Quelles que soient les impressions de chaque camp à la suite de la diffusion de l'entretien télévisé du Premier ministre, celui-ci a quand même modifié le climat politique du pays. Si, pour les uns, cet entretien mené par la talentueuse Paula Yacoubian dément la théorie selon laquelle le Premier ministre du Liban ne serait pas libre de ses mouvements à Riyad où il serait détenu contre son gré, pour d'autres, au contraire, cet entretien a confirmé cette thèse.
Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que le Premier ministre Saad Hariri avait l'air visiblement fatigué et ému, au point d'en avoir les larmes aux yeux. Ce qui a poussé la journaliste à réclamer une pause publicitaire pour lui permettre de se reprendre. La question qui se pose à ce stade est la suivante : s'il est à Riyad de son plein gré et tout à fait libre de ses mouvements, cette émotion débordante reste injustifiée. D'ailleurs, tout au long de l'entretien, le Premier ministre avait un air triste et la larme à l'œil. Les spécialistes du langage corporel ont aussi remarqué ses mouvements lents, son élocution lourde, ses mains croisées (avec des ongles plutôt longs) et se basent sur ces éléments pour en déduire qu'il n'est effectivement pas à l'aise. Au contraire, même, il avait l'air troublé. Toujours sur le plan de la forme, c'est lui qui a demandé que l'entretien soit arrêté parce qu'il est fatigué. Plus encore, à un moment donné, un homme est apparu dans le champ de la caméra, tenant un papier et un crayon, et les spécialistes se sont penchés sur le jeu des regards entre M. Hariri, la présentatrice et le monsieur, que Mme Yacoubian a présenté comme un homme qui travaillait chez le Premier ministre. En temps normal, ces détails n'auraient même pas été relevés. Mais comme il s'agit du premier entretien en direct du Premier ministre après les circonstances controversées de sa démission et de sa présence à Riyad, ils sont considérés comme des indices sur sa situation réelle. Sur le plan de la forme, ce qui se voulait une démonstration éclatante de la liberté de mouvement et de parole du Premier ministre a donc maintenu l'ambiguïté et soulevé de nouvelles questions sur les véritables circonstances de son séjour à Riyad.
(Lire aussi : Mortelles distances, l'édito d'Elie Fayad)
Sur le plan du fond, le contenu de l'entretien était plein de surprises. Au point que certains spécialistes ont parlé de l'envoi par M. Hariri de « messages subliminaux » à ceux qui seraient en mesure de les saisir. Il a parlé ainsi à plusieurs reprises de sa famille, avec même, à un moment, de la confusion sur la présence de ses enfants « avec lui » ou « à la maison ». Ce qui pourrait signifier, selon les partisans de cette thèse, qu'il voulait rappeler que même s'il rentre à Beyrouth et que sa famille reste à Riyad, sa situation ne sera pas facile. D'ailleurs, pure coïncidence ou non, les milieux officiels libanais se sont mis à réclamer le « retour du Premier ministre et de sa famille à Beyrouth ». Le second message étonnant est la reconnaissance à plusieurs reprises du fait que sa démission n'a pas été présentée dans les formes et selon les règles institutionnelles. Il a ainsi abondé dans le sens de la position du président Michel Aoun et du président de la Chambre Nabih Berry qui ne cessent de réclamer son retour au Liban pour qu'il remette sa démission au chef de l'État. En insistant sur ce point, Saad Hariri semblait pousser les responsables à continuer à adopter cette position.
Toujours dans ce contexte, le Premier ministre a maintenu sa décision de démissionner, avec la même argumentation sur les violations de la politique de distanciation consacrée pourtant dans la déclaration ministérielle. Mais il a d'abord été beaucoup moins virulent que dans la déclaration télévisée de la démission. Et d'autre part, il a évoqué à plusieurs reprises la situation au Yémen et la participation supposée du Hezbollah aux combats aux côtés d'Ansarullah (les houthis). Or il est pratiquement certain que le Hezbollah n'a pas envoyé de combattants au Yémen, se contentant d'y avoir une équipe d'experts, de formateurs et de conseillers militaires. L'intervention du Hezbollah au Yémen est beaucoup plus médiatique et politique qu'effective sur le terrain. Elle est, en tout cas, sans commune mesure avec son intervention en Syrie et en Irak, que le Premier ministre n'a pourtant pas citée. Toujours selon ceux qui croient aux messages subliminaux, cela signifie que le véritable problème des autorités saoudiennes est aujourd'hui l'enlisement du conflit au Yémen, bien plus que la situation en Syrie ou en Irak. C'est donc là que résiderait la clé d'un apaisement avec les Saoudiens. Enfin, le Premier ministre a ouvert une brèche dans l'impasse dans laquelle est plongé le pays en évoquant la possibilité « de revenir sur sa démission », après des discussions avec le président de la République sur la confirmation de la politique de distanciation. Cette perche a aussitôt été saisie par le président de la Chambre qui s'est empressé de déclarer que « le retour sur la démission est un acte juste ». En conclusion, quelles que soient les suppositions sur les circonstances dans lesquelles s'est déroulée l'interview de dimanche soir, elle a quand même transmis un message d'ouverture, tout en dessinant les contours d'une sortie de crise... Est-ce le fruit de l'échec d'un vaste plan de déstabilisation ou le résultat des pressions internationales assez significatives avec des déclarations relativement musclées de la part de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la France, etc., ou encore lié à l'impossibilité de trouver un remplaçant crédible au Premier ministre, parmi les personnalités sunnites, après la réaction ferme de la famille Hariri ? Les analyses vont bon train. Ce qui est sûr, c'est qu'après l'entretien de dimanche, le climat général au Liban est plus apaisé. Mais ce début de détente attend de se préciser.
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Quelles que soient les impressions de chaque camp à la suite de la diffusion de l'entretien télévisé du Premier ministre, celui-ci a quand même modifié le climat politique du pays. Si, pour les uns, cet entretien mené par la talentueuse Paula Yacoubian dément la théorie selon laquelle le Premier ministre du Liban ne serait pas libre de ses mouvements à Riyad où il serait détenu...
commentaires (13)
L'Etat au plus haut sommet doit regretter d'avoir dit que M Harriri ne dira pas sa verite et a refuse a Tele Liban , la TV d'Etat de passer en directe l'emission de cet interview ou un Premeir Ministre encore en exercise en theorie parle Cela prouve a quell point les fake news sont d'actualite et qui controle le Liban POurquoi vous ne le dites pas aussi Mm Haddad
LA VERITE
13 h 52, le 14 novembre 2017