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Liban - Analyse

L’entente de Mar Mikhaël, de l’allié fort à la présidence « forte »

Après l’arrivée de Michel Aoun à Baabda, l’accord CPL-Hezbollah de 2006 en quête de réinvention.

Michel Aoun et Hassan Nasrallah après la signature du document d’entente entre le CPL et le Hezbollah à Mar Mikhaël. Archives

Les faits prouvent que l’entente conclue le 6 février 2006 entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre a largement servi les intérêts stratégiques de l’un et de l’autre. L’évolution de ces intérêts, si elle ne menace pas cet accord, imposerait néanmoins aux deux parties d’en repenser la mise en œuvre. 

Retour au contexte initial de 2006 : la majorité au pouvoir, issue des rangs du 14 Mars et dans la foulée de la révolution du Cèdre, mène un forcing politico-diplomatique pour que « la milice rejoigne l’armée ». Ayant perdu sa couverture syrienne, le Hezbollah est contraint de justifier son arsenal. C’est à cette fin qu’il saisit au vol tout ce qui servirait cet objectif. Il tente par ailleurs de déstabiliser le pouvoir en place, dès que l’opportunité s’y présente, sans toutefois se départir de sa tactique d’ouverture, nécessaire pour le renflouer. 

Au plan politique, le tandem chiite tente de déstabiliser le gouvernement Siniora dans une volonté d’inverser la dynamique souverainiste du printemps de Beyrouth, mais il est seul, les forces proches de Damas étant encore sous l’effet du coup de massue reçu le 14 mars 2005. Cinq ministres chiites se retirent du cabinet en février 2006, jusqu’à ce que leur soit concédé le qualificatif de « résistance nationale ». 

L’entente avec le CPL, quelques jours plus tard, viendra le traduire. C’est le premier acte de légitimation intercommunautaire d’une « résistance » accaparée par un parti chiite. Le CPL devient un vecteur politique de la milice. La pierre d’angle de la normalisation des armes du Hezbollah, sous le couvert de « l’assimilation du Hezbollah au tissu national ». 

Pour Michel Aoun, le motif officiel de son alliance avec le Hezbollah – qu’il aurait transmis d’ailleurs aux diplomates occidentaux à l’époque – est « la libanisation » de ce parti (une manière de court-circuiter d’emblée l’appel du 14 Mars à intégrer le Hezbollah à l’armée). Dans un entretien à L’Orient-Le Jour en date du 13 février 2006, le fondateur du CPL a été jusqu’à dire qu’il essaie, par le biais de cette entente, de « détourner le Hezbollah de son allié syrien ». 

En réalité, il avait compris dès 2005 que ses chances de succéder à Émile Lahoud à la présidence de la République étaient très limitées (au vu de l’orientation occidentale notamment). À défaut de constituer une troisième voie (pour plusieurs raisons, liées en partie à son rapprochement tacite avec Damas), il choisit de faire contrepoids à l’alliance du 14 Mars, précisément à l’alliance sunnite-chrétienne, avec un objectif personnel clair : la présidentielle.


(Lire aussi : Un tigre dans leur moteurl'éditorial de Issa GORAIEB)



Une alliance honorée

Au fil de onze ans d’attente, jusqu’à son élection en novembre 2017, Michel Aoun ne faillit pas à son alliance avec le Hezbollah. Il l’honore soit par défaut (en gardant le silence comme il l’a fait pour la guerre de juillet 2006, ou encore au début de l’engagement du Hezbollah sur le terrain syrien en 2012), soit activement, lorsque sa couverture est jugée nécessaire. C’est surtout le cas au moment du coup de force du Hezbollah le 7 mai 2008. « Les événements ne s’étendront pas aux régions chrétiennes à cause précisément de l’adoption du document d’entente (…). L’accord durera ad vitam aeternam », dixit Michel Aoun le 12 mai 2008. 

Même au lendemain de l’élection de Michel Sleiman à la présidence de la République, en vertu de l’accord de Doha, il continue de défendre cet accord, préférant se fixer sur les législatives de 2009. 

Il faut dire que cet accord portera par excellence le premier bénéfice concret de l’entente de Mar Mikhaël pour le Hezbollah. Le tiers de blocage qu’il a décroché est la première expression institutionnelle de la force des armes. Avant que ne s’égrène, de concession politique en capitulation, les derniers rouages d’une démocratie fonctionnelle au Liban. 

Et cela n’aurait pu être, si Michel Aoun ne s’était pas attelé, trois ans durant, à opposer l’argument de « l’entente nationale » à tous ceux qui entendaient circonscrire les pratiques du Hezbollah et ses méthodes d’intimidation par les armes. Le respect du pacte national devenait synonyme d’inclusion des partis « forts » dans toute équation politique.


(Lire aussi : Après la tempête, Aoun, Berry et Hariri aplanissent le terrain)


Intérêts réactualisés

C’est cette logique de « consensus » qui justifiera les différents blocages des institutions menés de pair par le Hezbollah et Michel Aoun, depuis leur opposition à la destitution d’Émile Lahoud jusqu’au blocage de la présidentielle.

C’est là toutefois que les intentions réelles du Hezbollah à l’égard de Michel Aoun auraient pu être testées : il n’était pas sûr s’il avait intérêt à combler le vide ou à le prolonger, quitte à tenir son candidat en haleine. Il reste que le prolongement du vide verra, contre toute attente, les anciens rivaux de Michel Aoun accepter sa candidature, inaugurant ainsi un mandat où il n’est désormais de l’intérêt d’aucune partie de chercher à combattre de front le Hezbollah.

Ce mandat reconfigure donc les rapports Hezbollah-Aoun. Le premier a, à ce stade, tout à gagner dans le maintien du statu quo, quitte à repenser les bases de son alliance avec M. Aoun en fonction des résultats du scrutin de mai prochain. Il n’aurait toutefois aucune raison de renoncer à l’atout que lui confère cette alliance, surtout que de nombreuses inconnues persistent dans la région, notamment la politique de Washington à l’égard de l’Iran. En tout état de cause, le Hezbollah a réussi, par le biais de son allié Nabih Berry, opposant attitré du mandat, à maintenir une épée de Damoclès au-dessus du chef de l’État. Et c’est là que l’alliance Hezbollah-CPL est actuellement fragilisée. 


La logique de « force »

Pour Michel Aoun, tout se joue au niveau du bilan final de son mandat. Mais c’est sa quête de la présidence « forte » qui fait ressortir le grand paradoxe de son alliance avec le Hezbollah : comment être un président fort à l’ombre d’une milice à laquelle il doit son élection ? Comment opposer la logique de force au parti dont il a couvert les armes onze ans durant, au point de miner les rouages des institutions dont il a aujourd’hui la charge ? Au mieux, et à moins d’une offensive régionale contre le Hezbollah, le chef de l’État ne peut ambitionner pour l’instant qu’une « image » de président fort. 

Sa querelle avec le président de la Chambre, allié organique du Hezbollah, lui a apporté la preuve qu’il ne peut opposer au tandem chiite les mêmes arguments qu’il utilisait pour le défendre. Devenu chef des institutions qu’il avait au préalable bloquées, Michel Aoun essuie les conséquences de sa propre jurisprudence. Une jurisprudence à laquelle Nabih Berry lui interdit en contrepartie de recourir. 

Pour la douzième commémoration de l’entente de Mar Mikhaël, le bloc du Changement et de la Réforme a souhaité que son « allié s’engage à honorer la clause sur l’édification de l’État (quatrième clause) comme il l’a fait de l’entente ». Et le ministre Gebran Bassil lui aussi de tweeter : « Nous comptons sur l’entente de Mar Mikhaël pour construire un État fort et juste. » La clause à laquelle il est fait référence prévoit notamment « la lutte radicale contre la corruption ». Dans son entretien à Magazine, Gebran Bassil avait parlé de « corruption » en allusion à Nabih Berry. 

La demande sous-entendue est que le Hezbollah contienne le risque que l’opposition menée par Nabih Berry ne déteigne sur l’image du mandat, faute de quoi il n’aura plus les moyens de le couvrir. Surtout que le prix payé par Michel Aoun au Hezbollah pour la présidence, notamment sur les tribunes diplomatiques, risque de se retourner contre le mandat et, par ricochet, contre le Hezbollah.



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Les faits prouvent que l’entente conclue le 6 février 2006 entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre a largement servi les intérêts stratégiques de l’un et de l’autre. L’évolution de ces intérêts, si elle ne menace pas cet accord, imposerait néanmoins aux deux parties d’en repenser la mise en œuvre. Retour au contexte initial de 2006 : la majorité au pouvoir,...

commentaires (4)

Pas mal expliqué tout ça, même si c'est vu sous un angle à charge. Disons que les faits relatés sont vérifiables , mais que l'optique est en trompe l'oeil. Le ticket Commandante Kheneral PHARE Aoun / RÉSISTANT LIBANAIS H.N est , de la 1ere heure, un ticket GAGNANT GAGNANT , l'aboutissement final sera le raz de marée des législatives de Mai 2018, le lendemain des résultats de cette chronique d'une défaite annoncée des (forces ? ) du (ex) 14 moribond , tout rentrera dans l'ordre républicain et le LIBAN enfin souverain et débarrassé de ses chaînes du passé, ira de l'avant grâce à cette intelligence longtemps étouffée. LA FAMILLE LIBANAISE EN RECOMPOSITION .

FRIK-A-FRAK

11 h 52, le 07 février 2018

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Commentaires (4)

  • Pas mal expliqué tout ça, même si c'est vu sous un angle à charge. Disons que les faits relatés sont vérifiables , mais que l'optique est en trompe l'oeil. Le ticket Commandante Kheneral PHARE Aoun / RÉSISTANT LIBANAIS H.N est , de la 1ere heure, un ticket GAGNANT GAGNANT , l'aboutissement final sera le raz de marée des législatives de Mai 2018, le lendemain des résultats de cette chronique d'une défaite annoncée des (forces ? ) du (ex) 14 moribond , tout rentrera dans l'ordre républicain et le LIBAN enfin souverain et débarrassé de ses chaînes du passé, ira de l'avant grâce à cette intelligence longtemps étouffée. LA FAMILLE LIBANAISE EN RECOMPOSITION .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 52, le 07 février 2018

  • HALLELUJA ! rejouissons nous . la non troika est revenue mais divinisee en quatre cette fois-ci !

    Gaby SIOUFI

    10 h 40, le 07 février 2018

  • “Pour le bien des Hommes, si quelqu'un a mal agi, écris son nom dans le marbre; s'il a bien agi, écris son nom dans la poussière.” de Thomas More Extrait de L'Utopie, 1516

    FAKHOURI

    08 h 35, le 07 février 2018

  • OU VOYEZ-VOUS CETTE PRESIDENCE DITE FORTE DANS LES TERGIVERSATIONS ET LES COMPROMIS ? TRES FAIBLE CAR TRES DEPENDANTE PLUTOT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 37, le 07 février 2018

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