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Le Liban en 2014 - Élie FAYAD

La politique (très) contrariée

On entend assez souvent, dans certains milieux éclairés au Liban, notamment dans le monde des affaires, de l'entreprise et des cadres supérieurs, des phrases du genre : « Et si on laissait un petit peu la politique de côté, nous pourrions sans doute sauver ce pays par l'économie. »
De tels propos sont naturellement motivés par d'excellentes intentions et un patriotisme ardent, mais aussi et surtout par l'existence de compétences avérées dans les divers secteurs de la sphère privée. Nul doute que l'addition des talents déployés au quotidien par une foule de professionnels libanais, tant locaux qu'expatriés, constituerait une formidable énergie capable de propulser le Liban aux premiers rangs, d'en faire un « tigre » du XXIe siècle.
Loin de toute considération corporatiste, l'ensemble des Libanais seraient pour ainsi dire ravis d'être conduits vers un type de société dont l'actualité ne serait perturbée, de temps à autre, que par quelque horrible fait divers – un fou provoquant une tuerie dans une école, par exemple –, de classiques fractures sociales et une floraison de « manifs pour tous », pour ou contre l'IVG, le mariage gay, le maïs transgénique, le port de la burka ou le gaz de schiste.
Pourtant, il y a un hic. Personne n'a jamais su, jusqu'ici, nous expliquer comment on fait pour « mettre la politique de côté ». On nous dit qu'il faudrait arriver quelque part, mais on ne nous donne ni feuille de route ni mode d'emploi. Comment voudrait-on que nous y parvenions ?
Et puis, la politique au Liban n'est-elle pas mise de côté, d'une certaine façon, sans que pour autant nous en récoltions les résultats escomptés? L'année 2013 ne courait-elle pas vainement après un gouvernement ? 2014 ne s'achève-t-elle pas sans avoir trouvé un président de la République ?
De fait, il y a des lustres que la politique – entendre par là un ensemble d'activités publiques souveraines régies par un cadre institutionnel et démocratique plus ou moins cohérent et solide – a cessé au Liban de respirer ou alors, pour être plus exact, est entrée en hibernation.
D'abord, la politique avait explosé avec la guerre. Puis elle fut étouffée par la tutelle syrienne et enfin, depuis 2005, elle évolue, ou plutôt n'évolue pas, au rythme des blocages de toutes parts.
Blocage : c'est bien, ces jours-ci, le maître mot de la culture politique libanaise, le seul qui définisse l'état général du pays, l'unique arme réelle aux mains de tous. Ce n'est pas le système politique qui nous a menés là, ce sont les peurs, les mécontentements, les frustrations qui se sont perpétués malgré le système et aussi le déni opposé à ces peurs, ces mécontentements et ces frustrations.
Vue sous cet angle, la politique libanaise ne paraît nullement, en cette fin d'année, être en voie de guérison, du moins dans un avenir prévisible. Les prises de contact ici ou là, entre tel et tel protagoniste, peuvent certes conduire à des déblocages ponctuels. Ce sera probablement le cas en 2015, sauf accident de parcours, pour ce qui est du dialogue qui vient de commencer entre les deux principales forces du pays, le courant du Futur et le Hezbollah.
Il reste que la démarche elle-même est une confirmation de la prééminence de la culture de blocage sur l'ensemble de l'activité politique au Liban et sur le système lui-même. D'où l'aspect illusoire de toute tentative visant à redéfinir ce système ou à le transformer dans les conditions actuelles.
Dans ce tableau noir, il y a tout de même une consolation, et elle est de taille. L'année 2014 restera peut-être dans les annales comme celle qui a frôlé le plus, jusqu'ici, l'explosion de la carte proche-orientale. Mais elle est aussi celle qui aura vu le Liban, le très fragile Liban, résister pour l'essentiel à la lame de fond qui a frappé la région.
Pourtant, certains facteurs qui, en Syrie et en Irak, ont grandement contribué à faire surgir en force le phénomène jihadiste sunnite sont également présents dans notre pays. Le régime assadiste à Damas, celui de Nouri al-Maliki à Bagdad et le Hezbollah à Beyrouth sont tous trois plus ou moins de la même veine et, en tout cas, tributaires du même tireur de ficelles. Cela n'a guère empêché le Liban, l'État le plus faible de la région, de pouvoir venir facilement à bout de velléités jihadistes, lesquelles, en dépit de la présence massive de réfugiés syriens, n'ont pas réussi à trouver de point d'ancrage réel dans ce pays (sauf à plus de 2 000 mètres d'altitude !)
Certes, il y a un prix fort à payer : davantage de blocages politiques, prises d'otages, enracinement de la culture de l'illégalité, marasme économique, etc.
Décidément, politique et économie vont de pair : pour le moment, au Liban, tout est mis de côté.

On entend assez souvent, dans certains milieux éclairés au Liban, notamment dans le monde des affaires, de l'entreprise et des cadres supérieurs, des phrases du genre : « Et si on laissait un petit peu la politique de côté, nous pourrions sans doute sauver ce pays par l'économie. »De tels propos sont naturellement motivés par d'excellentes intentions et un patriotisme ardent, mais aussi...

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