Séance parlementaire pour voter la confiance au gouvernement de Saad Hariri, mardi 12 février 2019. Photo Marwan Assaf.
Le Parlement libanais a poursuivi mercredi, pour la deuxième journée consécutive, le débat à l'issue duquel devrait être votée la confiance au nouveau gouvernement baptisé "Au Travail !" en raison des nombreuses réformes, notamment économiques, auxquelles il devra s'attaquer. Les débats lors de cette deuxième journée de la séance ont été marqués par une certaine tension, notamment en ce qui concerne le rôle du Hezbollah dans la vie politique libanaise. Un violent échange a dans ce contexte opposé les députés des Kataëb, Samy et Nadim Gemayel, à Nawaf Moussaoui, un député du parti chiite qui a accusé l'ancien président Bachir Gemayel d'avoir été élu "grâce aux chars israéliens".
Le débat pourrait se poursuivre vendredi et samedi, le président de la Chambre ayant demandé aux députés de ne pas prendre de rendez-vous ces deux jours-là.
Voici les principales interventions lors de la deuxième journée de débat :
- Paula Yacoubian, députée représentant la société civile, a annoncé qu'elle ne voterait pas la confiance au gouvernement. Dressant un constat alarmant de la situation du pays et la gestion de l'argent public, la députée a dénoncé les agissements de la classe politique dans son ensemble. "Georges Zreik est le martyr de la classe politique qui prend aux pauvres pour donner aux riches", a-t-elle déclaré lors de son intervention, en référence au père de famille en situation financière difficile qui s'était immolé par le feu devant l'école de ses enfants mercredi dernier.
"La corruption est une occupation. Et pour lutter pour elle, il faut un triptyque de résistance composée d'une justice impartiale, d'un peuple qui réclame des comptes et d'un Parlement qui contrôle", a-t-elle lancé, en référence au triptyque peuple-armée-résistance que promeut le Hezbollah. La députée a notamment accusé le parti chiite d'avoir engagé 5500 personnes aux frais de l'Etat avant les élections législatives de mai dernier. Le député du Hezbollah, Hassan Fadlallah, a répondu que cette accusation était fausse et infondée.
Mme Yacoubian a également dénoncé les incinérateurs de déchets et la gestion des déchets. "La solution à la crise des déchets existe ! Plutôt que de trier les citoyens et accumuler les ordures ménagères, vous devriez rassembler les citoyens et trier les déchets", a-t-elle lancé, appelant la mise en œuvre d'un plan environnemental. "Notre santé et l'environnement ne semble pas être des priorités du gouvernement", a-t-elle estimé, en concluant : "je consacrerai toute mon énergie à demander des comptes".
- Anouar el-Khalil, député druze membre du groupe parlementaire du mouvement Amal, a indiqué qu'il accorderait la confiance au gouvernement. "La corruption s'est métastasée comme un cancer dans le corps squelettique de l’administration", a-t-il affirmé, regrettant que le gouvernement n'ait pas placé la réforme administrative en tête de ses priorités. "Le ministre d’État pour la Lutte contre la corruption n'a rien fait pour la lutte contre la corruption", a déclaré M. Khalil. Le ministère pour la Lutte contre la corruption, dirigé dans le gouvernement précédent par Nicolas Tuéni (CPL), a disparu dans le nouveau cabinet. Le député, qui avait accusé presque ouvertement le chef du CPL Gebran Bassil d’avoir trempé dans des affaires de corruption fin janvier, a critiqué la politique du ministère de l’Énergie, contrôlé quasi-exclusivement par le CPL depuis 10 ans, dans le dossier de l'électricité. Réagissant aux propos du député, M. Berry a rappelé qu’Électricité du Liban n'avait toujours pas de conseil d'administration.
(Lire aussi : Luttes d’influence politiques et diplomatiques au Liban, le décryptage de Scarlett Haddad)
- Samy Gemayel, député et chef des Kataëb, a confirmé que les députés de son bloc parlementaire n'allaient pas voter la confiance au gouvernement. Saluant "les citoyens qui ont voté pour des représentants de l'opposition", le député a déclaré qu'il ne pouvait pas accorder la confiance "à un gouvernement formé après neuf mois, qui a mis deux jours pour rédiger la déclaration ministérielle et qui est composé de parties qui n'ont pas confiance entre elles". "Le gouvernement est-il celui du Hezbollah ?", s'est-il interrogé, suscitant les protestations des députés du parti chiite. "Le Hezbollah a imposé ses alliés druzes et sunnites", a-t-il poursuivi, expliquant que le compromis présidentiel, qui a permis à Michel Aoun d'accéder au pouvoir en 2016, était la source du problème.
Pendant l'allocution de M. Gemayel, une dispute a éclaté entre le député du Hezbollah, Nawaf Moussaoui, et le député Kataëb, Nadim Gemayel. M. Moussaoui a déclaré que le président Michel Aoun "est arrivé à Baabda avec le fusil du Hezbollah ce qui est un honneur pour tout le Liban, pas comme d'autres qui sont arrivés grâce aux chars israéliens", en référence à Bachir Gemayel, élu chef de l'Etat en 1982 lors de l'invasion israélienne du Liban. Cette remarque a provoqué la colère de Nadim Gemayel, le fils de Bachir Gemayel.
En soirée, des partisans des Forces libanaises et des Kataëb ont organisé un important rassemblement place Sassine pour stigmatiser les propos du député chiite. Nadim Gemayel a prononcé à cette occasion une allocation au cours de laquelle il menacé de "prendre les armes" dénonçant une atteinte "au plus important symbole" du Liban et une "tromperie".
- Georges Adwane, député des Forces libanaises, a annoncé qu'il votera la confiance au gouvernement. "Je demande au gouvernement de ne pas lier la mise en place des réformes aux recommandations de la conférence CEDRE ou toute autre. On ne peut pas non plus financer les réformes par l'endettement", a-t-il déclaré. Appelant à une remise à plat du processus des appels d'offre lancés par l'Etat et au renforcement de l'Inspection centrale, le député a également plaidé pour une réforme de la justice. Sur le plan financier, M. Adwane a insisté sur l'importance de réduire le déficit de l’État et le service de la dette en réformant notamment le secteur des télécommunications. Concernant l'augmentation des recettes, le député propose notamment de renforcer la lutte contre l'évasion fiscale. "Nous soutiendrons Hariri pour éviter que le pays soit détruit et nous tendons la main à tout le monde", a-t-il conclu.
- Simon Abi Ramia, député du bloc Liban Fort dont le Courant patriotique libre est la principale composante, a indiqué qu'il accordait sa confiance au gouvernement. "Nous allons commencer par demander des comptes aux ministres du CPL sur leur performance", a-t-il indiqué. "Nous vous demanderons des comptes que vous réussissiez ou que vous échouez", a-t-il ajouté en s'adressant au ministres du cabinet.
- Yassine Jaber, député membre du groupe parlementaire du mouvement Amal, a souligné qu'il était "nécessaire que le gouvernement et les ministres appliquent la loi". "Lorsque le Parlement légifère, le gouvernement et les ministres doivent appliquer ces lois", a-t-il martelé. M. Jaber a en outre espéré qu'une solution soit trouvée à l'électricité "à court, moyen et long terme". Il a aussi appelé à "protéger la livre par la réforme, la transparence et l'application de la loi". "Nous accorderons notre confiance au gouvernement, il a un délai de 100 jours pour faire ces preuves sinon nous serons les premiers dans l'opposition", a affirmé M. Jaber.
- Hagop Terzian, député membre du groupe Liban Fort, a affirmé qu'il est "du devoir du gouvernement de mettre fin aux souffrances des Libanais et non seulement d'en parler". Il a appelé le nouveau cabinet à mettre fin à la corruption "où qu'elle se trouve". "Nous ne pouvons pas construire une économie durable en nous appuyant seulement sur le tourisme et les banques, a-t-il ajouté. Nous devons compter aussi sur l'agriculture et l'industrie". M. Terzian a accordé sa confiance au gouvernement au nom des députés arméniens et du parti Tachnag.
- Adnan Traboulsi, député de la "Rencontre consultative" (sunnites pro-8 Mars), a appelé le gouvernement à être "dès le départ digne, à provoquer un choc positif et interdire la corruption, les corrompus, le gaspillage et les gaspilleurs". "Nous refusons toute augmentation des taxes et des impôts. Les pauvres et les personnes à faible revenu en souffrent déjà. Ils souffrent de la situation économique, de la baisse de leurs revenus et sont aux portes des hôpitaux", a-t-il ajouté appelant le gouvernement "à ne pas régler ses problèmes en prenant de la poche des pauvres". M. Traboulsi a accordé sa confiance au gouvernement "à condition qu'il soit à la hauteur".
En fin de soirée, Nabih Berry a levé la séance au vendredi à 15h. Vingt deux de députés doivent encore prendre la parole.
La première journée de débat, au cours de laquelle une quinzaine de députés avaient pris la parole, a été principalement centrée sur le dossier de la corruption et avait été marquée par l'intervention du député prosyrien de Baalbeck, Jamil Sayyed. Le Premier ministre Saad Hariri, avec lequel il est à couteaux tirés, n'a pas assisté à la majeure partie de son intervention. Une polémique a ensuite opposé M. Sayyed au ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, qui est membre du mouvement Amal du président Nabih Berry. Le député de la Békaa, élu sur la liste du Hezbollah, a fait savoir qu'il n'accorderait pas sa confiance au gouvernement, tout comme le député de Saïda et secrétaire général de l’Organisation populaire nassérienne, Oussama Saad.
Par ailleurs, des dizaines de manifestants s'étaient rassemblés mardi en fin d'après-midi place Riad el-Solh, à proximité du siège du Parlement dans le centre-ville de Beyrouth, sous le slogan "Pas de confiance au nouveau gouvernement".
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commentaires (14)
Que valent les blatèrements de ce genre d'individu?
Christine KHALIL
21 h 42, le 14 février 2019