Des manifestantes à Téhéran contre le port du voile, le 8 mars 1979. Archives AFP
Depuis cinq jours, des manifestations ont lieu en Iran pour protester contre la mort d'une jeune femme, arrêtée pour "port de vêtements inappropriés" par la police des mœurs chargée de faire respecter un code vestimentaire strict pour les femmes. A cette occasion, nous remettons en exergue cet article sur la condition des femmes sous le régime des ayatollahs, publié en 2019 dans un dossier marquant les 40 ans de la révolution islamique en Iran.
« Tout ce que vous avez entendu concernant la condition féminine dans la République islamique n’est qu’une propagande hostile. (Dans le futur gouvernement), les femmes seront complètement libres, dans leur éducation et dans tout ce qu’elles feront, tout comme les hommes », confiait l’ayatollah Khomeyni à un groupe de reporters allemands, le 12 novembre 1978. Alors exilé en France, c’est ainsi que le stratège de la révolution iranienne qui mettra fin à la dynastie des Pahlavi exposait sa vision de la place de la femme au sein de la future République islamique. Une vision, pour l’heure, en adéquation avec l’ancien régime qui avait permis à la population féminine de s’émanciper et d’acquérir des droits, et ce dès 1936, lors de la mise en place par Reza Pahlavi d’un système éducatif mixte, d’un accès pour les femmes aux universités, puis plus tard, en 1963, par le droit d’éligibilité et le droit de vote. « J’eus l’impression que le chah couronnait toutes les femmes d’Iran », confiait la chahbanou Farah, après son couronnement en 1967, qui à cette occasion devint la première femme à acquérir dans un pays musulman le droit de régence dans le cas où le roi venait à disparaître avant la majorité légale du prince héritier. La prise du pouvoir des mollahs prônant le retour aux valeurs patriarcales et religieuses va démanteler un à un les acquis des Iraniennes obtenus tout au long du XXe siècle.
Véritable idole populaire à l’image d’honnêteté et d’intransigeance avec les principes moraux, le guide de la révolution va agir comme un puissant levier sur la masse, lassée par la dictature, la corruption et l’ingérence des pays étrangers. Mais le « chef du peuple qui refuse la tyrannie », comme présenté dans les slogans des grandes manifestations de décembre 1978, révèle rapidement un caractère absolutiste au service de ses ambitions politiques, faisant notamment volte-face vis-à-vis de tous ses discours modérés proférés jusqu’alors. Les notions de respect des droits de l’homme, de liberté d’expression et de démocratie évoquées et même mises en avant des mois durant avant sa prise de pouvoir en février 1979 sont reléguées aux oubliettes au profit d’une islamisation de la société à la vitesse grand V, provoquant la stupéfaction d’une partie de la population.
Pilier de la répression
Après avoir joué un rôle actif lors des manifestations et des grèves qui ont permis la chute de l’ancien régime, les femmes sont les premières victimes de cette application stricte de la loi coranique, instaurée au lendemain de la révolution et englobant tous les secteurs de la vie collective et individuelle. Des millions d’entre elles issues des classes moyenne et populaire, mais également les religieuses traditionalistes, avaient en effet répondu à l’appel du guide leur enjoignant de participer aux manifestations en ignorant le couvre-feu pour montrer leur opposition à la tyrannie. « Les femmes étaient côte à côte avec les hommes contre le régime du chah. Or, dès son arrivée, Khomeyni est apparu contre elles. Les femmes sont devenues le premier pilier de la répression de la République islamique », rappelle Mahnaz Shirali, enseignante à Sciences Po, interrogée par L’Orient-Le Jour. Moins d’un mois après l’arrivée de l’ayatollah en terre perse, le gouvernement provisoire s’attèle à mener une série de mesures visant à écarter les femmes de la société active, notamment dans les domaines de la justice, de l’armée, des médias, provoquant ainsi la stupéfaction et instillant la peur. Après avoir été le premier pays musulman à se doter d’une femme ministre – Farrokh-Rou Parsa –, les hommes de loi font en sorte que les femmes regagnent leur foyer. « Le code du travail a été très désavantageux pour elles. En apparence, il donnait beaucoup de privilèges aux femmes enceintes et allaitantes, mais c’était une ruse et une hypocrisie totale du législateur islamique. Car en accordant autant de facilités aux femmes, aucun employeur ne voulait plus les employer. Ils ont tout fait pour que les femmes deviennent inemployables », résume Mahnaz Shirali. Le détricotage du legs de l’ex-chah commence à mesure que la ségrégation s’institutionnalise. Le 26 février 1979, la « loi sur la protection de la famille », promulguée 12 ans plus tôt, est révoquée. Cette loi permettait de protéger la femme dans la mesure où elle rendait difficile pour les hommes le droit à la polygamie et le droit de décider du divorce par décision unilatérale. L’âge légal du mariage passe de 18 à 9 ans, afin de marquer une rupture avec un Code pénal largement inspiré de concepts occidentaux, en lui substituant la charia. En 1978, un étudiant sur trois était une femme, et plus de 2 millions d’entre elles travaillent. Après l’abolition de la loi sur la protection de la famille, l’interdiction de la mixité scolaire, la ségrégation dans les bus (femmes à l’arrière et hommes à l’avant), mais surtout l’obligation du port du voile vont finir de désarmer les Iraniennes.
Foulard sur la tête
Le 7 mars 1979, à Qom, celui qui confiait à des journalistes du Guardian quatre mois plus tôt que « les femmes sont libres de choisir le mode vestimentaire qu’elles désirent » tient un discours aux antipodes de ses précédents propos, déclarant notamment que les femmes fonctionnaires devaient se présenter à leur travail vêtues selon les normes de l’islam, c’est-à-dire avec les cheveux, la nuque, les bras et les pieds couverts. Cette annonce est un tournant majeur pour la condition de la femme désormais contrainte de se couvrir contre son gré après des années d’ouverture sur l’Occident. En 1935, Reza Chah avait interdit le port du voile et obligé les hommes à se vêtir « à l’occidentale ». « Khomeyni l’a imposé de manière extrêmement dictatoriale, de la même façon qu’on l’a enlevé de manière dictatoriale. Mais je pense que l’imposition du voile était encore plus violente », estime Mahnaz Shirali. L’édit de Khomeyni contre « la nudité » féminine se double de l’annonce de la création d’un nouveau « ministère du Contrôle du comportement conforme aux préceptes », dont les milliers de membres souvent bénévoles infiltrés dans toutes les classes de la société sont chargés de transposer « dans la pratique les principes du Coran », selon la formule du Journal de Téhéran.
« Les élégantes secrétaires iraniennes, habituées à se rendre à leurs bureaux en bottes, jupe serrée et cheveux au vent », sont refoulées aux portes des administrations, note la presse occidentale de l’époque. « Les femmes nues ne sont plus admises, ont dit de sévères moralistes islamiques. Retournez chez vous et habillez-vous correctement. » Les rares présentatrices de télévision sont apparues « à l’islamique » : foulard sur la tête et bras couverts. « Des élégantes ont jugé préférable de se soumettre en se faisant tailler des tchadors haute couture », peut-on lire encore. Pour l’experte de l’Iran, cette vision des observateurs de l’époque de la femme iranienne n’aurait rien de caricatural. « Ce n’était pas marginal du tout. Lorsqu’on a obligé les femmes à ôter le voile dans les années 1930, toutes les franges féminines de la population s’y sont pliées et se sont habillées à l’occidentale », poursuit-elle.
Ce nouveau commandement du chef religieux suscite, dès le soir même, de vifs mouvements contestataires dans les grandes villes du pays. Le lendemain du discours est célébrée la Journée mondiale de la femme, le 8 mars. À Téhéran, les lycéennes et étudiantes, qui avaient été à la pointe du combat contre le régime du chah, protestent au nom du progrès et de la libération de la femme. Devant l’Université de Téhéran, où quelque 4 à 6 mille femmes célébraient cette journée en leur honneur, des hommes scandaient « Tu te vêtiras ou on te battra ». Ce à quoi ont répondu les manifestantes : « Nous préférons être battues mais libres. » Ces « modernistes » ont notamment dû faire face à des groupes de femmes en tchador qui s’opposaient à elles : « Nous sommes musulmanes, nous devons être couvertes. » Des manifestations de divers mouvements de gauche et progressistes ont lieu les jours suivants, les discours appelant à une égalité homme-femme totale. Une figure célèbre du féminisme, l’Américaine Kate Millet, est même en tête du cortège. « La journée de l’émancipation des femmes n’est ni occidentale ni orientale, elle est internationale », rappelaient également les manifestantes, en réponse au nouveau ministère en place fustigeant les « déviations politiques et les imitations de l’étranger ».
Combat féministe
En ces temps troubles, les autorités craignent que ces mouvements ne mettent en péril la révolution. À la Savak, la fameuse police secrète qui avait fait trembler des millions d’Iraniens sous le règne du chah, se substitue alors une police des mœurs. Des échauffourées avec les moralistes vont ainsi éclater et plusieurs femmes seront violées et d’autres poignardées par des nervis envoyés par les comités khomeynistes. « Le corps des femmes est devenu le lieu où le nouveau régime s’affirmait en toute austérité. Elles ont été obligées de se plier au programme vestimentaire qu’on leur a imposé, et c’est ainsi que le régime a affiché son triomphe », explique Mahnaz Shirali. « Ces lois inflexibles que je passerai le reste de ma vie à combattre étaient imprimées noir sur blanc : la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme ; la déposition d’une femme au tribunal comme témoin d’un crime ne vaut que la moitié du témoignage d’un homme ; une femme doit demander à son mari la permission de divorcer. Les rédacteurs du Code pénal avaient manifestement consulté des conseillers juridiques du VIIe siècle. Ces lois nous faisaient revenir quatorze siècles en arrière, aux premiers jours de l’expansion de l’islam, une époque où lapider une femme coupable d’adultère ou couper les mains d’un voleur étaient des sanctions justes », écrit en 2006 Shirine Ebadi, Prix Nobel de la paix, pour son combat en faveur des femmes, des enfants et des prisonniers politiques, dans son livre Iranienne et libre.
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Note de la rédaction : 40 ans de révolution iranienne sous la loupe de « L’Orient-Le Jour »
Il y a quarante ans, l’Iran commençait à radicalement changer de visage. À modifier son ADN politique, social, culturel et économique. À transformer l’État impérial en théocratie – en république islamique. Le 16 janvier 1979, à la demande de son Premier ministre qu’il avait nommé un mois auparavant, Chapour Bakhtiar, le chah Mohammad Reza Pahlavi et la chahbanou Farah Diba quittent le palais de Niavaran, en hélicoptère, pour l’aéroport militaire de Téhéran, où les attendent leurs derniers collaborateurs et officiers restés fidèles. L’avion s’envole pour Le Caire, où le président Anouar Sadate attend les souverains déchus.
Par ce qu’elle a profondément métamorphosé en Iran même, par son impact sur le Moyen-Orient en général et sur le Liban en particulier, cette révolution iranienne qui fête aujourd’hui ses 40 ans reste sans doute l’un des quatre ou cinq événements majeurs de la région au XXe siècle. L’Orient-Le Jour, du 16 janvier au 2 février, partagera avec ses lecteurs les chapitres de ce livre loin d’être clos.
Au programme, des récits: les derniers jours du chah (racontés aujourd’hui en page 7 par Caroline Hayek) ; la révolution iranienne vue par les Arabes; les journées marquées par le retour de France de l’ayatollah Khomeyni et la prise de pouvoir par les religieux. Des portraits – ou des miniportraits: celui de Khomeyni, justement, que L’Orient-Le Jouravait déjà publié en 2017, et ceux d’artistes iraniens dissidents majeurs, toutes disciplines confondues. Des analyses et des décryptages : la genèse de la vilayet el-faqih en Iran et celle du Hezbollah au Liban; la révolution iranienne vue par les chiites libanais; comment cet événement a bouleversé le Moyen-Orient ; l’évolution des relations irano-américaines et celle du système révolutionnaire en quarante ans. Des témoignages d’exilés iraniens, des focus sur la réaction de la rue libanaise à l’époque, sur l’Iran et la cause palestinienne, et sur la fascination des intellectuels occidentaux face à cette révolution.
Bonne(s) lecture(s).
Depuis cinq jours, des manifestations ont lieu en Iran pour protester contre la mort d'une jeune femme, arrêtée pour "port de vêtements inappropriés" par la police des mœurs chargée de faire respecter un code vestimentaire strict pour les femmes. A cette occasion, nous remettons en exergue cet article sur la condition des femmes sous le régime des ayatollahs, publié en 2019 dans un...
commentaires (9)
Bas les voiles ! Instrument de l'oppression des femmes dans les societes orientales ..... Bas les cures et les ayatollahs. Bas les masques de la fausse vertu. Conchions le confessionnalisme et l'obscurantisme.
Michel Trad
23 h 31, le 21 septembre 2022