La carte effectuée par le Centre de conservation de la nature de l’AUB montrant le nombre d’écoles et de centres hospitaliers exposés aux doses supérieures aux normes de H2S dans la région de Bourj Hammoud-Jdeidé. Photo tirée de la page Facebook du centre
Les habitants des environs des décharges de Costa Brava (Choueifate, sud de Beyrouth) et de Bourj Hammoud-Jdeidé (nord de Beyrouth) suffoquent littéralement. À Bourj Hammoud, des habitants témoignent du fait qu’ils ne peuvent même plus ouvrir leur fenêtre. Dans des régions un peu plus éloignées, comme Furn el-Chebback, d’autres racontent que les relents de ce qui semble être des déchets en putréfaction sont incessants, les rendant presque fous !
Le ministère de l’Environnement et le Conseil du développement et de la reconstruction ont annoncé hier avoir fait appel à une entreprise étrangère pour étudier le terrain et proposer des solutions. Cette initiative pose cependant un nombre de questions : pourquoi mettre des efforts à traiter des odeurs avant même de s’attaquer au problème initial, celui d’une solution durable au traitement des déchets ménagers ? Surtout avec la volonté du gouvernement, déjà exprimée par le ministre de l’Environnement Fady Jreissati à une précédente occasion, d’agrandir la décharge de Bourj Hammoud-Jdeidé, sachant que celle de Costa Brava est déjà en cours d’agrandissement ? Combien coûtera cette opération et qu’en est-il de la pollution dont ces relents sont un indicateur ?
Le ministère de l’Environnement a donc annoncé hier, dans un communiqué, avoir eu recours à une entreprise spécialisée pour déterminer les sources des odeurs, et trouver une solution à celles-ci. Dans son rapport publié par le ministère hier, l’ingénieur Aimé Menassa, spécialiste du traitement des odeurs des collectivités, industries et secteurs agricoles, représentant des produits NoraSystem du laboratoire Phodé, précise que cinq visites ont débouché sur deux comptes rendus. Les lieux visités sont : le centre de tri de Amroussiyé, la décharge de Costa Brava incluant le cours d’eau de Ghadir qui la traverse, le site de compostage de Coral (la Quarantaine), les décharges de Bourj Hammoud-Jdeidé incluant les fleuves de Nahr Beyrouth et du Metn qui les traversent et un élevage de bovins près de l’aéroport. Les conclusions de l’expert retiennent les sources suivantes d’odeurs : les ordures ménagères fraîches et en cours de putréfaction ou en cours de compostage, les mauvais composts mal stabilisés, les eaux usées dans les fleuves, les fermes d’élevage, les déjections animales (fumiers de bovins) et les abattoirs.
Les deux zones critiques, toujours selon le rapport, sont celles de Bourj Hammoud-Jdeidé jusqu’aux régions de Chiyah-Hadeth et la partie basse et septentrionale d’Achrafieh (envahie par les relents notamment le soir), et celle des environs de l’aéroport où sévissent les odeurs d’eaux usées et de déjections animales.(Lire aussi : En odeur d’insanité, l'éditorial d'Issa GORAIEB)
Le coût estimé après les essais
Interrogé par L’Orient-Le Jour sur le traitement envisagé, M. Menassa, actuellement en France, précise qu’il s’agit « de produits qui éliminent l’odeur grâce à la minéralisation des molécules odorantes, en d’autres termes le produit agit sur la source de l’odeur en lui faisant prendre une forme minérale inodore ». « C’est exactement ce qui se passe dans la nature, où la destruction de l’odeur se fait progressivement par l’intervention d’une combinaison chimique naturelle, poursuit-il. Mais au lieu de prendre du temps comme dans la nature, ce procédé est accéléré par le produit et ne nécessite que quelques secondes. »
L’expert insiste sur le fait que les produits en question sont fabriqués à partir de matières naturelles, sans ajout de matières chimiques, et qu’il existe plusieurs substances pour les différentes sources de nuisance olfactive.
Interrogé sur le coût d’une telle opération de désodorisation de grands sites, M. Menassa affirme qu’il est trop tôt pour le déterminer, mais que « ces produits ne sont pas onéreux ». « Nous devons mener les tests dans les 15 jours à trois semaines à venir pour déterminer les doses à utiliser, précise-t-il. Ensuite, nous pourrons lancer un plan d’action. Il faut savoir que cette action n’est pas du tout unique au Liban, de tels traitements sont employés dans 52 pays. »
Peut-on avoir l’ambition de se débarrasser définitivement des odeurs néfastes sans que les sources de ces odeurs ne soient traitées en profondeur ? « Il est évident qu’il vaut mieux mettre en place des solutions aux problèmes existants, reconnaît-il. Au lieu de laisser les eaux d’égout se déverser en mer, mieux vaut construire une station d’épuration, ou instaurer le tri à la source pour éviter que les déchets n’arrivent tels quels dans les centres de tri… À ce moment-là, il sera possible de traiter les odeurs dans ces structures-là. Mais dans l’état actuel des choses, on ne peut que mettre un terme aux nuisances olfactives. »
(Lire aussi : À Berbara, la plage a meilleure mine après l’opération #SaveOurFace)
Le H2S, un gaz dangereux émanant des décharges
Pour beaucoup, cependant, traiter les odeurs ne revient pas à éliminer la pollution. Interrogée par L’OLJ sur cette initiative du ministère de l’Environnement, Najat Aoun Saliba, directrice du Centre de conservation de la nature à l’Université américaine de Beyrouth et spécialisée dans la pollution de l’air, se demande « comment on peut envisager de traiter les odeurs sans traiter les sources de ces relents ». « Que veulent-ils faire, isoler l’odeur dans l’air et la démanteler ? Pulvériser des produits à travers des cheminées géantes au-dessus des décharges ? Quand il y a une source d’odeur, on s’emploie à la traiter, pas juste à masquer ce qui s’en dégage, lance-t-elle. Mais je dois attendre de m’informer sur ce qu’ils comptent faire pour m’exprimer vraiment. »
Ce qui étonne surtout la chercheuse est le fait que « le ministère de l’Environnement, qui a un budget si réduit, préfère débourser de l’argent pour traiter les odeurs plutôt que de traiter le problème en tant que tel », se demandant « ce que va coûter cette opération ».
Pour ce qui est du danger potentiel des émanations sources d’odeur, Najat Aoun Saliba affirme, sur base d’une étude effectuée par le Centre de conservation de la nature, qu’elles sont loin d’être anodines. « Le gaz le plus dangereux qui se dégage des déchets, tel que nous l’avons mesuré avec les moyens du bord, est le sulfure d’hydrogène ou hydrogène sulfuré (H2S), qui a des conséquences graves sur la santé, notamment celle des enfants », dit-elle.
L’étude effectuée par le centre a montré que, près de Bourj Hammoud, la concentration de H2S dans l’air peut atteindre les 51 microgrammes par mètre cube (données publiées sur sa page Facebook). Cette étude cite une autre étude récente effectuée en Chine sur une concentration près de 10 fois inférieure (4,9 microgrammes par mètre cube), et qui a montré une déficience dans l’immunité et une détérioration des fonctions respiratoires chez les habitants des environs, plus particulièrement les enfants, prouvant que le H2S est fortement lié aux problèmes découlant de la réduction de la fonction pulmonaire. Une carte effectuée par le centre montre que 25 écoles et 10 centres hospitaliers sont dans la zone exposée aux fortes concentrations de H2S dans la zone de la décharge de Bourj Hammoud-Jdeidé.
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10 h 56, le 13 juin 2019