Une crise chasse l'autre... L'ouragan qui s'est abattu sur le pays, il y a un peu plus d'une semaine avec l'annonce, à Riyad, de la démission du Premier ministre Saad Hariri avait posé de manière crue et ferme, sans détours, LE principal problème de fond auquel la région et le Liban sont confrontés et qui est la source de la situation explosive actuelle : l'expansionnisme iranien et l'implication du Hezbollah dans des combats et des actions de déstabilisation dans plusieurs pays du Moyen-Orient, au service du projet de résurgence d'un nouvel empire perse. La portée stratégique de la démission de M. Hariri réside dans le fait qu'elle est placée sous le signe de la stigmatisation de la ligne de conduite hégémonique de l'Iran et du parti chiite. Sauf que rapidement, la forme a pris le pas sur le fond et de là où le débat devait porter sur cette question d'ordre existentiel, il a été plutôt axé pendant plusieurs jours sur le nécessaire retour parmi les siens du chef du gouvernement démissionnaire.
Dans le contexte présent, c'est de bonne guerre que la mouvance du Hezbollah se montre plus haririenne que le chef du courant du Futur lui-même en menant campagne de manière soutenue pour réclamer la présence du Premier ministre au Liban. Nul n'est dupe, cependant, et il n'échappe à personne qu'il s'agit là non pas d'un sursaut souverainiste mais d'une façon commode de dévier le débat et de détourner l'attention du problème de fond...
ll est incontestable que le flou qui entoure la présence de M. Hariri à Riyad est inconcevable, et dans ce cadre, le Liban officiel, politique et populaire ne pouvait agréer que son Premier ministre se trouve dans une situation équivoque, quelle que soit la raison. Force est de relever à ce propos qu'il y a eu, dès le départ, dans cette affaire une incroyable et fâcheuse maladresse à Riyad. Comme nous l'avons déjà souligné dans ces mêmes colonnes, nous sommes au Liban, et ce qui pourrait être valable ailleurs ne l'est certainement pas ici. Il devenait aisé, de ce fait, de mettre en marche au niveau du Hezbollah une machine diabolique appelée à distiller de manière insidieuse et progressive, en allant crescendo, un climat de stigmatisation de l'attitude saoudienne, alors que le problème se situe, à la base, au niveau de l'attitude iranienne. La manœuvre de diversion était d'autant plus facile que la « victime » est le principal leader sunnite du pays. Malencontreusement, la présidence de la République s'est engagée sur cette pente tortueuse et a fait ouvertement le jeu du camp pro-iranien sur ce plan en augmentant quotidiennement sa dose de critiques à l'égard de Riyad.
L'interview télévisée, dimanche soir, du Premier ministre démissionnaire a sans doute court-circuité une telle manœuvre. D'abord, en s'adressant en direct aux Libanais dans un face-à-face qui ne paraissait pas du tout complaisant, et en affirmant qu'il sera de retour à Beyrouth dans les tout prochains jours. Ensuite, en déjouant les pronostics de la présidence de la République qui aurait enjoint, selon certaines informations, à plusieurs chaînes locales de ne pas retransmettre l'interview, laissant entendre que M. Hariri pourrait tenir des propos incendiaires sous la contrainte. En adoptant un ton calme (comme à son accoutumée, d'ailleurs) et en évitant de tomber dans le piège de l'escalade verbale, le Premier ministre a coupé court à l'opération de diversion enclenchée par la présidence et les alliés de Téhéran, visant à transposer le débat du terrain iranien au terrain saoudien.
Pour déjouer la manœuvre de son camp adverse, M. Hariri a ainsi adopté une attitude souple sur le plan de la forme et du discours, tout en ramenant la discussion, de manière claire, au véritable problème fondamental de base : les ingérences iraniennes déstabilisatrices dans les affaires de certains pays arabes, et la question de la ligne de conduite du Hezbollah sur la double scène libanaise et régionale. Il a même été plus loin : pour la première fois, un leader sunnite, de surcroît Premier ministre en exercice, prône ouvertement l'option de la neutralité du Liban comme porte de sortie à la crise existentielle qui ébranle le pays, remettant ainsi sur le tapis la déclaration de Baabda concoctée à l'initiative de l'ancien président Michel Sleiman et, surtout, brisant ce qui était un tabou à ce sujet au début de la guerre libanaise.
Plus que jamais, le général Michel Aoun peut jouer aujourd'hui un rôle salutaire et rassembleur, en sa qualité de président de la République dont le rôle est d'être à égale distance de toutes les factions et, surtout, d'être le garant de la souveraineté de l'État central, dans toute l'acception du terme. Ces dernières semaines, le président a glissé subrepticement – par ses prises de position publiques – vers les thèses du camp pro-iranien. Puisse l'électrochoc provoqué par la démission du Premier ministre replacer le régime sur la seule issue de secours, celle de la neutralité positive face à l'implacable bras de fer régional. Mais le Hezbollah est-il prêt ou a-t-il la volonté de couper le cordon ombilical avec son mentor iranien ?
Le Hezbollah vis-à-vis de l'Iran joue le même rôle qu'avait joué le parti communiste français vis-à-vis de l'Union soviétique. Le PCF est entré dans la Résistance à l'occupation allemande le 22 juin 1941 soit le jour même de l'invasion de l'Union soviétique par Hitler le 22 juin 1941. Avant cette date, les communistes français sont restés inactifs sous la botte nazie.
11 h 45, le 14 novembre 2017