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La fessée est un plaisir qui se partage à deux

Tout le monde s’est fait plaisir, ou a su faire contre mauvaise fortune bon cœur, entre 4h00 et 5h00, heure de Beyrouth, ce samedi 14 avril. 

Au cours de ses soixante minutes durant lesquelles les missiles américains, français et britanniques ont frappé les centres de production et d’emploi de l’arsenal chimique du gang Assad en terres syriennes, les Occidentaux ont rappelé à tous ceux qui avaient été tentés de l’oublier qu’ils sont encore là ; qu’ils ne sont pas (que) ces white trash countries qui aboient toujours et ne mordent jamais ; qu’ils sont crédibles et qu’ils savent trouver un certain équilibre, bon ou mauvais, peu importe, entre le symbole et la fessée, et qu’ils garderont les deux yeux grands ouverts. Donald Trump s’est fantasmé Abraham Lincoln, ou mieux encore, Franklin D. Roosevelt en plein WWII, solennel comme rarement, assénant une leçon de moralité et de philosophie politique au locataire à vie du Kremlin, et obligeant même le spectateur de son one-man-show à se demander à quelle téléréalité au LSD il assistait. Et pendant que Teresa May rêvait de Falklands et de thatchérisme 2.0, Emmanuel Macron squattait Twitter en trilingue, convaincu, Zeus trismégiste, qu’il réussira à ressusciter l’ONU, à ranimer et entretenir la solution politique, et à mettre au pas Moscou et Téhéran. 

Ensuite, passé les frappes, les Russes, rassurés et renforcés dans leur mégalomanie, leurs intérêts en Syrie ayant été soigneusement préservés, étaient tout heureux de barboter dans ce qu’ils préfèrent. C’est-à-dire les menaces de chaos et de lignes rouges (sic), l’outrance, l’hypermise en scène bolchoïsée d’une tsarine offensée, droite comme un I, comme une autruche qui aurait avalé un balai par erreur, scandalisée par l’insulte faite au tsarévitch Vladimir et par la violation de la Charte des Nations unies dénoncée par M. Poutine lui-même – garant absolu, comme tout le monde le sait, de cette charte. Et puis la goutte d’eau qui a fait déborder le samovar : pour les Russes, la Syrie a été frappée alors qu’elle avait une chance d’avoir un avenir pacifique. L’âme slave est somptueuse, sauf quand elle prend toutes les autres pour d’irrécupérables idiots. De son côté, pendant qu’Israël se félicitait en maudissant mezzo voce la faiblesse et la timidité des frappes, Recep Tayyip Erdogan reprenait du poil de la bête et continuait sa translation vers l’Ouest, revigoré par l’appel téléphonique de son homologue français, qui l’assurait qu’il entendait intensifier les concertations entre Paris et Ankara. Enfin, Bachar el-Assad est sorti de son terrier, un peu agacé, certes, mais confiant, presque vivifié par cette jolie petite fessée : il pourra sans problème réapprovisionner son stock chimique, il essayera de le réutiliser plus discrètement la prochaine fois, il restera au palais des Mouhajerine (ce n’est pas Mohammad ben Salmane, désormais tout entier arc-bouté contre l’Iran, qui dira le contraire…), mais surtout, il pourra continuer à massacrer tranquillement sa population sans que le trio d’Avengers occidentaux ne lève un sourcil. Ou un marteau.

Tout le monde est content, tout le monde a gagné, sauf la démocratie. Sauf, naturellement, le peuple syrien. Et, bien sûr, le peuple libanais. Et dans ce Moyen-Orient de cent et une dégénérescences, tous, ou presque, sont ravis de voir que la troisième guerre mondiale n’est pas pour demain, mais tous, ou presque, se demandent à quoi sert de s’être débarrassé de la barbarie et du terrorisme sunnites, incarnés par l’État islamique, si la barbarie et le terrorisme alaouito-baassistes, incarnés par Bachar el-Assad, sont encore là – et pire : confortés ; si l’Iran va pouvoir profiter au maximum de sa nouvelle côte méditerranéenne pour centupler les métastases déjà existantes et donner autant de prétextes à la folie de Benjamin Netanyahu de pleinement s’exprimer… C’est très bien de sauver la face, de retrouver un peu de virilité tant de fois perdue, de punir et de jouer au brave gendarme, c’est très bien de soigner une sinusite chronique ou de refaire un nez en chou-fleur – mais quand le corps se meurt de tellement de cancers ? 

Tant que les bras et les jambes du régime Assad ne seront pas brisés de la même façon que l’ont été ceux de l’EI, les Syriens, tous les Syriens, continueront de mourir ou de s’enfuir, et les Libanais, maronites, orthodoxes, catholiques, sunnites, chiites, druzes, etc., continueront d’essayer de survivre.

Tout le monde s’est fait plaisir, ou a su faire contre mauvaise fortune bon cœur, entre 4h00 et 5h00, heure de Beyrouth, ce samedi 14 avril. Au cours de ses soixante minutes durant lesquelles les missiles américains, français et britanniques ont frappé les centres de production et d’emploi de l’arsenal chimique du gang Assad en terres syriennes, les Occidentaux ont rappelé à tous...

commentaires (7)

Un chef d'oeuvre! Vous méritez Un "standing ovation" tonitruant pour un article si bien conçu et si plein de vérité! Vous avez toute mon admiration! Le plus triste est que l’être humain n'apprend pas de ses erreurs et l'histoire se répète... Ils ont commis la gaffe de ne point sortir les Syriens du Liban en 1982-83 et nous avons vu ou le Liban a été conduit et aujourd'hui la Syrie, a présent ils n'ont pas fait suffisamment mal au régime d'Assad, la situation va se dégrader et devenir encore pire au fil du temps... Ce serpent fera encore parler de lui puisqu'il a fait des émules du type Erdogan, MBS etc... qui se croient tout permis...

Pierre Hadjigeorgiou

09 h 49, le 17 avril 2018

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Commentaires (7)

  • Un chef d'oeuvre! Vous méritez Un "standing ovation" tonitruant pour un article si bien conçu et si plein de vérité! Vous avez toute mon admiration! Le plus triste est que l’être humain n'apprend pas de ses erreurs et l'histoire se répète... Ils ont commis la gaffe de ne point sortir les Syriens du Liban en 1982-83 et nous avons vu ou le Liban a été conduit et aujourd'hui la Syrie, a présent ils n'ont pas fait suffisamment mal au régime d'Assad, la situation va se dégrader et devenir encore pire au fil du temps... Ce serpent fera encore parler de lui puisqu'il a fait des émules du type Erdogan, MBS etc... qui se croient tout permis...

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 49, le 17 avril 2018

  • Quelques jours avant de passer à l' action , M. Trump et ses acolytes franco- anglais avaient mis en garde la Syrie , menaces quotidiennes à l'appui, qu'ils allaient bombarder les centres militaires névralgiques de Damas . Entre temps , le président Assad a profité du délai qu'on a bien voulu lui "accorder " pour évacuer aisément ports et aéroports de leurs contenus " . Le simulacre de fessée ,après la fin de l'opération tripartite- éclaire a plutôt eu l'effet d'une pincée sur la joue d'un enfant dissipé . Grosso modo toute une affaire de tempête dans une tasse d'eau . A la prochaine !

    Hitti arlette

    16 h 16, le 16 avril 2018

  • Qui sait parmi les dictateurs fous du monde arabe Assad est l’enfant de cœur .S’ il sera puni par d’autres fessées, le monde des Croisés qui tirent actuellement des fusées , gardera-il dans ce monde arabe et la prochaine quelques prototypes de chrétiens sur son parcours . ?

    Antoine Sabbagha

    12 h 54, le 16 avril 2018

  • BRAVO CHAPEAU, C'EST UN ARTICLE QUI NOUS PRÉSENTE BIEN.

    Gebran Eid

    11 h 20, le 16 avril 2018

  • BRAVO ZIAD MAKHOUL POUR CE GRAND ARTICLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 42, le 16 avril 2018

  • Excellente analyse de cette tragi-comédie où l'hypocrisie des uns le dispute à l'arrogance et la cruauté des autres. La Russie qui plus de 7 fois a empêché par son veto l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité sur la Syrie et a envoyé ses troupes guerroyer dans ce pays sans l'aval du "machin", s'offusque de l'intervention americano-anglo-française, "sans l'autorisation de l'ONU" (sic). On se moque du monde. Et les gesticulations des pays occidentaux ne changeront malheureusement rien à la situation dramatique sur le terrain.

    Georges Airut

    04 h 34, le 16 avril 2018

  • Analyse très pertinente, Mr Makhoul. En effet, tout le monde est content, béat, et chacun de son côté pense qu’il a marqué un point! Pas de vainqueurs ni de vaincus, on se console d’avoir évité le pire en pensant avoir envoyé un message! Soit que le monde Occidental soit-disant civilisé a atteint les limites de ses théories moralisatrices qu’il a de la peine à appliquer à lui-même, soit qu’il devient le champion d’un cynisme et hypocrisie bon marché, sous le couvert d’ une lâcheté et repli sur soi choquants. Parfaitement d’accord que tout le système démocratique dans le monde en prend un coup, et on assiste à la montée d’une logique despotique, totalitaire, théocratique ou fasciste dans beaucoup de pays et, le comble, en utilisant des méthodes et logiques des systèmes démocratiques pour se faire élire. Non, telles que les choses évoluent, l’avenir pour les peuples du Moyen-Orient, Liban inclus n’est guère brillant, et on continuera de vivre au jour le jour.

    Saliba Nouhad

    04 h 07, le 16 avril 2018

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