de Bou Faour, le bloc aouniste affirme "se fier à la justice"
La nasse, l'éditorial de Issa GORAIEB
Joumblatt reste incontournable !, le décryptage de Scarlett HADDAD
Hamadé tance les ministres qui veulent « transformer le régime démocratique en dictature népotiste »
Mises en garde occidentales contre une chute du cabinet Hariri
Nasrallah : Dire que le Hezbollah contrôle le Liban est un mensonge
Geagea à « L’OLJ » : Le scénario de Saydet el-Najate se répète avec Walid Joumblatt
Joumblatt à « L’OLJ » : « Le dialogue ? Oui. La capitulation ? Jamais ! »
commentaires (7)
LA QUESTION SE POSE S'IL Y AURA UN REMPLAÇANT CRÉDIBLE À SAAD HARIRI EN CAS OÙ ? C'EST LA BLAGUE DU JOUR NON ? PRENEZ N'IMPORTE QUEL HOMME D'ORIGINE SUNNITE DANS LA RUE SERA CAPABLE À FAIRE MIEUX QUE SAAD. MAIS ACHRAF RIFI SERA L,HOMME DE LA SITUATION À MON AVIS.
Gebran Eid
14 h 15, le 08 août 2019