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Liban - La vacuité hors droit

I – Un processus en plusieurs étapes pour vider les fondements de l’État de leur essence

Dans une série de deux articles complémentaires, Me Joseph Nehmé, avocat à la Cour, se livre à une analyse et une étude politico-juridique et constitutionnelle du processus complexe suivi depuis 2006 par le Hezbollah pour vider les institutions étatiques de leur essence. Nous publions ci-dessous la première partie de cette étude.

L’offensive du Hezbollah contre Beyrouth-Ouest, le 7 mai 2008, a constitué l’une des principales phases du processus systématique visant à prendre le pays en otage.

En réfléchissant à cet indescriptible imbroglio dans lequel est plongé le pays, le plan élaboré et ourdi depuis 2006 par le Hezbollah semble entrer dans sa phase préfinale. Il ne s'agit plus d'un objectif de mainmise et d'hégémonie sur l'État et sur ses institutions seulement, mais plutôt du pourrissement de ses fondements et de ses fondations, prélude à sa désertification, puis à sa déliquescence et à sa désintégration en apparence irréversibles pour le compte d'une tout autre identité qui lui est génétiquement impropre.

Les tribulations que les Libanais ont vécues depuis ce triste 12 juillet 2006 sont éloquentes. À l'injonction de l'insolent et arrogant Hezbollah d'épouser contre leur volonté une guerre contre un prétendu ennemi et d'en endosser en prime ses conséquences et ses retombées, les Libanais subirent en spectateurs contraints et contrits l'amorce de la phase 2. Ce fut la honteuse déferlante des événements du 7 mai 2008. Ils sont précédés et suivis d'un feuilleton d'intimidations, de menaces à peine voilées et de liquidations physiques systématiques et méthodiques de nos très belles figures nationales.

L'accord mortifiant de Doha du 21 mai 2008 vient couronner la victoire du parti de Dieu. Il aboutit à l'imposition de l'élection (inconstitutionnelle) au forceps du commandant en chef de l'armée à la première magistrature de l'État et de la formation d'un gouvernement inique de 30 ministres, flanqué d'un tiers de blocage conçu et conceptualisé pour le vouer à la non-gouvernance.
Le président élu est intronisé en grande pompe le 25 mai devant un parterre impressionnant de représentants des pays du monde entier et de nombreux ambassadeurs en mission dont bon nombre attendaient en antichambre leur accréditation.

 

Les élections de 2009
La désastreuse gestion de l'issue des législatives de juin 2009, pourtant hautement remportées par la coalition du 14 Mars, est létale. Faute de parachever le verdict des urnes par la formation d'un gouvernement cohérent et fort comme le dictent le jeu démocratique et le bon sens, la maladresse, la gaucherie et l'amateurisme, ajoutés au syndrome encore vif du 7 mai, conduisent à la formation d'un gouvernement dit d'union nationale. Le leitmotiv du Hezbollah est un et unique : « Le Liban ne saurait être gouverné qu'en partenariat et sur base d'une prétendue démocratie consensuelle qui, plus est, se fait flanquer du triste tiers de blocage consolidé par un "ministre-roi", mais avéré roturier de souche et de sang. Piètre trouvaille que ce nouveau concept du droit et de la pseudo-démocratie. Le Hezbollah réussit son infiltration dans les cellules étatiques de la gouvernance publique et se dote d'une couverture constitutionnelle. Il prend en main les rênes du sabotage et mène la calèche ».

 

(Lire aussi: Berlin interdit une association allemande soupçonnée de soutenir le Hezbollah)


À partir de cet instant, la phase 3 est entamée. Le Premier ministre, Saad Hariri, est malmené comme une marionnette, publiquement et honteusement humilié. Il est traîné lamentablement en Syrie et forcé à serrer la main de l'abject assassin de son père avec, en prime, une nuitée sous son toit, petit déjeuner inclus. Les tentatives entreprises sur plus d'un front pour abroger le TSL se multiplient et prennent mille facettes. L'illustre argument du faux témoin, aberrant et saugrenu, viendra fermer les surenchères et mener au putsch et au renvoi de Hariri du Sérail manu militari. Le pourrissement des institutions, le phagocytage à outrance de l'armée et des services de renseignements, auquel échappe héroïquement et par miracle l'unité des renseignements des FSI qui payera le prix exorbitant dans sa chair la plus intime, le gel du train des nominations avec pour unique exception la Direction générale de la Sûreté générale qui se voit adjugée à un officier à l'obédience hezbollahi absolue et inconditionnelle, la désintégration de l'infrastructure socio-économique, la dégénérescence de l'appareil étatique et de l'administration, la fraude et la contrefaçon, etc., déteignent sur le cabinet une gangrène et une nécrose invasives générées, d'une part, par un amateurisme nigaud et ridicule et, de l'autre, par une fatuité et une effronterie sans bornes.

La chute du cabinet Hariri
Le verrouillage de la phase 3 ne se fait pas attendre. Le monstre de Damas, par mandataire interposé, lâche ses meutes sur Beyrouth quand bien même il ne sourcillera pas plus tard à trucider ses propres concitoyens. C'est la fameuse journée noire des tee-shirts noirs. Hariri est ostracisé du Sérail d'une dédaigneuse pichenette le 12 janvier 2011 à l'instant même où il posait pour la photo avec le président américain dans le bureau Ovale. Le carriériste Nagib Mikati est « récupéré » pour présider alors un cabinet enfin monochrome. C'est le lancement de la phase 4 de la machination irano-syro-Hezbollah. Elle sera dédiée à l'affinage du chaos, de la décomposition socio-politico-juridico-économique et du démantèlement de l'État.


Durant deux bonnes années, le gouvernement réussira à caser chaque pion dans son carré approprié. La loi électorale est bloquée et les législatives sabotées en prime. Le Parlement qui arrive à terme s'auto-arroge inconstitutionnellement une rallonge de son mandat. Mais voilà qu'un nouveau coup de théâtre prend le monde par surprise. Le sieur Mikati s'éveille un beau matin fourbi de courbatures et décide de rendre son tablier à son bailleur.

 

(Lire aussi: Samir Geagea : Moi président, je renforcerai l'État et lui redonnerai son prestige)

S'agissant comme toujours du jeu du bâton et de la carotte, le nom de Tammam Salam est avancé. Depuis sa résidence familiale de Moussaitbé, pourtant encerclée par les vigiles du Hezbollah et d'Amal, le sieur Salam est plébiscité à la quasi-unanimité pour former un gouvernement dit de regroupement national. Au lieu d'en tirer profit et de former rapidement une équipe de technocrates émérites dans les délais brefs, M. Salam rogne son onzième mois de grossesse sans le moindre signe de dilatation d'un utérus atrophié à outrance annonciatrice de l'accouchement d'un gouvernement (toujours) consensuel, c'est-à-dire impossible.

Le fœtus semble s'acheminer allégrement vers l'étouffement. Mais d'un coup de baguette persane, le Hezbollah lâche du lest sur ordre de son parrain iranien. Et, surprise de taille, Saad Hariri, couvant mal son deuil à La Haye, entre sans préavis dans la danse talonné par les indépendantistes 14 Marsiens qui n'en croient pas l'aubaine. Le sieur Bassil est intimé de permuter et son beau-père obtempère. Adieu Télécoms, Intérieur, Justice, cochons et couvées ! aurait versifié le Jean de La Fontaine de notre ère.

 

(Pour mémoire: Voilà pourquoi le Hezbollah a accepté de céder les portefeuilles sécuritaires..., l'eclairage de Scarlett Haddad)

 

Le gouvernement Salam
La formule 9/9/6 cède par magie la place à la 3x8 à l'origine rédhibitoire, et Tammam Salam met sur pied une hydre prédestinée à tout sauf à la vie. L'odeur du gaz et du pétrole empeste l'atmosphère mais agit comme un baume lénifiant sur les autonominés dont les yeux louchent à l'envi qui sur le Sérail, qui sur les fonds sous-marins et qui sur le perron du palais présidentiel. L'on se lèche les babines sans vergogne à l'approche de la signature des contrats des blocs pétroliers judicieusement architecturés et lotis en fonction des territoires d'influence des seigneurs politiques et de leurs fiefs qui caressent mille et un rêves. L'imagination (re)devient fertile et combien prolixe d'arguments patriotiques pour le peu insensés et forcément hypocrites. « Ô pétrole, pétrole que de crimes on commet en ton nom ! » se serait exclamée l'égérie des Girondins Manon Roland avant que ne tranche son coup gracile le couperet de la guillotine.

Seule et unique décence, s'il en reste une, les ministres appelés et ainsi élus posent pour la photo-souvenir en complet... sombre avec la mine de circonstance qui sied.
La commission ad hoc s'attelle à rédiger la déclaration ministérielle avec l'assiduité de l'écolier studieux. Usant de moult turlupinades linguistiques, elle accouchera d'une monstruosité constitutionnelle et nationale paradoxalement contestée en premier par ses propres scribes, histoire de faire amende honorable à une lapalissade. L'équipe de M. Salam se verra pourtant adoubée par le Parlement du vote de confiance à une écrasante majorité.

Joseph E. NEHMÉ
Avocat à la cour
Prochain article : Le cas de la présidence de la République et de l'exécutif

 

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En réfléchissant à cet indescriptible imbroglio dans lequel est plongé le pays, le plan élaboré et ourdi depuis 2006 par le Hezbollah semble entrer dans sa phase préfinale. Il ne s'agit plus d'un objectif de mainmise et d'hégémonie sur l'État et sur ses institutions seulement, mais plutôt du pourrissement de ses fondements et de ses fondations, prélude à sa désertification, puis à...

commentaires (2)

IL NE RESTE QU'UN PILIER DEBOUT... ET À MOITIÉ... SI LE NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE N'EST PAS ÉLU DÉMOCRATIQUEMENT, QUI QU'IL SOIT, OU BIEN SI LE GÉNÉRALISSIME ACCÈDE À LA PREMIÈRE MAGISTRATURE, SANS CHANGER AU PRÉALABLE SA BOUSSOLE ET SON VOCABULAIRE, LE PILIER, COMME LES DEUX PILIERS DU TEMPLE FILISTINS ÉBRANLÉS PAR SAMSON, TOMBERA ET TOUT LE TEMPLE AVEC !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 54, le 09 avril 2014

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Commentaires (2)

  • IL NE RESTE QU'UN PILIER DEBOUT... ET À MOITIÉ... SI LE NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE N'EST PAS ÉLU DÉMOCRATIQUEMENT, QUI QU'IL SOIT, OU BIEN SI LE GÉNÉRALISSIME ACCÈDE À LA PREMIÈRE MAGISTRATURE, SANS CHANGER AU PRÉALABLE SA BOUSSOLE ET SON VOCABULAIRE, LE PILIER, COMME LES DEUX PILIERS DU TEMPLE FILISTINS ÉBRANLÉS PAR SAMSON, TOMBERA ET TOUT LE TEMPLE AVEC !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 54, le 09 avril 2014

  • C'est le processus le plus pervers et le plus criminel, bien conduit en vue de la désintégration de l'Etat, du visage et de la vocation du Liban. Très malheureusement, ce processus est d'une part soutenu par une partie politique chrétienne inconsciente du tort irréparable que son soutien cause au pays, et d'autre part il est affronté par des forces politiques dont le rassemblement a toujours été une incarnation de la médiocrité.

    Halim Abou Chacra

    06 h 36, le 09 avril 2014

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