Le média qatari al-jazeera, dans la ligne de mire de l’Arabie saoudite depuis la mise en quarantaine du Qatar par l’axe prosaoudien. Reuters/Naseem Zeitoon/File Photo
La mise en quarantaine du Qatar par Riyad, Abou Dhabi et Le Caire ressemble à bien des égards à une affaire de famille. Les grands frères, désinhibés par le discours anti-iranien de Donald Trump, ont saisi l'opportunité de mettre un terme aux excentricités du petit dernier. De gré ou de force, le Qatar est appelé à rentrer dans le rang. Fini le double jeu diplomatique, fini le soutien aux groupes islamistes, fini surtout les ambitions du petit émirat de jouer un rôle politique sur la scène régionale. L'axe prosaoudien ne veut pas seulement couper les ailes de Doha, il veut le mettre à genou. Pour l'exemple. Pour faire comprendre aux autres trublions qu'il ne tolère plus la moindre dissidence.
Pour le Qatar, l'enjeu est quasi existentiel. S'il cède, il devra renoncer au cœur de son projet politique, amorcé il y a plus de 20 ans pour se contenter d'être un minuscule et richissime émirat. Un géant énergétique mais un nain politique et un obligé de Riyad. Doha ne l'entend pas de cette oreille et cherche pour l'instant à gagner du temps. Et à sortir de son isolement, en multipliant les contacts auprès des différents partenaires politiques et économiques. Le Qatar a les ressources économiques pour résister au blocus. Il va probablement tout tenter pour éviter de capituler. Mais Doha n'a plus les cartes en main : l'issue de la crise dépend désormais, avant tout autre chose, de la détermination de Riyad à lui tordre le bras.
L'Arabie saoudite ne peut plus faire marche arrière. Toute concession sera désormais perçue comme un signe de faiblesse. Il en va de sa crédibilité et de son autorité. Déjà embourbé dans une guerre au Yémen, le royaume wahhabite ne peut pas se permettre de tolérer la désobéissance de son petit voisin. L'enjeu dépasse largement la simple question qatarie : c'est son leadership au sein du monde arabe sunnite que Riyad cherche ici à affirmer.
(Lire aussi : Doha cherche des alliés parmi la communauté internationale)
Rompant avec sa traditionnelle volonté d'arrondir les angles et d'éviter les conflits, l'Arabie saoudite s'est montrée nettement plus offensive et interventionniste qu'à l'accoutumée ces dernières années. Le royaume se sent clairement menacé : d'une part par l'expansion de son rival iranien au Moyen-Orient ; d'autre part par l'éclosion de mouvements contestataires, laïcs ou islamistes, qui cherchent à remettre en question l'ordre établi. Riyad se présente aujourd'hui comme le fer de lance de la contre-révolution anti-iranienne, anti-islamiste et antidémocratique. Doha est puni pour avoir fait le pari inverse. C'est un autre enjeu de cette crise entre les pays du Golfe : le royaume veut planter le dernier clou dans le cercueil des printemps arabes.
La mutation de l'Arabie saoudite est directement liée à l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération de dirigeants, incarnée par le vice-prince héritier, ministre de la Défense et fils du roi Salmane, Mohammad ben Salmane. Impétueux et déterminé, MBS veut s'affirmer comme l'homme fort du royaume. Celui qui était déjà à l'origine de l'intervention saoudienne au Yémen serait aujourd'hui en première ligne dans la crise qatarie. Et le jeune trentenaire, dopé par l'hubris du pouvoir, ne s'est pas distingué pour l'instant par ses qualités de diplomate et de modérateur.
Riyad joue gros dans la crise qatarie. Il use pour l'heure de tous ses moyens politiques et économiques de pressions pour faire plier Doha. Mais qu'adviendra-t-il si le Qatar ne rompt pas ? Le royaume et ses alliés seront-ils prêts à faire un pas supplémentaire, c'est-à-dire à intervenir militairement, pour arriver à leurs fins ?
L'axe prosaoudien profite pour l'instant du feu vert américain, malgré les déclarations parfois contradictoires du secrétariat d'État et de la Maison-Blanche. Mais il doit gérer dans le même temps les réactions et provocations des autres puissances régionales. Téhéran cherche à profiter de la zizanie pour rallier les membres dissidents du camp adverse. Ankara bombe le torse et ne cache pas sa prise de position en faveur de l'ami qatari, comme pour dire son refus du diktat saoudien.
Riyad est-il alors tombé dans son propre piège ? A-t-il oublié que lorsque deux frères se bagarrent au sein d'une fratrie, c'est sans aucun doute le plus fort des deux qui a le plus à perdre ?
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VOYONS DE QUELLE FACON VA TOURNER CETTE LECON !
20 h 00, le 11 juin 2017