Annoncée dès le 8 décembre, la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE) se tiendra aujourd’hui à Paris. Cet événement doit permettre au Liban de financer une partie d’un programme d’investissements de plusieurs milliards de dollars visant à moderniser les infrastructures du pays. Le Premier ministre, Saad Hariri, et son équipe sont arrivés dès mercredi à Paris, tandis que les autres membres de la délégation libanaise les ont rejoints hier.
CEDRE s’inscrit dans un cycle de trois conférences programmées lors de la réunion du groupe international de soutien pour le Liban. La première, Rome II, était consacrée au renforcement de l’armée et des Forces de sécurité intérieure libanaises. Celle de Bruxelles, prévue fin avril, se focalisera sur la prise en charge des réfugiés syriens sur le territoire libanais.
Quels sont les objectifs du Liban à CEDRE ?
L’objectif principal du Liban lors de cette conférence internationale sera donc de lever suffisamment de fonds pour financer la première phase (4 à 5 ans) du plan national d’investissement en infrastructures (Capital Investment Program, CIP). Celui-ci a été approuvé le 21 mars en Conseil des ministres et a été publié sur le site de la présidence du Conseil des ministres. Il s’étale normalement sur trois cycles de quatre ans avec une enveloppe totale de 23 milliards de dollars. Seul le premier cycle du programme, d’une enveloppe de 10,8 milliards de dollars, sera donc présenté à CEDRE face aux potentiels bailleurs de fonds.
Les institutions qui devraient participer à cette enveloppe sont la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque européenne d’investissement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ainsi que la Banque islamique de développement. Il y a également des pays qui accorderont des prêts dans un cadre bilatéral. Il s’agit notamment du Royaume-Uni, des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne et de la France, ainsi que des pays du Golfe. S’il n’y avait pas de doute sur la participation du Qatar et du Koweït à CEDRE, celle de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis était incertaine jusqu’à la visite de Saad Hariri à Riyad du 28 février au 4 mars. Selon plusieurs sources concordantes – dont certaines qui ont émis des réserves sur CEDRE –, la contribution du royaume wahhabite pourrait ainsi être « beaucoup plus importante que prévue », ce qui annoncerait le « grand retour de Riyad » au Liban.
Ces financements prendront la forme de prêts concessionnels, offrant une période de carence de 5 à 10 ans selon les projets, et les taux d’intérêt varieront entre 1 et 3 %. La durée des prêts s’étalera sur 20 à 30 ans. « Ce sont les institutions financières qui vont contribuer au succès de CEDRE en accordant des prêts. Lorsque les lignes de crédit seront fixées, nous pourrons estimer combien il faudra de dons pour subventionner les intérêts de ces prêts », a expliqué à L’Orient-Le Jour le conseiller économique du Premier ministre, Nadim el-Mounla. Il explique que cela ne sera pas nécessaire pour les prêts qui seront octroyés par les fonds arabes, qui sont déjà très concessionnels. En revanche, des dons devront être collectés par le Liban pour le subventionnement des prêts octroyés par la Banque mondiale. « Il s’agira probablement de petites contributions des pays du Golfe, des Européens, des pays scandinaves, de l’Australie et du Canada. L’Union européenne subventionnera, pour sa part, les prêts octroyés par les banques et institutions financières européennes », a précisé M. Mounla.
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Quels sont les projets concernés ?
Les projets inclus dans la première phase du CIP concernent principalement les secteurs des transports (2,3 milliards de dollars d’investissements et 552 millions de dollars d’expropriations) ; de l’électricité (2,1 milliards de dollars d’investissements) ; de l’eau (2,1 milliards de dollars d’investissements et 106 millions de dollars d’expropriations) ; de la gestion des eaux usées (1,3 milliard d’investissements et 35 millions de dollars d’expropriations) ; des télécoms (700 millions de dollars d’investissements) ; du traitement des déchets solides (1,4 milliard de dollars) ; ainsi que de la culture et du tourisme (84 millions de dollars). Le lancement de ces projets devrait se faire dans 18 à 24 mois.
La Banque mondiale a préparé une étude, qui n’a toujours pas été rendue publique, évaluant le degré de maturité et de nécessité de chacun de ces projets, en vue de permettre à la communauté internationale de sélectionner les projets prioritaires. La capacité de ces projets à créer des emplois et à attirer des investissements a également été prise en compte dans cette évaluation. Selon le directeur de la planification et de la programmation au sein du Conseil du développement et de la reconstruction, « la majorité des projets de la phase I ont fait l’objet d’études de faisabilité et d’impact environnemental ». Le lancement de ces projets devrait se faire dans 18 à 24 mois.
Les modalités de financement de ces projets seront déterminées en fonction de leur niveau de rentabilité. Les plus rentables pourront potentiellement faire l’objet de partenariats public-privé, tandis que d’autres à caractère plus social seront financés par les prêts concessionnels.
Quel rôle jouera le secteur privé ?
Plus de 35 % du montant de la première phase du CIP devrait faire l’objet de PPP. Quelques grands groupes internationaux participeront à la conférence d’aujourd’hui. « Il y a beaucoup d’intérêt de la part du secteur privé. Le Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats (HCPP) est en contact avec des institutions financières et des grands groupes français, chinois, britanniques, danois et allemands... », a confié à L’Orient-Le Jour le secrétaire général du HCPP, Ziad Hayek. Plusieurs grands groupes français avaient ainsi été conviés en février par le Trésor public français pour une présentation du CIP. La participation des entreprises libanaises devrait toutefois être minime.
M. Hayek a néanmoins insisté sur le fait que ces entreprises demandent des garanties de réformes visant à améliorer le cadre juridique, l’environnement des affaires et la transparence. L’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), filiale de la Banque mondiale, aura pour mission d’assurer ces investissements en offrant des garanties contre tout type de risques politiques.
Quelles sont les réformes que le Liban devra mener après CEDRE ?
Outre le CIP, le Liban devra également exposer à CEDRE son agenda de réformes et sa vision économique globale (dont une synthèse a également été publiée sur le site du PCM). Une partie de ces réformes sera sectorielle, tandis que d’autres viseront à atteindre un équilibre des comptes publics.
« La principale réforme sectorielle est celle du secteur de l’électricité. Cela ne passe pas forcément par une privatisation de l’établissement public, mais par une suppression de la subvention du prix de l’électricité, qui se traduirait par une hausse des tarifs, ces derniers n’ayant pas été augmentés depuis 1994 », avait détaillé Pierre Duquesne, l’ambassadeur de France et délégué interministériel à la Méditerranée, chargé de l’organisation de CEDRE. « C’est aussi une réforme macroéconomique, car si la dette publique représente aujourd’hui 150 % du PIB, 60 points (sur 150) sont dus au déficit accumulé d’Électricité du Liban », avait-il ajouté. « En termes de réformes budgétaires, le gouvernement devra également supprimer les subventions des prix de l’essence et augmenter une nouvelle fois la TVA », a précisé à L’Orient-Le Jour un autre diplomate occidental sous couvert d’anonymat.
L’une des conditions préalables à CEDRE, fixée par la communauté internationale, était l’adoption du budget de 2018 (voté le 29 mars au Parlement), avec un déficit public inférieur à celui de 2017. Celui-ci s’élèvera à 4,8 milliards de dollars selon les prévisions du budget de 2018, en hausse de 28 % par rapport au déficit enregistré en 2017. Néanmoins, il est inférieur de 3,4 % par rapport aux estimations du budget de 2017.
Les autres réformes concerneront la lutte contre la corruption, à travers « la publication après les élections des décrets d’application de la loi sur l’accès à l’information ; la création d’une commission nationale de lutte contre la corruption ; l’amélioration de la transparence dans l’attribution des marchés publics, la modernisation et la numérisation des administrations publiques, notamment les douanes et le cadastre... », a renseigné la conseillère économique du Premier ministre, Hazar Caracalla.
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Quel sera le mécanisme de suivi mis en place après CEDRE ?
Face à cet ambitieux agenda de réformes, plusieurs observateurs émettent des doutes sur la capacité de la classe politique actuelle à les mettre en œuvre. Beaucoup craignent en effet une répétition du scénario de la conférence de Paris III en 2007. Les autorités libanaises avaient reçu une partie des fonds promis, sans pour autant que les réformes promises en contrepartie ne soient réalisées, et ce essentiellement pour des raisons politiques.
Mais selon Jacques de Lajugie, ministre conseiller pour les Affaires économiques à l’ambassade de France au Liban, CEDRE diffère des précédentes conférences, car elle prévoit un mécanisme de suivi plus précis. « Nous effectuerons un suivi régulier après la conférence : des réunions des hauts fonctionnaires seront fréquemment tenues au Liban et à l’étranger. Un site internet sera dédié à l’état d’avancement des réformes et des projets. C’est sans doute là la principale différence avec les conférences précédentes », avait-il assuré le 22 février lors d’une conférence. De son côté, Nadim el-Mounla souligne qu’à la différence de Paris III, CEDRE ne prévoit aucune aide budgétaire, mais uniquement des financements de projets.
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15 h 06, le 06 avril 2018