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Lifestyle - Photo-roman

Je venais d’avoir 18 ans (1/2)

Premier volet d’un récit qui retrace ma dernière année scolaire puis, lundi prochain, l’été de mes dix-huit ans, à la faveur d’un vieux carton retrouvé.

Photo G.K.

Il y a quelques jours, je recevais une notification Facebook provenant du groupe des anciens de mon école. L’annonce disait : « Cher(e)s ami(e)s, cette année, nous fêtons les dix ans de notre promotion ! Dix ans déjà ! Une réunion est prévue pour décembre. Détails à suivre. Entre-temps, nous sommes ouverts à vos propositions. » Signé : les délégués de la promotion.
Délégués... Voilà un terme puisé dans un dictionnaire révolu, dont la sonorité, sous mon écran, résonnait tout d’un coup comme le grelot métallique de la cloche de mon collège qui continue, jusqu’à ce jour, à hérisser mes angoisses les plus infimes.

Boîte aux trésors
J’ignore les raisons qui m’ont poussé à creuser mon chemin, à l’aide d’une échelle en bois écornée qui vieillit dans la cave, vers le grenier où, frénétiquement, je me suis mis à consulter, un par un, l’ensemble des cartons poussiéreux que mon ingénieuse de mère avait répertoriés en y inscrivant mon prénom et celui de ma sœur au gros marqueur noir. Ainsi, au bout du 8e carton GILLES, je m’engouffrais joyeusement dans GILLES 2008, TERMINALE, boîte aux trésors (ou de Pandore) qui, en s’ouvrant, remontait le temps jusqu’à ma dernière année scolaire. Je venais d’avoir 18 ans. D’un emballage plastique, je ressortais mon chemisier flanqué d’un écusson bleu et orange que mes amis et camarades avaient noirci à la veille des (dernières) grandes vacances. Aux stylos-feutres de toutes les couleurs que le temps avait rendus pastel, je devinais Karen, Tatiana, Nour, José, Nicolas, Aïda. Des prénoms dont certains ont disparu de mon répertoire téléphonique faisant aussitôt défiler sous mes yeux des visages qui, dix ans durant, somnolaient dans les soupentes de ma mémoire. Ils avaient occupé sans répit ma ligne téléphonique, accompagné mes fugues d’après les couvre-feux, partagé mes premières fois, occupé avec moi les bancs de nos légendaires autocars bleus ; copié sur moi, moi sur eux, sillonné, avec moi, les premières ruelles parfois sinueuses de l’adolescence. Ce sont des « frères pour la vie » avant que la vie en décide autrement, des « amis pour toujours » perdus ou sciemment abandonnés en chemin mais qui continuent à chiffonner mon cœur de vieil enfant jamais réellement guéri de l’enfance. Ils m’avaient écrit : « Ce n’est qu’un revoir ! » et on ne s’est plus revus. Ici, la signature de M. F., professeur de mathématiques, qui, à travers ses indéchiffrables examens, m’a prouvé par a + b mon allergie à sa matière où je m’étais égaré. Là, le mot de Mlle S., professeure de littérature. Son exaltation pour ce qui se dissimule entre les lignes de Camus, Céline, Rimbaud, Flaubert et Barthes a longtemps nourri mes cogitations insomniaques, romancé mes maux de cœur, m’a aidé à trouver quelque réponse quand la réalité ne m’en donnait pas et, comme elle l’avait prédit sur ma chemise à rayures, m’a surtout servi à fabriquer un métier.

Le poids des fleurs roses
Affalé dans un coin sombre du grenier, je me suis mis à farfouiller parmi mes classeurs Clairefontaine dont les pages, constellées de taches de café qui m’aidait à parcourir des nuits de révision, se détachaient dans mes mains. Miettes de souvenirs en papier. Un cours sur le brassage génétique, un chapitre sur les présidents français depuis 1945, « La liberté est-elle une contrainte ? » en philo, la dissolution de l’acide ascorbique qui « revient dans les épreuves, chaque année », ou les lois de Kepler, me rappellent que ma mémoire fut une caverne, démesurée, où se répertoriaient des notions que je n’ai plus prononcées depuis, et me ramènent à cette retraite de bac dont seul le souvenir peuple encore mes cauchemars d’adulte. Entre deux bulletins de notes qui ont fini ensevelis sous les cendres de l’oubli, si seulement je le savais à l’époque, je redécouvre une photo prise sur le parvis de l’église au toit en vagues, œuvre de l’architecte Jacques Bosson. À l’ombre des lauriers qui se penchaient sous le poids des fleurs roses, c’est ici, traditionnellement, que les futurs bacheliers se serraient à la veille de leur grand départ pour la dernière photo de classe. Le banc, sur lequel les plus grands d’entre nous avait été placés, tremble encore de nos rires qui se refusaient au néant de la vie, la vraie, qui nous attendait.
Au creux de cette photo qui a perdu son puéril éclat, je revois, certes, des mines cireuses tirées de leurs quelques heures de sommeil, des anxiétés sourdes ployées sous le faîte des choses à retenir, réciter, rédiger, des futurs esquissés en points d’interrogation, des silhouettes engoncées dans des rangs dont on compte les dernières minutes et des « libérez-moi de ce fardeau qui dure depuis 12 ans ». Je revois la liberté qui pointait au seuil du lourd portail, la voiture de nos rêves qui attendait sous la maison, les vacances qui se planifiaient à l’arrière des cahiers, un projet de bizutage qui se tramait à demi-mot. Cet appétit à croquer et s’approprier la vie dont les adultes ne veulent plus, ces ailes qui nous poussaient sous nos uniformes mal repassés. Je revois surtout, de cette « vraie vie » où j’habite aujourd’hui, une indolence, une insouciance, une inconscience que, dans ce carton, pourtant intact, j’ai beau chercher mais que je n’ai plus retrouvées.

Chaque lundi, « L’Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ est une photo. C’est un peu cela, une photo-roman : à partir de l’image d’un photographe, on imagine un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c’est selon...



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Il y a quelques jours, je recevais une notification Facebook provenant du groupe des anciens de mon école. L’annonce disait : « Cher(e)s ami(e)s, cette année, nous fêtons les dix ans de notre promotion ! Dix ans déjà ! Une réunion est prévue pour décembre. Détails à suivre. Entre-temps, nous sommes ouverts à vos propositions. » Signé : les délégués de la...

commentaires (2)

SUPERBE Moi, etudiant a Jamhour entre le brevet et le bac de 1962 a 1965 prenais le meme autobus montre dans la photo Que de souvenir cet article la nous rappel MERCI

LA VERITE

14 h 01, le 07 août 2018

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Commentaires (2)

  • SUPERBE Moi, etudiant a Jamhour entre le brevet et le bac de 1962 a 1965 prenais le meme autobus montre dans la photo Que de souvenir cet article la nous rappel MERCI

    LA VERITE

    14 h 01, le 07 août 2018

  • Un tout petit souvenir vieux de 76 ans. Dans l'année scolaire 1942-43, le professeur de 6ème. au collège des Frères Maristes à Jounieh était le frère Amphiloque alias Félix Schmitt, un Alsacien de Strasbourg. Il donnait tous les ans à ses élèves la dictée "Le retour des cigognes en Alsace" une fois tous les mois de l'année scolaire. En 1941, il alla combattre sur le front de Damour au sein des vichystes, en 1942, il me chargea de distribuer des photos du général de Gaulle...

    Un Libanais

    17 h 12, le 06 août 2018

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