Les retombées de l’affaire Jamal Khashoggi et ses conséquences sur l’avenir de l’Arabie saoudite constituent, à l’heure qu’il est, une grande inconnue, même pour les chantres du pouvoir.
Et pour cause, l’atmosphère de détermination et de confiance qui a accompagné tour à tour le déclenchement de la guerre contre le Yémen, l’accession de Mohammad ben Salmane (MBS) au poste de prince héritier et la crise avec le Qatar s’étiole chaque jour un peu plus depuis la disparition, le 2 octobre dernier à Istanbul, du journaliste saoudien.
Sur le plan interne, c’est désormais l’incertitude qui règne. Politiquement d’abord, l’attitude totalement erratique adoptée par le royaume à partir du 2 octobre est significative de l’embarras dans lequel est désormais plongé le pouvoir.
Dans un premier temps, c’est une attitude détachée et méprisante que le pouvoir adopte à l’égard de ce qui est considéré alors par la presse locale comme un simple fait divers. Quelques jours après la disparition du journaliste saoudien critique notamment de MBS, les médias adoptent néanmoins une posture va-t-en guerre dirigée contre le Qatar. Sans aucune preuve à l’appui, Riyad accuse donc, du jour au lendemain, Doha d’avoir planifié et exécuté le rapt de Jamal Khashoggi, alors qu’en Turquie, les médias distillent quotidiennement des « informations » selon lesquelles le journaliste a été tué au sein du consulat saoudien. La famille du journaliste monte ensuite au créneau – spontanément ? – en affirmant ne rien savoir du sort de Jamal. Quelques jours plus tard, un tweet attribué au fils du journaliste réclame la tenue d’une « enquête indépendante ». Mais ces propos seront par la suite effacés et démentis par la famille. Dans le même temps, le silence radio du si prolixe ministre des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, est significatif. Lui qui, il y a à peine un mois, n’avait pas hésité à tirer à boulets rouges sur le Canada lorsque celui-ci a exigé la libération d’une prisonnière d’opinion, est aux abonnés absent. « Nous ne sommes pas une République bananière ! » s’était alors exclamé, excédé, le ministre saoudien des AE à l’adresse de son homologue canadienne. Il a donc fallu 18 jours et un déchaînement médiatique quasiment planétaire pour que Riyad se résolve enfin à prendre au sérieux l’impact de « l’affaire Khashoggi ». Samedi matin, l’Arabie saoudite reconnaît enfin que l’homme est mort. Le soir même, le ministre des AE « réapparaît » sur Fox News et prend soin de prononcer des mots-clés censés avoir pour effet de dédouaner la famille régnante et en particulier le prince héritier Mohammad ben Salmane dans l’affaire Khashoggi : « faute monumentale » ou encore « les coupables seront punis ». Mais dans les coulisses, les habitués de la cour saoudienne l’admettent : c’est le flou le plus total qui règne au sommet du pouvoir. La même phrase revient souvent : « Personne ne sait vraiment ce qui va se passer. »
(Lire aussi : Affaire Khashoggi : L’administration américaine dans la tourmente)
Le changement à 180° des médias
Toutefois, depuis que le roi Salmane a pris le dossier à bras-le-corps, les médias locaux ont radicalement changé de ton. Finies les tentatives d’impressionner l’Occident en menaçant d’avoir recours à des représailles. Hier matin, le ministre saoudien de l’Énergie Khaled Falih affirmait que son pays n’a « aucune intention de réinstaurer un embargo pétrolier à l’égard de l’Occident comme en 1973 ». Dimanche déjà, les médias locaux avaient totalement viré de bord, la plupart des journaux rendant hommage à leur « collègue » Jamal Khashoggi. Du jour au lendemain, cette « affaire » – que personne n’osait aborder en public depuis le 2 octobre dernier – devient publique. Le tabou est levé, le roi et son prince héritier présentent leurs condoléances et cette information était en une de tous les journaux hier matin. Sur le plan économique, la Bourse de Riyad plongeait de 7 % après son ouverture dimanche dernier. Hier, elle en était à -11,57 % selon le site officiel de la Bourse saoudienne, Tadawul.com.sa. Les professionnels du monde des affaires sont inquiets. Les contrats et autres appels d’offres du gouvernement sont gelés, et même les hommes d’affaires saoudiens qui ont leurs entrées à la cour ne cachent plus leur désarroi. Bien entendu, les retraits en cascade des grandes entreprises qui envisageaient, avant l’affaire Khashoggi, de prendre part à la Future Investment Initiative de Riyad débutant aujourd’hui ont également plombé l’activité économique du pays. Pour couronner le tout, le site officiel de la FII est tombé entre les mains des hackers dans la journée d’hier. Ils y ont publié sur la page d’accueil un photomontage sur lequel on voit le prince héritier Mohammad ben Salmane, une épée sanguinolente à la main, se préparer à décapiter Jamal Khashoggi.
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commentaires (5)
recep 1er tente de faire appliquer l'adage qui dit HARO SUR LE BAUDET... mais ce baudet - ci a plus de poids que recept ne le pense, et que donc quoi qu'il advienne l'arabie saoudite s'en relevra vaille que vaille mais s'en relevera qd meme !
Gaby SIOUFI
16 h 26, le 23 octobre 2018