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Les 40 ans de la révolution iranienne - Les 40 ans de la révolution iranienne

La chute du chah, un choc pour les Arabes pro-occidentaux

Les dirigeants de la région ont été complètement dépassés par les événements.


Le président américain Jimmy Carter, le roi Hussein de Jordanie, le chah d’Iran et la chahbanou à Téhéran, le 31 décembre 1977. Photo sous licence Wikicommons

Ils ne l’avaient pas vu venir. Si l’ouragan qui s’apprête à s’abattre sur le régime du chah d’Iran se profile depuis près d’un an, ce n’est qu’à partir de décembre 1978 que les leaders arabes commencent vraiment à prendre conscience de la gravité de la situation. Pendant que le monarque iranien s’agrippe à son trône face à la colère de la rue, tous les regards sont tournés vers l’ouest de la région, scrutant avec attention les derniers développements géopolitiques du conflit israélo-palestinien. Quatre mois plus tôt, le président égyptien, Anouar el-Sadate, a secoué le Moyen-Orient en signant les accords de Camp David à Washington avec le Premier ministre israélien, Menahem Begin, qui doivent marquer un prélude à un accord de paix entre les deux pays. La même année, la guerre froide s’est exportée en Afghanistan où la « révolution de Saur » amène le Parti démocratique populaire d’Afghanistan, inspiré du marxisme-léninisme, au pouvoir et fait planer la menace de l’expansion soviétique sur les pays voisins. En toile de fond, la guerre qui fait rage depuis 1975 au Liban a cimenté le complexe tissu moyen-oriental en mettant en exergue les velléités politiques et religieuses des acteurs locaux et régionaux.

« La révolution iranienne a été un choc pour les pays voisins de l’Iran », explique à L’Orient-Le Jour Haleh Esfandiari, universitaire irano-américaine et ancienne directrice du programme pour le Moyen-Orient au Woodrow Wilson International Center for Scholars. Appuyé par les États-Unis et entretenant des relations étroites avec Le Caire, « le chah était perçu comme ayant une force militaire et de sécurité efficace et comme étant une puissance stabilisatrice dans la région », précise-t-elle.


(Dans le même dossier - Khomeyni : l’opposant, le guide et le despote)


Les dirigeants arabes ont, dans un premier temps, sous-estimé l’impact des appels virulents de l’ayatollah Ruhollah Khomeyni à renverser la dictature d’un chah trop occidentalisé. C’est la volonté de l’imam d’instaurer une République islamique où le clergé chiite disposerait de larges pouvoirs et d’exporter le modèle de la révolution islamique au-delà des frontières iraniennes qui va soulever les inquiétudes des monarques sunnites de la région, qui craignent un déferlement des foules dans leurs propres rues. L’exemple iranien qui démontre la capacité de l’islam politique chiite à agiter les masses est dans tous les esprits et les pousse à sortir de leur long et étonnant silence alors que le chah entretient globalement de bonnes relations avec ses voisins. « Le chah est mon ami et mon frère », déclare le roi Hussein de Jordanie lors d’une conférence de presse, le 14 décembre, à Paris. « Si je sens qu’il y a la moindre possibilité que je puisse venir en aide au peuple iranien tout entier, alors je reconsidérerai la situation », insiste-t-il. Quelques jours plus tard, c’est au tour du ministre omanais des Affaires étrangères, Qaïs al-Zawaoui, de monter au créneau pour venir appuyer le « roi des rois », estimant que « son absence au pouvoir pourrait entraîner de graves dangers aussi bien pour l’Iran que pour l’ensemble de la région du Golfe ». Le prince héritier koweïtien, cheikh Saad al-Abdallah al-Sabah, entame pour sa part une tournée de cinq jours qui l’emmène en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis puis au Qatar. Les rencontres bilatérales s’enchaînent à un rythme effréné dans le but de « renforcer la solidarité des États de la région et de mettre un terme à toutes leurs querelles afin d’aborder dans les meilleures conditions un avenir qui leur paraît pour le moins incertain », rapporte l’AFP le 19 décembre. « Pour les États arabes pétroliers du Golfe, les graves menaces qui pèsent sur le trône iranien constituent un avertissement, car tous ces pays ont en commun d’avoir été projetés brusquement par la manne pétrolière dans un univers moderne auquel ils étaient plus ou moins préparés », poursuit l’agence.


(Dans le même dossier - « Si le chah et moi devons mourir, ce sera en Iran »)


Voie libre à l’URSS

Les leaders arabes le savent désormais : si le chah tombe, c’est toute la dynamique régionale qui s’apprête à être remise en cause. Pour de nombreux observateurs dans la presse arabe de l’époque, la chute du chah ouvrirait surtout la voie à l’Union soviétique pour étendre son influence dans la région, une influence face à laquelle l’Iran constituait l’un des principaux remparts.

Signe de leurs appréhensions, les voisins arabes de Téhéran multiplient les déclarations de soutien au chah tout au long du mois de janvier 1979 tandis que l’Arabie saoudite demande aux États-Unis de s’investir davantage dans la région. Selon le Wall Street Journal, Washington prend la décision d’envoyer à Riyad une escadrille de 12 appareils ainsi que des pilotes et du personnel pour l’entretien. Le destin du chah et, a fortiori, de l’Iran s’accélère toutefois soudainement le 16 janvier. La colère gronde de plus en plus dans les rues iraniennes et le mouvement de soutien à l’ayatollah Khomeyni s’amplifie. Alors que Washington l’encourage à quitter le pouvoir, le chah décide de fuir son pays pour se rendre en Égypte où il est chaleureusement accueilli par son ami, le président Sadate. Si les dirigeants craignent que le pouvoir iranien ne tombe aux mains de l’ayatollah Khomeyni, la menace semble toutefois minimisée dans un premier temps. Au lendemain de la fuite du chah, l’ancien président libanais Camille Chamoun prédit que même si le gouvernement du Premier ministre iranien, Chapour Bakhtiar, tombe et que le gouvernement religieux de Khomeyni est mis en place, « le sort de l’Iran sera semblable à celui de l’Afghanistan ». Le pouvoir du clergé chiite « sera balayé par une équipe communiste » car le parti a « miné tous les pôles d’influence susceptibles d’accéder aux postes de commande », anticipe-t-il. Pendant ce temps, la rumeur court selon laquelle un plan a été élaboré entre le président américain, le président égyptien et le chah pour empêcher le retour de Khomeyni. « Le retard de l’ayatollah à revenir en Iran affaiblit ses chances de s’emparer du pouvoir et permet au gouvernement de M. Bakhtiar de diviser l’opposition », note le journal koweïtien al-Anba’.


Israël vise juste

Des prédictions qui ne trouveront pas écho dans la réalité. Le 1er février 1979, l’ayatollah Khomeyni fait un retour triomphal à Téhéran après quinze ans d’exil. Fort du soutien des Iraniens, il déclare le régime du chah « illégal » avant que ses forces ne renversent le gouvernement de Chapour Bakhtiar dix jours plus tard. Du côté des voisins de l’Iran, la prudence est de mise face à une situation que bien peu avaient anticipée. « Alors qu’à la fin du mois de décembre, les pays arabes du Golfe soutenaient ouvertement le chah d’Iran, dont le départ, à leurs yeux, était synonyme de “danger” pour toute la région, les mêmes États font aujourd’hui preuve d’une étonnante retenue et ne veulent plus voir dans les événements d’Iran qu’une “affaire purement intérieure” qui ne saurait avoir des conséquences chez eux », rapporte l’AFP trois jours après le retour de l’ayatollah Khomeyni en Iran.

« Pour les gouvernements des États du golfe Persique (Arabique), la révolution et le nouveau régime en Iran étaient perçus comme une menace », souligne Mme Esfandiari. « En Irak, l’appel de la révolution à la population irakienne majoritairement chiite a fait craindre qu’elle ne s’y propage. Pour les monarchies du Golfe, le renversement d’une monarchie était clairement malvenu », observe-t-elle. L’État hébreu semble être le premier à viser juste sur les conséquences qu’impliquerait la chute du chah : pour les experts israéliens, cités par l’AFP en février 1979, « l’Iran deviendra expansionniste “si l’ayatollah Khomeyni parvient à proclamer la République islamique” ». La prophétie se réalise au cours des décennies suivantes, alors qu’Israël et les pays du Golfe cherchent aujourd’hui à tout prix à endiguer l’influence iranienne dans la région.

À l’époque, seules la Syrie et l’Organisation de libération de Palestine affichent clairement leur soutien à l’ayatollah. « En Syrie, où les dirigeants ont fait preuve d’un mutisme presque total, la presse, après avoir hésité entre le Premier ministre Chapour Bakhtiar et l’ayatollah Khomeyni, a pris fait et cause pour ce dernier », indique l’AFP. Le président du comité exécutif de l’Organisation de libération de Palestine, Yasser Arafat, se presse pour sa part en Iran une dizaine de jours après le retour de Khomeynyi, manifestement heureux de la chute du chah qui avait entretenu des liens étroits avec l’État hébreu jusqu’alors. Affirmant que l’Iran est sa « deuxième maison », il espère pouvoir compter sur le soutien accru de l’imam pour la cause palestinienne suite à la rupture de liens diplomatiques entre Israël et l’Iran.

Les cartes régionales sont officiellement rebattues le 1er avril, avec la proclamation de la République islamique qui divise un peu plus les pays du Moyen-Orient. Le président syrien Hafez el-Assad félicite l’ayatollah et entend consolider les liens entre Damas et Téhéran, tandis qu’Anouar el-Sadate s’en prend directement à Khomeyni pour la première fois deux semaines plus tard. Mettant en garde contre les mouvements intégristes khomeynistes dans son pays, il va jusqu’à déclarer que le régime iranien « veut faire porter des vêtements qui ressemblent à des tentes » aux femmes, en référence au tchador. Le président égyptien est assassiné par des fondamentalistes musulmans près de trois ans plus tard, tandis que la République islamique se consolide.

L’année suivant l’arrivée de Khomeyni au pouvoir, l’Irak de Saddam Hussein lance une offensive contre l’Iran dans le but de renverser le régime des mollahs. La guerre, qui durera huit ans, est le début d’un long bras de fer qui va opposer le monde arabe, à l’exception de la Syrie, aux Iraniens. Quarante ans après la révolution, l’Iran est devenu un acteur incontournable de la région où les dynamiques ne se concentrent plus principalement autour du conflit israélo-palestinien, mais de la concurrence entre les pouvoirs chiites et sunnites cristallisée par la rivalité entre Riyad et Téhéran.


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Note de la rédaction : 40 ans de révolution iranienne sous la loupe de « L’Orient-Le Jour »

Il y a quarante ans, l’Iran commençait à radicalement changer de visage. À modifier son ADN politique, social, culturel et économique. À transformer l’État impérial en théocratie – en république islamique. Le 16 janvier 1979, à la demande de son Premier ministre qu’il avait nommé un mois auparavant, Chapour Bakhtiar, le chah Mohammad Reza Pahlavi et la chahbanou Farah Diba quittent le palais de Niavaran, en hélicoptère, pour l’aéroport militaire de Téhéran, où les attendent leurs derniers collaborateurs et officiers restés fidèles. L’avion s’envole pour Le Caire, où le président Anouar Sadate attend les souverains déchus.

Par ce qu’elle a profondément métamorphosé en Iran même, par son impact sur le Moyen-Orient en général et sur le Liban en particulier, cette révolution iranienne qui fête aujourd’hui ses 40 ans reste sans doute l’un des quatre ou cinq événements majeurs de la région au XXe siècle. L’Orient-Le Jour, du 16 janvier au 2 février, partagera avec ses lecteurs les chapitres de ce livre loin d’être clos.

Au programme, des récits: les derniers jours du chah (racontés aujourd’hui en page 7 par Caroline Hayek) ; la révolution iranienne vue par les Arabes; les journées marquées par le retour de France de l’ayatollah Khomeyni et la prise de pouvoir par les religieux. Des portraits – ou des miniportraits: celui de Khomeyni, justement, que L’Orient-Le Jouravait déjà publié en 2017, et ceux d’artistes iraniens dissidents majeurs, toutes disciplines confondues. Des analyses et des décryptages : la genèse de la vilayet el-faqih en Iran et celle du Hezbollah au Liban; la révolution iranienne vue par les chiites libanais; comment cet événement a bouleversé le Moyen-Orient ; l’évolution des relations irano-américaines et celle du système révolutionnaire en quarante ans. Des témoignages d’exilés iraniens, des focus sur la réaction de la rue libanaise à l’époque, sur l’Iran et la cause palestinienne, et sur la fascination des intellectuels occidentaux face à cette révolution.

Bonne(s) lecture(s).


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commentaires (5)

C'est la faute de la France il ne fallait pas que ce criminel reste en France

Eleni Caridopoulou

01 h 07, le 30 janvier 2019

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Commentaires (5)

  • C'est la faute de la France il ne fallait pas que ce criminel reste en France

    Eleni Caridopoulou

    01 h 07, le 30 janvier 2019

  • UNE BETISE AMERICAINE SUIVIE D,UNE AUTRE PLUS GRANDE, CELLE DE L,INTERVENTION EN IRAQ ET DU DETRONNEMENT DE SADDAM... POUR NE PAS PARLER DES ERREURS DE SYRIE, DE LYBIE, DU YEMEN ETC... CAR LA SERIE DES CONNERIES CONTINUE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 05, le 18 janvier 2019

  • Tres bonne idée

    Bery tus

    07 h 48, le 18 janvier 2019

  • JE VOIS L'ADORABLE PRÉSIDENT JIMMY CARTER SUR LA PHOTO ET JE DISAIS HELAS À CET ÉPOQUE, LE MONDE ENTIER AVAIT UN GRAND REPECT POUR LES DIRIGEANTS DE L'AMÉRIQUE. TRUMPS A TOUT BOUZIÉ. JIMMY CARTER A LA HONTE DE SA VIE. J'IMAGINE BIEN SA SOUFFRANCE QUAND IL ENTEND TRUMP PARLER.

    Gebran Eid

    02 h 59, le 18 janvier 2019

  • À quel moment de leur histoire les arabes ont vu venir quelque chose ? Ils ont tjrs un train de retard.

    FRIK-A-FRAK

    01 h 17, le 18 janvier 2019

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