Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Beyrouth Insight

Papercup, 10 ans d’une « entente harmonieuse »

De beaux livres, du café, de la convivialité, les mots et le silence qu’il faut. À Papercup, 10 ans plus tard, rien n’a changé. Sauf le temps, la vie, qui sont passés par là, en déposant des poussières de souvenirs invisibles sur les étagères.

Rania Naufal en son royaume. Photo Mohammad Abdouni

On s’y rend le cœur léger, comme à chaque fois qu’il faut retrouver un être qui nous manque, son parfum, son vocabulaire, son tempo et ses secrets. Sauf que là, il s’agit d’un lieu. Un espace (intime) tellement particulier qu’il en deviendrait presque un ami. Plus qu’une librairie, plus que des ouvrages pointus d’architecture, de photo, de mode, d’art, de design, des romans, des livres pour enfants et des magazines, choisis un à un, plus que ce café torréfié in house et servi avec une tranche de gâteau à quelques petites tables, Papercup est une douce expérience qui manquait dans notre pays où lire se fait de plus en plus rare, un exercice presque obligatoire à pratiquer chez soi. « C’est un endroit qui manquait et qui, certainement, me manquait à moi », avait confié sa créatrice, Rania Naufal à L’Orient-Le Jour, en juin 2009. Elle ne s’était pas trompée.

Quelques jours plus tard, Papercup dévoilait son espace et son charme aux amoureux de la lecture. Le coup de foudre a eu lieu, immédiatement, comme il se fait pour toute évidence. « C’est comme si j’avais créé un lieu que beaucoup de gens attendaient sans savoir qu’ils l’attendaient. » À l’époque, Mar Mikhaël était encore un quartier oublié, timide, vieillissant, une mélancolie et une promesse. Les portes s’ouvraient sur un concept nouveau, dans un lieu à la fois simple et élégant, 45 m2, où quelques étagères, certaines très hautes, une échelle à gravir pour atteindre l’objet de ses désirs et le plaisir de le trouver, ont fait la joie de tous.

« De plus en plus de gens viennent se prendre en photo et repartent ! » confie Rania Naufal alors que, justement, ce matin-là, deux jeunes femmes prennent la pause quelques minutes, apparemment des touristes avisées, avant de s’en aller. Car la réputation de cette librairie à la fois belle et intelligente a dépassé nos frontières. Le Huffington Post la classait en 2014 parmi les top 10 Art and Design Bookstores Around the World, alors que le magazine de Adobe, GGU, la plaçait aux côtés des Best Design Bookstores, dans une liste qui s’étend de Shanghai à New York. Derrière ce succès, surtout en ces temps de paresse intellectuelle que traverse notre pays, un choix d’ouvrages de qualité, un espace accueillant, les conseils qu’il faut et puis un feeling. Ce genre de choses qui ne s’expliquent pas. Et une équipe autour de Rania Naufal qui en a été le parfait catalyseur.

« Souvent, le matin, je me réveille en réalisant la chance de faire une chose que j’aime. » De nombreux bonheurs, durant ces dix années. « J’ai appris toutes les facettes de ce métier, et c’est un métier fascinant », confie-t-elle. Et quelques regrets, notamment « d’avoir laissé passer quelques occasions. Peut-être aussi celui de ne pas avoir eu suffisamment confiance en moi, dès le début, et de m’être un peu éparpillée ». Et de préciser : « Je suis quelqu’un de très “dans le silence”. Je ne crie pas haut et fort ce que je fais. »

Pas besoin, le succès de cette librairie particulière dans un pays où les gens à la base lisent peu est suffisamment éloquent. Il se résume en quelques mots : « Une entente harmonieuse. » Outre conseiller des livres et des magazines, organiser des lectures pour enfants, des mini-tables rondes informelles, Papercup à travers une newsletter magazine, The Sounder, avec la participation du journaliste Ramsey Short, se plaît à partager ses préférences artistiques, musicales, littéraires et autres. Enfin, chaque été, un invité spécial partage ses goûts avec une sélection d’ouvrages. Ce 21 juin, c’est celle de Elizabeth McNeal, auteure de The Doll Factory, qui sera mise en avant.


Couleur café
Mais que serait un moment de lecture sans un bon café ? Que serait une journée sans un bon café ? Pour Rania Naufal, il a toujours été un acteur important dans sa vie et son concept – le nom de Papercup évoque à la fois le gobelet en carton et cette tradition très américaine de l’emporter avec soi en allant au travail. « Je refuse les capsules », crie-t-elle haut et fort. Et c’est pour retrouver le goût de ce café dégusté il y a quelques années dans un petit boui-boui du fond de l’Oregon, torréfié par son propriétaire, qu’elle fera des stages, approfondira ses connaissances en la matière, et qu’elle rajoutera ce parfum et ce goût doux-amer dans son espace. Plus encore, et pour ses 10 bougies, elle a décidé de créer un coffee shop jouxtant la librairie, sous ce même label de Papercup, qui proposera à partir de la rentrée ses cafés et salades à consommer en intérieur ou en terrasse. L’opération charme se poursuit, dans la plus grande cohérence, discrétion et simplicité.


Un bel espace signé FaR Architects. Photo Cyrille Karam


Témoignages : la grande famille Papercup

Zeina Bassil, illustratrice, manager de Papercup depuis 2009 et jusqu’en septembre 2019

« Travailler à Papercup est surtout une passion et un plaisir. Les meilleurs moments pour moi sont sans doute les matins avant l’ouverture de la librairie, la découverte de nouveaux catalogues, la réception de livres et le fait de rester informée sur le monde de l’art... Ce sont aussi des moments passés avec mes collègues, des discussions intéressantes avec les clients, des petits qu’on voit grandir et s’intéresser aux bouquins, partager ses coups de cœur avec les amoureux du livre. Une bulle comme Papercup est essentielle à Beyrouth. On y respire la paix, la culture, la sérénité... et le café ! »


Cyrille Karam, photographe installée en France

« Je suis née au Liban, mais j’ai passé mon enfance dans les avions à faire le lien entre l’Arabie saoudite, la France et le Liban. Après mes études de photographie à Arles et l’enchaînement de petits boulots dans le monde de l’art, j’ai décidé à l’âge de 25 ans de poser provisoirement mes bagages à Beyrouth. C’est ainsi que j’ai intégré la petite famille de Papercup avec, à l’époque, Rania, Éliane et Zeina. Les premières semaines n’ont pas été des plus faciles, car dès que l’on s’adressait à moi en arabe, j’écarquillais les yeux de stupeur.

C’est à la fois grâce aux filles, à leur bienveillance, à une formation intelligente et progressive, et surtout à la gentillesse et à la joie des clients qui passaient la porte que j’ai commencé à me sentir un peu plus chaque jour comme à la maison (ou presque). C’est dans ce lieu de vie que j’ai appris à avoir plus confiance en moi, à prendre davantage d’assurance, à distinguer les bons des mauvais cafés, à établir un lien avec la clientèle et tout simplement à devenir ce que je suis aujourd’hui. Après Papercup, je suis rentrée en France, bien dans mes baskets et j’ai repris les études pour passer un MBA en management de projets culturels. J’ai travaillé dans des centres d’art contemporain et aujourd’hui je suis coordinatrice de projets d’éducation artistique à l’École supérieure d’aArt de Clermont-Métropole. »


Éliane Abou Chedid, polyathlète et derrière l’initiative de la librairie itinérante Bookyard

« Je n’ai jamais démissionné de Papercup, je ne suis jamais vraiment partie, j’ai un sentiment d’appartenance malgré la distance. Papercup est la “librairie-rêve”, le “dream job” de chaque amoureux de livres et café. J’ai commencé mon aventure avec Papercup quelques mois après son ouverture et je suis partie cinq ans plus tard à la conquête d’une autre aventure livresque, Bookyard, que j’ai fondée avec un groupe de passionnés de lecture et de livres, à Byblos, principalement. Durant les années Papercup, j’ai non seulement appris le professionnalisme auprès de Rania, mais aussi la persévérance dans un Liban où une “librairie indépendante” est un luxe et non un besoin. Pour nous, l’équipe de Papercup, c’était un besoin. Arriver le matin, préparer la machine à café, réceptionner le gâteau du jour, arranger les étagères pour ne pas avoir un livre ailleurs qu’à sa bonne place, était la belle routine de tous les jours. »


Julia Sabra, musicienne, compositrice, chanteuse et guitariste du groupe Postcards, manager et ingénieure du son à Tunefork Studios

« J’ai fait partie de l’équipe de Papercup pendant presque quatre ans. Quand j’ai démarré, j’étais à mi-temps et je ne connaissais pas grand-chose à l’art, le design, l’architecture. Papercup m’a ouvert les yeux sur tout ce monde et plus encore. Le plus bel aspect de ce travail reste pour moi l’équipe, le lien entre nous et la femme forte et passionnée à sa tête. Le plus beau moment reste tôt le matin, quand on peut avoir la librairie à soi. Et puis les arrivages… À mes yeux, ce qui rend cet endroit si important, c’est sa simplicité et sa subtilité, que ce soit dans la déco, le choix des livres ou le café. Il s’agit de beauté dans les détails, l’amour et le soin porté à chaque aspect de la librairie. C’est un plaisir de faire partie de cette aventure. »


Céline Haddad, architecte

« Une ville sans librairie est une ville morte. Personnellement, je trouve que Beyrouth ne serait pas la même sans Papercup. Je dirais même que Papercup appartient à la meilleure des Beyrouth possibles. Simplement parce que c’est l’une des seules librairies spécialisées qui propose une variété si riche de livres d’art et de magazines dans la région. J’ai commencé à y travailler il y a trois mois, pourtant je suis cliente depuis 2010. Le meilleur souvenir que j’en garde serait ce sentiment de calme qui me traverse à chaque fois que je passais le seuil de la librairie. Que ce soit pour acheter un livre, faire du lèche-vitrine ou juste pour siroter un café, ce sentiment réconfortant me prenait et me prend toujours jusqu’à aujourd’hui. »



Dans la même rubrique

Rhéa Boueiz, bambou de nuit

Tala Hajjar : « Connecting people »


On s’y rend le cœur léger, comme à chaque fois qu’il faut retrouver un être qui nous manque, son parfum, son vocabulaire, son tempo et ses secrets. Sauf que là, il s’agit d’un lieu. Un espace (intime) tellement particulier qu’il en deviendrait presque un ami. Plus qu’une librairie, plus que des ouvrages pointus d’architecture, de photo, de mode, d’art, de design, des romans,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut