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Liban - Liban-Syrie

Retour : la grande peur des réfugiés syriens

Si certains responsables libanais assurent que la fin des combats dans la plus grande partie des régions syriennes, désormais sous le contrôle du régime, est une condition suffisante pour que les réfugiés rentrent chez eux, les témoignages des proches de ceux qui sont retournés au compte-gouttes concordent sur des exactions, des enrôlement forcés dans l’armée, des arrestations et des zones encore interdites d’accès à leurs habitants.

Des réfugiés syriens se préparent à quitter Ersal, dans la Békaa, en juillet 2018. Hassan Jarrah/AFP

Ils sont plus d’un million à vivre dans des conditions précaires au Liban et pourtant, malgré les appels pressants de dirigeants libanais et les encouragements récents du régime syrien, peu nombreux sont encore ceux qui prennent le chemin du retour. Les témoignages de réfugiés syriens ayant choisi de rentrer dans le cadre des « retours volontaires » organisés par la Sûreté générale en coordination avec le régime syrien, sur la base de listes nominales, dissuadent en effet leurs proches restés au Liban d’envisager un retour dans les conditions actuelles.

Il y a ceux qui sont cueillis à leur arrivée par les services de renseignements syriens, ceux qui sont emmenés effectuer leur service militaire, même s’ils ont déjà servi dans l’armée, ceux dont les régions d’origine sont encore interdites d’accès… et aussi, tout simplement, ceux qui retrouvent leur maison en ruine, dans un pays à genoux économiquement, où les infrastructures sont détruites et les services essentiels inexistants. Et le fait que les agences humanitaires internationales n’aient pas de libre accès à toutes les zones ne rassure pas les réfugiés.

« Les conditions du retour ne sont pas encore sûres : il y a des arrestations, les gens sont emmenés de force dans l’armée, de multiples exactions des milices contre les civils », résume Nibal Salloum, coordinatrice au Centre de la société civile et de la démocratie (CCSD). « Faire revenir les réfugiés dans ces conditions est extrêmement dangereux. » Elle fait état de dix cas documentés de personnes ayant été tuées au cours des derniers mois après leur retour, notamment dans la région de Qalamoun, et de plusieurs personnes arrêtées après avoir franchi la frontière syrienne. Des cas corroborés par de nombreux témoignages de réfugiés et d’activistes interrogés par L’Orient-Le Jour.

« Plusieurs membres de ma famille sont rentrés il y a deux mois à Qalamoun dans le cadre des “retours volontaires” organisés par la SG », témoigne ainsi Ghada, une activiste syrienne qui vit à Ersal dans la Békaa. Trois jours après leur arrivée, les onze hommes ont été emmenés au siège des services de renseignements et interrogés. L’un d’entre eux a été arrêté. Les hommes âgés de 18 à 40 ans ont été enrôlés dans l’armée et les plus de 40 ans considérés comme réservistes. Il n’y a pas eu de période de grâce de six mois, que le régime s’était engagé à respecter dans le cadre de ces retours, explique-t-elle. « De plus, les réfugiés qui sont rentrés « ont trouvé leurs maisons entièrement détruites, il n’y a pas d’eau, pas de gaz, presque pas d’électricité… Depuis, plus personne n’inscrit son nom sur les listes de retours volontaires ».

Un homme de la région de Qalamoun, également rentré dans le cadre des retours volontaires, et dont des proches soutenaient l’opposition, a été tué quelques jours après son arrivée par des habitants prorégime venus chez lui en pleine nuit, selon le témoignage de cette activiste et de plusieurs autres habitants.

Mona, une autre activiste syrienne installée dans la Békaa, cite pour sa part le cas de ses voisins, « quatre familles qui sont rentrées dans le cadre des retours volontaires dans la région de Homs. Tous les hommes avaient déjà effectué leur service militaire, mais ceux de moins de quarante ans ont été à nouveau enrôlés dans l’armée ». « À chaque fois que je demande à ma mère, qui est rentrée récemment avec ma sœur handicapée, si je peux la rejoindre, elle me raccroche au nez pour me faire comprendre de ne pas y penser », affirme pour sa part Khaled, originaire de la Ghouta, dans les environs de Damas.


(Lire aussi : Quand le retour en Syrie vire au cauchemar)


Le régime « n’a aucun intérêt à les voir rentrer »

Dans un discours le 17 février, le président syrien Bachar el-Assad a pourtant invité les réfugiés à rentrer : « La Syrie a besoin de tous ses fils, et nous appelons les réfugiés à rentrer pour participer au processus de reconstruction », a-t-il affirmé. Et le ministre d’État libanais pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib (prosyrien), qui s’est rendu à Damas avant même le vote de confiance du cabinet, aurait reçu des assurances à ce sujet de la part des autorités syriennes.

« La visite du ministre était très positive », assure son porte-parole Jad Haïdar. Le ministre syrien de l’Administration locale et de l’Environnement, Hussein Makhlouf, qui l’a rencontré, lui a assuré que « le retour des déplacés est un élément essentiel de la victoire » du régime, a-t-il ajouté, affirmant qu’ils (le régime) « veulent que les réfugiés rentrent ».Une source libanaise informée rapporte cependant un autre son de cloche : « Gharib s’est entendu dire à Damas qu’il n’y a pas de nourriture, pas d’électricité, pas d’eau. Sans reconstruction, pas de retour des réfugiés. »

Et une source diplomatique occidentale au fait du dossier confirme que « la visite de Gharib n’a permis aucune avancée ». « Le régime n’a aucun intérêt à voir revenir les populations majoritairement sunnites, de régions soit rurales, soit périurbaines pauvres, dont les habitants n’étaient pas forcément des militants », affirme cette source, expliquant que « les opposants ne sont plus au Liban, ils sont maintenant en Europe ou en Turquie ».

« Avec les Libanais, ils (le régime) jouent très bien de la carte du retour : ils savent que c’est l’obsession des Libanais pour des raisons d’équilibre démographique, mais eux ne sont pas pressés de voir les réfugiés revenir. Ils jouent cette carte pour faire pression sur le Liban pour que la question du retour des réfugiés soit la porte d’entrée à une normalisation des relations. Ils se servent du Liban comme levier de pression pour réintégrer le concert des nations », ajoute la même source.

Quant au plan élaboré par le ministère russe de la Défense pour un retour massif des réfugiés du Liban et de Jordanie, sur lequel le Liban fonde des espoirs et qui est cité dans la déclaration ministérielle du nouveau gouvernement, il est resté lettre morte. « Ce plan est une sorte d’opération de fundraising à l’adresse des Européens pour qu’ils financent la reconstruction, en disant que si on reconstruit, les réfugiés vont rentrer. Mais ce plan russe est resté en l’air, il ne s’est strictement rien passé depuis qu’il a été lancé en juillet dernier », précise la source diplomatique.

Cependant, les Russes, qui « voudraient arriver à une solution politique », ajoute-t-elle, tentent sur le terrain de débloquer certains obstacles, notamment administratifs. Ils ont par exemple « fait pression pour un amendement de la loi numéro 10 en constatant la mobilisation internationale sur le sujet », ajoute la même source.

Le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Filippo Grandi, a d’ailleurs souligné la semaine dernière, au terme d’une visite en Syrie et au Liban, que les autorités russes jouaient un rôle positif en aidant à débloquer certains obstacles administratifs entravant le retour de réfugiés, et en œuvrant par exemple en faveur d’amnisties locales. Mais il a reconnu que la période de grâce de six mois à laquelle s’était engagé le régime pour la conscription « n’a pas été respectée dans certains cas ». M. Grandi a indiqué avoir eu du gouvernement syrien la confirmation que les retours continueraient à se passer sur la base de listes nominatives agréées par le régime de Damas, alors que plusieurs personnes interrogées par L’OLJ assurent avoir inscrit leurs noms, parfois à deux ou trois reprises, sans avoir obtenu de feu vert pour rentrer.


(Lire aussi : Réfugiés syriens : À Bruxelles, les ONG donnent de la voix pour « que les calculs politiques ne prennent pas le dessus »)


Zones interdites

Le haut-commissaire de l’ONU a par ailleurs souligné qu’il était « très important que le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et d’autres organisations puissent avoir accès aux régions où les réfugiés vont rentrer » et puissent s’entretenir avec ces personnes. M. Grandi, qui a pu se rendre dans les gouvernorats de Homs et Hama mais pas dans la région du rif de Damas (les environs de la capitale syrienne), a indiqué avoir adressé « un message très fort » en ce sens au gouvernement syrien, expliquant qu’une telle présence des agences internationales était nécessaire pour rassurer les réfugiés. « Sans une telle présence, un élément de confiance manque » pour encourager les gens à retourner chez eux, a-t-il souligné.

Or, selon de nombreux témoignages, les autorités interdisent l’accès à certaines zones qui ont connu de violents combats, notamment dans la Ghouta, aux environs de Damas, et certains quartiers de Homs. Des réfugiés internes ou des déplacés de ces régions seraient placés dans des centres d’accueil – écoles, centres sportifs – et n’auraient pas le droit de regagner leurs foyers.

« Dans la Ghouta orientale (reprise par le régime l’hiver dernier), dont sont originaires une grande partie des réfugiés de la Békaa, les gens ont pu retourner dans seulement deux ou trois localités, dont Zamalka et Arbine », explique un activiste qui a requis l’anonymat. « Même si les gens veulent récupérer des affaires dans leurs maisons, ils ont besoin d’une autorisation des services de sécurité. » « À Deraa, dans le Sud, et dans le gouvernorat de Homs, il y a encore des zones interdites », ajoute-t-il.

Un cas particulier est celui de Qousseir, ville de l’ouest de la Syrie, proche de la frontière avec le Liban, qui avait été reprise en juin 2013 par le régime syrien et les combattants du Hezbollah à la faveur de violents affrontements avec les rebelles. Plusieurs habitants réfugiés au Liban affirment que leurs maisons sont occupées par le Hezbollah. « Tous les gens de Qousseir qui s’inscrivent sur les listes de la Sûreté générale sont refusés », affirme le même activiste.



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commentaires (3)

C'es leur pays , et leur responsabilité est d'y retourner sans condition . Qu'ils nous laissent tranquilles ! Nous n'allons pas les implanter comme nous avons i planté les palestiniens . C'est trop grave .

Chucri Abboud

08 h 51, le 14 mars 2019

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Commentaires (3)

  • C'es leur pays , et leur responsabilité est d'y retourner sans condition . Qu'ils nous laissent tranquilles ! Nous n'allons pas les implanter comme nous avons i planté les palestiniens . C'est trop grave .

    Chucri Abboud

    08 h 51, le 14 mars 2019

  • Le mal absolu a gagné et on s'attend qu'il réforme son comportement de temps de "paix" alors que la révolution avait commencé justement parce que les gens voulaient la liberté?

    M.E

    07 h 38, le 14 mars 2019

  • LE RETOUR... UNE OPERATION ENCORE PEU PROBABLE CAR SUJETTE A DE MULTIPLES CONDITIONS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 32, le 14 mars 2019

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