
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, recevant l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Beyrouth, Walid Boukhari, à Meerab, le 3 mai 2023. Photo tirée du compte Twitter de M. Geagea
« C’est le flou total. » C’est en ces termes qu’un cadre Kataëb résume la position de son parti à l’égard des communiqués-surprises émis durant le week-end par plusieurs pays du Golfe incitant leurs ressortissants à quitter le Liban. L’étonnement des Kataëb semble être partagé par Meerab et Moukhtara. Les partis relevant du camp de l’opposition, pourtant rangés parmi les alliés des pétromonarchies du Golfe, n’arrivent toujours pas à comprendre les véritables motifs de cette toute dernière escalade à l’encontre du Liban.
Car s’il est vrai que la démarche est intervenue dans la foulée des affrontements qui se sont produits la semaine dernière dans le camp de réfugiés palestiniens de Aïn el-Heloué, un calme précaire y prévaut depuis plusieurs jours, font remarquer les membres de l'opposition. Ils se font ainsi l’écho du président de la Chambre, Nabih Berry, qui a tenu des propos allant dans ce sens dimanche, même si les motivations ne sont pas les mêmes. La thèse sécuritaire étant presque exclue, c’est sous un angle politique que les anti-Hezbollah expliquent les décisions arabes : les Iraniens et les Saoudiens usent de la boîte postale libanaise pour s’échanger des messages politiques à résonance régionale.
Tout le monde en convient : personne ne s’attendait à ce que les monarchies du Golfe passent à l’acte aussi rapidement, soit moins de trois semaines après la réunion, tenue le 7 juillet à Doha, de représentants du groupe des cinq pays impliqués dans le dossier libanais, à savoir la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Qatar. Lors de cette réunion, Nizar Alaoula, délégué par Riyad, a agité le spectre d’une éventuelle interdiction de voyage des Arabes au Liban. « Mais rien ne justifie une telle décision. Surtout que le calme – quoique précaire – est observé à Aïn el-Heloué depuis plusieurs jours », souligne Pierre Bou Assi, député Forces libanaises contacté par L’Orient-Le Jour. « Je ne vois aucun risque de détérioration de la situation sécuritaire. Car, même au niveau de la zone frontalière, le Hezbollah n’a aucun intérêt à se lancer dans une escalade militaire face à Israël », dit-il.
Comment le parti de Samir Geagea – grand allié local de Riyad – interprète-t-il donc les décisions arabes ? « L’Arabie saoudite veut faire comprendre à l’Iran que celui-ci ne peut pas continuer à pousser pour que son agenda soit exécuté au Liban, en dépit de l’accord conclu en mars dernier entre les deux puissances régionales », répond le porte-parole des FL, Charles Jabbour, estimant que dans la pratique, cela va se faire sentir notamment au niveau de la présidentielle. Car il est évident qu’après cette démarche, le Hezbollah, satellite local de Téhéran, va s’attacher davantage à la candidature du leader des Marada, Sleiman Frangié, rejetée par l’ensemble des partis chrétiens majoritaires et plusieurs protagonistes anti-Hezbollah. « Tout cela renforcera sans doute notre positionnement face au parti chiite et son candidat », affirme M. Jabbour.
« Un pays vulnérable »
Sur ce point, Marc Daou, député relevant du mouvement de contestation, n’est pas du même avis. « Je ne vois pas comment les récentes décisions des pays arabes pourraient se répercuter sur le dossier de la présidentielle », déclare le parlementaire avant d'expliquer par sa dimension régionale.
« Il est évident que les pays du Golfe ont pris leurs décisions au vu du contexte régional actuel. Ainsi en cas d’obstacles qui entraveraient les négociations en cours entre l’Iran et le régime syrien, les Saoudiens craindraient une riposte iranienne à partir du Liban. Surtout que celui-ci est vulnérable, surtout au niveau sécuritaire, comme l’ont si bien montré les derniers combats à Aïn el-Heloué », affirme le parlementaire de la thaoura, assurant que rien ne prêtait à croire que les monarchies arabes allaient demander à leurs ressortissants de quitter le Liban en plein été.
Même son de cloche du côté de Saïfi. Le parti de Samy Gemayel, lui aussi perçu comme un allié local de Riyad, est encore surpris. « Nous ne savons pas encore les véritables raisons de cette décision », confie le porte-parole du parti, Patrick Richa. Il laisse entendre que l’argument selon lequel la démarche pourrait s’expliquer par les affrontements de Aïn el-Heloué ne tient pas la route. « Ces États ont toujours mis en garde leurs ressortissants contre des accrochages dans les camps palestiniens », rappelle M. Richa.
C’est probablement pour cette même raison que le leader druze Walid Joumblatt, ancien chef du Parti socialiste progressiste, a déclaré depuis Aïn el-Tiné dimanche « ne pas comprendre » les raisons de la décision arabe presque unanime. Mais pour Bilal Abdallah, député PSP, il y va du prestige de l’État libanais qui mise sur ses partenaires arabes pour sortir de la crise économique actuelle. « Il revient au ministère des Affaires étrangères de s’acquitter de ses responsabilités et mener des contacts nécessaires sur ce plan. Car le Liban a le droit d’être informé de (probables) menaces sécuritaires qui auraient poussé les chancelleries arabes à agir de la sorte », explique M. Abdallah. Mais comme pour ne pas couper tous les ponts avec les monarchies en question, il tient à conclure en soulignant que « personne ne doute de la volonté de ces États d’avoir des relations amicales avec un pays frère comme le Liban ». « Mais nous voulons simplement savoir les véritables raisons de cette démarche », dit M. Abdallah.
commentaires (5)
Où est passé mon commentaire? …
Sissi zayyat
21 h 45, le 08 août 2023