À quelques semaines de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), prévue le 6 avril à Paris, plusieurs experts économiques, décideurs politiques et représentants du secteur privé émettent des doutes sur la capacité de la classe politique actuelle à mettre en œuvre les réformes structurelles requises. Ces inquiétudes ont été largement soulevées lors d’une conférence organisée hier à Beyrouth par l’organisation civile Kulluna Irada, qui était consacrée à cette thématique, et dont les principales recommandations ont porté sur le renforcement de la gouvernance et l’instauration d’un véritable débat public autour d’un modèle de développement intégré et durable.
Le gouvernement exposera à Paris la première phase du plan national d’investissement en infrastructures, qui regroupe une série de projets principalement dans les secteurs des transports, de l’électricité, de l’eau et dans la gestion des eaux usées. L’objectif sera de convaincre la communauté internationale d’investir dans ces projets, à travers des prêts concessionnels et des partenariats public-privé, selon le niveau de rentabilité de ces projets. Le coût de cette première phase est estimé à 10,8 milliards de dollars. Ce financement sera conditionné à la mise en œuvre d’une série de réformes sectorielles et macroéconomiques, en vue notamment de réduire le niveau d’endettement du pays, qui représente environ 150 % du PIB.
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Suivi des réformes
Selon Jacques de Lajugie, ministre conseiller pour les affaires économiques à l’ambassade de France au Liban, CEDRE diffère des précédentes conférences car elle prévoit un mécanisme de suivi plus précis. « Un site internet permettra de rendre compte de l’état d’avancement de chaque projet et de chaque réforme, et des versements des fonds », a-t-il indiqué. Mais plusieurs intervenants ont toutefois exprimé leurs craintes quant à une possible répétition du scénario de la conférence de Paris III en 2007. Les autorités libanaises avaient reçu une partie des fonds promis, sans pour autant que les réformes promises en contrepartie ne soient réalisées, et ce essentiellement pour des raisons politiques. « C’est très difficile de faire de nouveau confiance aux dirigeants libanais. Le pays souffre d’un cancer qui est la corruption. La communauté internationale traite le Liban comme un alcoolique qui promet chaque jour d’arrêter de boire le lendemain », s’est insurgé Mohammad Zeidan, un ancien consultant du Fonds monétaire international ayant participé à l’audit des conférences Paris II et Paris III. Le vice-président du Conseil des ministres, Ghassan Hasbani, a d’ailleurs déclaré partager ces inquiétudes, en affirmant que le pays « n’était pas prêt pour des réformes » structurelles, et que celles-ci devraient être formulées de manière « extrêmement précise » avant CEDRE afin de « faciliter leur mise en œuvre ».
Face à « cette crise de confiance », le directeur du département de recherche de la Byblos Bank, Nassib Ghobril, a appelé le gouvernement libanais à faire preuve de plus de transparence dans le processus de préparation de CEDRE. Pour le moment, le Grand Sérail a organisé début mars une conférence destinée à présenter au secteur privé les projets d’infrastructures pouvant faire l’objet de PPP, ainsi qu’une réunion cette semaine avec des représentants de la société civile afin de les impliquer dans les préparatifs de la conférence internationale. Néanmoins, « aucun document officiel sur la préparation de CEDRE (à savoir le plan d’investissement, la vision économique globale et l’agenda des réformes) n’a été rendu public et n’a fait l’objet d’un débat public », a dénoncé M. Ghobril. L’ancien ministre de l’Énergie Alain Tabourian et la directrice des programmes géo-économiques et stratégiques au sein de l’Institut international pour les études stratégiques, basé à Londres, se sont notamment demandé si les projets d’investissement avaient fait l’objet ou non d’études de faisabilité.
Une évaluation du plan d’investissement en infrastructures a été effectuée par la Banque mondiale. « Nous avons évalué chaque projet en fonction de son degré de nécessité stratégique, sa capacité à résoudre des problèmes, sa capacité à attirer des investissements, son état de préparation et sa capacité à être exécuté dès la première phase du plan », a affirmé Wissam Haraké, économiste à la Banque mondiale. « Ces projets sont pour beaucoup évoqués depuis des décennies, (...) mais le plan d’investissement présenté par le gouvernement n’est pas assez détaillé. Tout l’enjeu autour de la réussite de CEDRE réside dans la mise en œuvre de ces projets et des réformes préconisées. Nous avons suggéré une liste détaillée de réformes préconisées au gouvernement », a ajouté M. Haraké. Il a cependant refusé de communiquer les grandes lignes de cette évaluation, invoquant un devoir de réserve liant la Banque mondiale au Grand Sérail.
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