De retour au Liban un an après sa dernière visite, une délégation diplomatique russe chargée de la mise en œuvre de l’initiative de rapatriement massif des réfugiés syriens et présidée par Alexandre Lavrentiev, émissaire russe pour la Syrie, revient à la charge pour relancer un projet dormant. Bien que les conditions de réussite de ce projet ambitieux ne soient toujours pas réunies, Moscou ne lâche pas prise et revient une fois de plus vers le Liban avec l’intention ferme de redynamiser le processus, en attendant un contexte international propice qui devrait faciliter ce retour.
On le sait déjà : aucun rapatriement ne sera possible tant qu’une entente politique autour de la crise syrienne et que le financement pour la reconstruction de la Syrie, ou au moins d’abris temporaires susceptibles d’assurer un retour des déplacés dans la dignité et dans la sécurité, restent pour l’heure des objectifs lointains.
La Russie avait annoncé en juillet 2018, à l’issue du sommet de Helsinki qui avait réuni Vladimir Poutine et son homologue américain Donald Trump, une initiative pour un retour massif des réfugiés syriens du Liban et de la Jordanie. En mars dernier, et après avoir à maintes reprises exprimé son impatience de voir le rapatriement des réfugiés accéléré, refusant de conditionner ce retour à une solution politique qui tarde à émerger, le chef de l’État Michel Aoun a fini par reconnaître lors d’une visite officielle à Moscou la nécessité d’entamer, en amont, la reconstruction préalable de la Syrie. M. Aoun, qui était accompagné du chef du CPL, Gebran Bassil, avait considéré à l’époque, dans un communiqué conjoint publié par Baabda et le Kremlin après sa rencontre avec son homologue Vladimir Poutine, que « le règlement de ce problème dépend directement de la création de conditions propices, notamment sociales et économiques, en Syrie, à travers la reconstruction du pays ». Les deux parties avaient invité la communauté internationale et les organisations humanitaires à assurer toute l’aide nécessaire à ce processus. L’invitation est toujours de vigueur, mais les réponses se font attendre.
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C’est dans ce contexte de blocage que survient donc cette seconde visite de la délégation russe qui est venue transmettre au Liban une invitation à participer au prochain sommet d’Astana prévu en juillet prochain. La présence du Liban est d’autant plus incontournable qu’une grande part de ce sommet sera consacrée aux réfugiés.
La délégation a commencé ses entretiens par une réunion avec le président du Parlement libanais, Nabih Berry, à Aïn el-Tiné. « Nous avons évoqué le dossier des réfugiés syriens et ce que peut proposer la Russie à ce niveau », a déclaré un membre de la délégation russe à l’issue de la réunion. Aujourd’hui, les membres de la délégation, qui regroupe également le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Verchinine et des représentants militaires, doivent être reçus par le président Michel Aoun, le Premier ministre, Saad Hariri, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil.
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Des négociations avec la Chine ?
Plus tôt dans la journée, l’ambassadeur russe au Liban, Alexander Zasypkin, avait déclaré que la délégation allait aborder « l’ensemble des dossiers liés aux réfugiés syriens sur les plans humanitaire, sécuritaire et logistique », soulignant que « les conditions sécuritaires en Syrie sont plus favorables qu’avant ».
On ne saura pas toutefois si, en parlant de conditions sécuritaires, le diplomate évoquait un contexte plus favorable pour le retour des réfugiés qui craignent à ce jour des représailles de la part du régime en place, voire des actions de vendetta similaires à celles rapportées par les médias jusqu’ici. Un contexte qui affecte, outre le problème de l’absence d’infrastructures, la décision d’un retour volontaire ou organisé plus important.
Selon une source proche de ce dossier, seule la partie russe est habilitée à garantir les conditions de sécurité requises, non seulement par les réfugiés, mais également par la communauté internationale, principalement l’Europe, qui reste l’un des principaux bailleurs de fonds du futur chantier de reconstruction aux côtés des pays du Golfe.
« Or, dit Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques et réfugiés, tant que les questions sécuritaires et légales (l’amnistie générale et le service militaire obligatoire) n’ont pas été tranchées, aucun financement n’est à prévoir. » L’expert croit savoir d’ailleurs que face aux multiples obstacles qui continuent d’entraver l’initiative russe, Moscou envisage actuellement des négociations avec la Chine, qui, dit-il, est non seulement intéressée à prendre part au mégachantier de reconstruction pour des raisons économiques, mais également pour des raisons géopolitiques, afin de s’assurer une place sur l’échiquier syrien.
Une source qui suit de près ce dossier reconnaît également que l’initiative russe bute encore contre une série d’obstacles que Moscou espère réduire lors de la prochaine rencontre entre Poutine et Trump en marge du sommet du G20 qui se tiendra fin juin au Japon. Un pari sur lequel il ne faudrait pas compter, selon M. el-Sayegh.
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Une chose est certaine : le Liban est appelé à faire acte de présence au sommet d’Astana avec une position unifiée autour du dossier des réfugiés. Selon une source informée citée par l’agence al-Markaziya, l’un des conseils principaux qu’entendent donner les membres de la délégation russe à leurs interlocuteurs libanais est de « cesser d’instrumentaliser le dossier en politique interne pour mieux accorder leurs violons et venir parler d’une même voix à la tribune d’Astana ». Selon la source, les Russes ne prennent pas au sérieux les gesticulations de telle ou telle partie politique destinées à accélérer le retour des déplacés avant une solution politique préalable, notamment les propositions consistant soit à les acheminer dans des zones frontalières de manière provisoire, ou la politique de pression exercée sur eux dans l’espoir de les pousser à opter pour les départs volontaires.
« La seule issue susceptible de résoudre cette crise est le processus politique que seule la communauté internationale est habilitée à débloquer, le Liban n’ayant aucun impact à ce niveau, à part sa participation aux négociations d’Astana que parraine Moscou », indique la source.
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LA LIBRE EXPRESSION
13 h 57, le 19 juin 2019