Une équipe de l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) est arrivée hier à Douma pour enquêter sur l’attaque chimique présumée du 7 avril, selon la presse syrienne. Photo AFP/Stringer
Il aura fallu dix jours aux enquêteurs de l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) pour être enfin autorisés à entrer dans Douma. L’un des derniers fiefs rebelles jusqu’au 8 avril, date à laquelle le régime syrien a proclamé sa reconquête de toute la Ghouta orientale, a connu la veille une attaque chimique présumée, qui aurait fait une quarantaine de morts au moins et des centaines de blessés.
En Syrie depuis samedi, ce n’est qu’hier que l’équipe de l’OIAC a pu entrer dans la ville, bien que plusieurs médias, américains notamment, affirmaient hier que l’organisation n’a pas confirmé ou nié cette information. Le gouvernement syrien comme son allié russe ont réfuté les accusations selon lesquelles ils ont bloqué l’accès de la ville aux enquêteurs, assurant que seuls des « problèmes de sécurité » ont empêché le bon déroulement de la mission de l’OIAC. Washington comme Paris se montrent nettement sceptiques quant à ces « problèmes » de sécurité, alors que plusieurs médias locaux, régionaux et internationaux ont pu se rendre sur place sans entraves et affirment craindre que Damas ou ses alliés aient manipulé le site de l’attaque. L’ambassadeur américain auprès de l’OIAC, Ken Ward, l’a clairement indiqué lundi, et le ministère français des Affaires étrangères a affirmé hier qu’il est « très probable » que des preuves aient pu disparaître, alors que la police militaire russe a été déployée dans la ville il y a une semaine, après une « enquête » effectuée par une équipe militaire russe qui n’a relevé aucune trace d’arme chimique. Les États-Unis ont également affirmé hier avoir des informations selon lesquelles du chlore et du gaz sarin ont été mélangés et utilisés dans l’attaque du 7 avril, d’après la porte-parole du département d’État américain, Heather Nauert.
Plusieurs obstacles se dressent sur la route des enquêteurs de l’OIAC. Le facteur temps, crucial, est déjà à souligner puisque trop de temps s’est écoulé entre l’attaque présumée du 7 avril et le début de l’enquête. De premières analyses et évaluations préliminaires ont certes pu être effectuées par l’équipe de l’organisation à distance, qui a pu par exemple entendre les témoignages de certaines personnes sur place.
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Mais tout cela reste minime face aux révélations que peut offrir l’un des éléments les plus importants de l’affaire, soit le lieu même où se serait déroulée l’attaque. Seuls des échantillons tangibles de terre et de végétaux pourront indiquer de manière définitive s’ils ont gardé une « empreinte » physique, concrète, de produits chimiques si ces derniers ont réellement été utilisés.
L’examen direct de victimes supposées de l’attaque, vivantes ou non, ainsi que des analyses sanguines achèveront de prouver la nature de ce qui s’est passé le 7 avril. Rien n’est moins sûr : plusieurs médecins ont affirmé ces derniers jours avoir subi des pressions de la part du gouvernement syrien, qui les auraient menacés de représailles en cas de révélations à la presse et qui les auraient forcés à se débarrasser de tous les échantillons prélevés. « Encore faut-il que les inspecteurs aient accès à de vrais blessés de l’attaque ou à de vrais cadavres », fait remarquer à l’AFP Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des armes chimiques. « Celles qui sont décédées des suites de l’attaque ont déjà été enterrées, bien entendu, donc le prélèvement d’échantillons sanguins est impossible », confirme à L’Orient-Le Jour Sico van der Meer, chercheur à l’Institut néerlandais des relations internationales (Clingendael), et selon lequel les personnes « qui sont encore vivantes ne se trouvent certainement plus sur place ».
Car il y va de la crédibilité de l’OIAC. Censée être impartiale, elle a déjà été critiquée par la Russie. L’organisation, dont font partie près de 200 pays, y compris la Russie, la Syrie et les États-Unis, suit à la lettre une charte signée par tous ses pays membres. Mais le rejet par Moscou la semaine dernière d’un rapport de l’OIAC sur l’empoisonnement à Londres d’un espion russe présumé jette le doute sur la réputation de l’organisation, lauréate du prix Nobel de la paix en 2013. « Il y a un risque, effectivement, mais heureusement la majorité des pays membres font confiance à l’organisation. Seuls les Russes se sont plaints jusque-là. C’est une guerre politique, et de propagande, mais qui n’affecte pas le soutien généralisé dont jouit l’organisation. On a besoin de ce genre d’expertise, qui a déjà fait ses preuves en termes d’impartialité », affirme M. van der Meer.
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10 h 51, le 18 avril 2018