Le tabassage devant le palais de Justice en août 2001.
La réconciliation de la Montagne scellée en août 2001 entre les chrétiens, représentés par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, et les druzes, en la personne du chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, avait immédiatement provoqué l’ire du régime sécuritaire libano-syrien. Ses « services », notamment militaires, souvent infiltrés parmi les civils, iront à l’assaut des étudiants des partis chrétiens de l’opposition, raflant dès la fin de la tournée du patriarche maronite dans le Chouf, le 7 août, tous les cadres supérieurs des Forces libanaises et du courant aouniste (il y aura plus de 150 interpellations), avant de réprimer violemment, le 9 août, les opposants qui manifestaient pour la libération de leurs camarades devant le palais de Justice. L’appareil sécuritaire libano-syrien répressif exhibait ainsi pour la première fois sa violence contre les opposants à la mainmise de Damas avec une brutalité inouïe, dévoilée uniquement au grand public grâce au courage de la chaîne MTV, qui seule défiera la censure imposée par le pouvoir en place. La ratonnade des étudiants avait pour objectif de renvoyer un message clair : tout lien susceptible de souder une opposition plurielle à la tutelle syrienne devait être brisé, même par l’usage excessif de la violence. Or, la réconciliation était porteuse de symboles d’unité incompatibles avec un régime de tutelle. La promptitude et la brutalité de la répression révélaient la menace qu’un tel acte incarnait pour Damas. D’abord par son caractère transcommunautaire, l’alliance entre Bkerké et Moukhtara compromettait les méthodes traditionnelles du régime syrien de fomenter des dissensions entre les communautés, mais aussi leurs chefs respectifs – bien diviser pour régner, selon la formule de Machiavel – pour mieux aider ensuite à les résoudre (pompier-pyromane).
(Lire aussi : Retour sur les rafles du 7 août 2001)
Diabolisation des parties chrétiennes
Ensuite, cet acte transcommunautaire était d’autant plus voué à durer qu’il instituait un premier dépassement des barricades mentales de la guerre civile, dont l’un des terrains les plus traumatisants avait été la Montagne en 1977 et en 1983. La réconciliation était un manifeste implicite contre la lecture sélective et politique de la guerre dictée par le régime syrien, qui s’articulait notamment autour de la diabolisation des parties chrétiennes.
Enfin, le lieu de la réconciliation est en soi emblématique d’un acte voué à s’étendre à l’ensemble du territoire libanais, la Montagne étant en quelque sorte le centre de gravité du pays, le point d’équilibre entre ses différentes communautés. L’élément druze a « toujours été un élément stabilisateur au Liban », précisait d’ailleurs dans le numéro de L’Orient-Le Jour en date du 8 août 2001 feu Albert Moukheiber, alors député, dont l’audace lui a valu de lancer un an auparavant en 2000 le débat sur la présence syrienne au Parlement.
Après le passage à tabac des manifestants devant le palais de Justice le 9 août 2001, le bras de fer s’engageait ouvertement entre l’opposition et l’appareil de répression libano-syrien, galvanisant les partis hostiles à la tutelle au lieu de les briser.
Dix-huit ans plus tard, la réconciliation de la Montagne est restée un acquis de la résistance pacifique pour l’indépendance du Liban, sa paix civile, son État de droit, comme une survivance de l’intifada de 2005, acmé de la mouvance plurielle pour la souveraineté du Liban dont cette même réconciliation avait été le noyau. Elle n’a d’ailleurs jamais cessé de gêner le régime syrien, d’autant plus que la Montagne incarne l’entité libanaise sur la base d’un partenariat islamo-chrétien et qu’elle constitue un contre-exemple au modèle d’une « Syrie utile des minorités » à laquelle tendrait le régime de Damas.
Dans le contexte politique actuel, la campagne menée contre Walid Joumblatt pour l’isoler et qui ne s’est plus calmée depuis les incidents de Qabr Chmoun n’est pas sans rappeler, par sa méthode et sa violence, la riposte répressive sécuritaire d’août 2001 au lendemain de la tournée du patriarche Sfeir dans le Chouf.
En 2001, s’en prendre au « maillon faible » du paysage politique opposant chrétien – le CPL privé de Michel Aoun en exil et les FL de Samir Geagea en prison, tous deux ostracisés et pourchassés par le régime – visait à affaiblir la composante chrétienne de la réconciliation, à savoir le patriarcat maronite, support officiel chrétien sur le territoire libanais, à la résistance contre la tutelle syrienne. Bkerké avait initié l’étincelle en septembre 2000 en appelant au retrait des forces syriennes en vertu de l’application des accords de Taëf et de la résolution 520 (c’est-à-dire au retrait intégral des troupes syriennes du territoire libanais), et les assises de Kornet Chehwane avaient pris le relais.
C’est donc dans une volonté manifeste d’adresser une mise en garde au patriarche, mais aussi de dissuader tous ses partenaires potentiels à une réconciliation nationale côté musulman, que les rafles de 2001 avaient maté à grande échelle une partie importante de la rue politique chrétienne.
Une nouvelle réconciliation
Aujourd’hui, c’est le Hezbollah qui s’est substitué à Damas dans son rôle d’arbitre-Léviathan par qui toute relation de partenariat national doit passer, ce qui rend la mise en œuvre de celui-ci impossible.
Mais à la différence du régime syrien, le Hezbollah est un acteur interne omniscient qu’on ne nomme pas, d’autant plus qu’il a l’avantage d’avoir des partenaires issus des différentes communautés à même de le couvrir. Aussi c’est le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil qui s’emploie depuis les législatives de 2018 à saborder la réconciliation de 2001 par la porte chrétienne. S’il rouvre les plaies de la guerre de la Montagne en multipliant les références explicites à des événements traumatisants du passé, c’est pour désavouer la première réconciliation et s’auto-investir en partenaire d’une nouvelle réconciliation à même de lui assurer une légitimité chrétienne personnelle, indépendante du fondateur du Courant patriotique libre et actuel président de la République.
Cette action n’est pas sans raviver la dynamique de l’opposition d’avant 2005. En se solidarisant avec Walid Joumblatt, les Forces libanaises, le parti Kataëb, le Parti national libéral, les formations centristes et les personnalités indépendantes toutes communautés confondues ont redonné de la force au lien druzo-maronite de 2001, auquel le Premier ministre Saad Hariri est de plus en plus enclin à se rallier, face à l’offensive de Gebran Bassil, faisant le jeu du Hezbollah, et subsidiairement de Damas.
L’intérêt particulier du parti chiite d’isoler Walid Joumblatt aurait été provoqué par le retour de ce dernier à son engagement de 2005 pour un État souverain, c’est-à-dire notamment libéré des armes du Hezbollah. Ce n’est plus la répression d’août 2001 qui vient à l’esprit, mais le coup de force du 7 mai 2008, qui avait imposé notamment à Walid Joumblatt, par les armes, des « lignes rouges » concernant l’Iran et le Hezbollah...
Pour mémoire
Jamil Sayyed descendu en flèche par les anciens militants du 7 août
La réconciliation de la Montagne scellée en août 2001 entre les chrétiens, représentés par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, et les druzes, en la personne du chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, avait immédiatement provoqué l’ire du régime sécuritaire libano-syrien. Ses « services », notamment militaires, souvent infiltrés parmi les civils, iront...
commentaires (8)
Est ce que Scarlett Haddad lit Sandra Noujeim? Ou bien ne veut elle pas voir la realite des choses? Ce ne sont pas deux perspectives differentes, mais une version partisane des faits dans le premier cas, et une analyse objective dans le second.
Saade Joe
19 h 14, le 08 août 2019